Diabolisé, ostracisé, le groupe Ansar Eddine est un des mouvements incontournables dans la négociation politique concernant le règlement de la crise au Nord-Mali. Liberté a eu l’opportunité de rencontrer, à Alger, les émissaires qui sont chargés du dialogue dont le porte-parole du mouvement targui, Ahmada Ag Bibi, et le chargé des relations extérieures, Ag Aharib.Ils nous livrent leur vision du plan qu’ils préconisent pour un retour à la paix et dénoncent les va-t-en-guerre dans un entretien-vérité, alors que la conférence de Ouagadougou n’a fait qu’accentuer les bruits de bottes dans la région.
Liberté : Beaucoup de choses ont été dites sur Ansar Eddine et sur les négociations avec le gouvernement algérien. De quoi s’agit-il au juste, de négociations, de tractations ou de discussions ?
Ag Bibi : C’est vrai que nous sommes venus à Alger mais, cette fois, toute la délégation d’Ansar Eddine est venue en provenance de Ouagadougou. C’est la même délégation, qui est à Alger, qui est partie à Ouagadougou après le vote de la Cédéao pour l’intervention militaire. Et puis, il y a le Burkina Faso qui est le médiateur de la part de la Cédéao et de l’Afrique. Nous sommes partis les voir, à leur invitation, pour leur dire que nous sommes disponibles pour la négociation. Nous avons fait beaucoup de rencontres avec des ambassadeurs occidentaux, le représentant de l’ONU, Saïd Djanit, et son staff, l’émissaire pour l’Afrique, l’ancien président du Burundi, le MAE du Gabon. Nous avons rencontré, à trois reprises, le président Blaise Compaoré. Nous l’avons informé de notre position lorsqu’il nous a déclaré avoir envoyé son MAE à Bamako pour inviter la transition à négocier avec Ansar Eddine. Nous avons toujours les mêmes positions. Nous avons dit à Blaise que nous préférons démarrer les négociations à Alger, mais nous ne lui avons pas expliqué. Nous avons seulement dit que l’Algérie par rapport à nous connaissait la situation. Elle a, à trois reprises, réglé la crise malienne, en 1990, en 1992 et en 2006, et elle a une parfaite connaissance du dossier et qu’elle a une expérience dans le domaine du terrorisme que tu ne peux même pas comparer avec celle des États-Unis qui disent combattre le terrorisme. Et nous avons également expliqué les liens historiques, la frontière et nous sommes venus ici en Algérie pour dire à nos frères algériens que nous sommes prêts à discuter.
Vous posez Alger comme lieu de négociations comme préalable à cause de tous ces paramètres. Est-il possible que vous discutiez un jour directement avec les Maliens ?
Il n’est pas question pour nous d’aller à Bamako. Il n’en a jamais été question. Depuis le début de la crise, nous n’avons jamais rencontré officiellement les Maliens. Nous avons informé l’Algérie, comme d’habitude, de notre disponibilité pour les négociations pour inviter les Maliens, le Burkina Faso et le MNLA, également. Donc, après tout cela, le Burkina nous a contactés pour nous inviter à être à Ouagadougou le 3 décembre. Nous avons demandé à nos frères d’être là-bas pour ne pas donner le prétexte que nous sommes absents. Les Maliens n’étant pas pour les négociations. Surtout après les déclarations de la communauté internationale, africaine et surtout de la France, ils ont montré qu’ils préfèraient l’intervention militaire et ne veulent pas de négociations. Nous ne l’avons pas dit à la médiation burkinabée. Le fond de la question est là, c’est la vraie position des Maliens. Après l’offre qu’ils ont eue qu’on leur ramène l’intégrité territoriale, pourquoi alors, selon eux, négocier.
Donc, ce qui se passe à Ouagadougou est strictement de l’agitation médiatique ?
Pour les Maliens, c’est juste pour la forme. Parce que la partie algérienne qui s’occupe du dialogue les a informés que les représentants d’Ansar Eddine sont à Alger pour négocier ; eux, ils ont choisi le Burkina Faso et nous savons pourquoi ils ont choisi le Burkina. Parce qu’aussi, au Mali, il y a plusieurs tendances, surtout la tendance de la transition, surtout celle de Diancounda Traoré et du Premier ministre, Modibo Diarra, qui ne veulent pas négocier. Ils sont contre l’autre tendance, celle des militaires qui veulent aller vers des négociations. Puisque la communauté internationale et la France leur offrent de ramener l’intégrité territoriale, il n’y a pour eux aucune raison de négocier. Nous connaissons parfaitement le dossier et savons que le Burkina ne l’a jamais dit, mais c’est clair qu’il n’ira pas jusqu’au bout. Le Burkina fait partie de la Cédéao et a voté pour l’intervention militaire et il va envoyer des troupes. Pour nous, c’est clair, cette négociation sera un échec. Nous ne l’avons jamais déclaré, mais c’est ainsi. Nous avons choisi l’Algérie non pas par distinction, mais parce qu’il y a beaucoup de facteurs qui plaident pour. Nous l’avons même dit à l’envoyé spécial de l’ONU. C’est stratégique pour nous, l’Algérie connaît mieux le dossier, a l’habitude de régler les différends entre les Maliens et ne s’est jamais ingérée dans les problèmes internes du Mali. C’est le pays le plus concerné par le terrorisme et l’Algérie a déclaré officiellement qu’elle était contre l’intervention. Ce n’est pas avec une intervention qu’on va régler la crise malienne.
Que pensez-vous de l’attitude des puissances occidentales qui, depuis le début de la crise, ont tendance à diaboliser Ansar Eddine ?
Cela est clair. Nous le comprenons. Nous avons dit aux Occidentaux que si on mettait Ansar Eddine sur la liste noire des groupes terroristes, cela ne servira pas à régler la crise. Au contraire, cela va compliquer davantage la situation. Nous leur avons expliqué que nous étions les fédérateurs de la rébellion touareg, que nous avons conclu tous les accords avec les Maliens. Nous leur avons dit que le problème devait être réglé entre Maliens. Si nous réglons le problème entre nous, le reste deviendra facile. Quant à la présence du terrorisme, cela peut se régler avec des interventions ciblées. Mais on ne peut pas faire la guerre à tout le monde. Vous avez vu ce qui s’est passé en Libye, c’est une erreur grave. On ne peut pas faire la guerre contre une communauté ou une religion. Nous concernant, nous avons de tout temps appliqué la charia chez nous. C’est le cadi qui juge et c’est un problème entre Maliens qui doit être géré dans des débats entre eux. On ne fait pas une intervention contre une communauté, une religion ou une ethnie. Encore faut-il que l’intervention soit claire. Qui va intervenir ? Pour quel objectif ?
Quels sont les risques réels d’une intervention militaire au Nord-Mali ?
C’est toute la sous-région qui va être secouée. Il y aura de grands risques. Un côté humanitaire qui sera catastrophique. Cela va déstabiliser les États voisins et aller plus loin. L’objectif de cette intervention n’est pas clair. Combien va-t-elle durer ? Sera-t-elle contre certains groupes ? Et on risque de créer d’autres problèmes qu’on ne pourra pas régler. S’il y a des problèmes que nous pouvons régler en un an, avec une intervention, cela prendra dix ans.
Est-ce que vous considérez que les accusations contre Ansar Eddine sont une stratégie médiatique visant à le sortir de l’équation, à l’exclure des négociations ?
Nous le comprenons. Mais rien ne peut se faire sans Ansar Eddine. Il occupe le terrain. Nous sommes des Maliens, des musulmans pratiquants. Nous voulons vivre notre Islam pour nous-mêmes, dans nos zones. Nous ne l’imposons pas aux autres, même si 95% des Maliens sont des musulmans. Nous ne l’imposons à personne. Évidemment, celui qui ignore l’Islam va interpréter la charia autrement. Elle s’applique pour nous, pas pour les autres Maliens et les Occidentaux. C’est un souhait de la société. C’est logique. C’est démocratique. C’est la démocratie et la liberté d’expression. Il y a une communauté musulmane qui vit sur le territoire de l’éternité qui veut appliquer la charia. Exclure Ansar Eddine de la négociation n’est pas une bonne idée et cela va compliquer la tâche. Qui occupe le terrain ? Il y a Ansar Eddine, Aqmi et le Mujao.
On a noté un changement de position de l’ONU, à l’UA, et même des USA où ces acteurs semblent de moins en moins chauds pour une intervention militaire. Est-ce dû au fait du travail diplomatique pour la sensibilisation de la communauté internationale ?
Notre objectif est de clarifier la position sur le terrain, de ne pas aller avec la rumeur et donner la chance à ceux qui veulent intervenir. Parce que ceux qui veulent intervenir ne connaissent pas l’ampleur des conséquences. Le but de notre tournée est d’expliquer la situation. Nous l’avons expliquée aux officiels algériens, chose d’ailleurs qu’ils connaissent très bien ; ils savent qui est qui. Nous l’avons expliquée à Ouagadougou et aux autres pour leur dire que si cette intervention se fait de cette manière, elle va avoir les effets contraires.
Que pensez-vous de l’intransigeance de la position française qui exclut la participation d’Ansar Eddine au dialogue ?
Je pose la question à la France. Si ce n’est pas Ansar Eddine qui négocie, qui va négocier ? On n’a rien à voir avec la France, nous souhaitons l’avoir avec nous pour régler les problèmes. Peut-être aussi que la France n’a pas la bonne version de la situation. Nous, nous sommes connus, nous ne cherchons pas de couverture que nous n’avons pas. Nous sommes chez nous : des Touaregs musulmans, dans nos territoires.
Ansar Eddine n’a jamais commis un acte terroriste. Il a libéré des gens qui étaient arrêtés. La dame suisse à Tombouctou, qui était une prêcheuse, a été libérée par Ansar Eddine. Il y a eu un Espagnol venu en moto de Mauritanie qui a été pris. Ansar Eddine l’a libéré avec les gens qui l’ont pris et escorté jusqu’en territoire sûr. Ansar Eddine n’a jamais commis d’attentats et ne le fera jamais. Nous avons un problème interne qui date depuis l’indépendance. Un conflit de cinquante ans. Nous sommes dans notre logique. Nos pratiques son claires : pas de violence. Nous avons arrêté cela depuis que nous avons gagné notre territoire. Nous ne cherchons pas à diviser le Mali et déclarer un État libre. Nous cherchons maintenant à nous asseoir avec nos frères maliens et trouver ensemble des solutions durables et définitives. Nous sommes prêts pour cela et nous invitons la France à apporter son aide aussi pour régler le problème. Je pense que la France n’a pas bien compris la réalité. Nous sommes chez nous, et ceux qui veulent nous qualifier de ce qu’ils veulent, ils sont tranquilles, libres à eux de le faire. Celui qui veut nous faire la guerre au nom de l’Islam, il nous trouvera, celui qui veut nous faire la guerre, il nous trouvera. Nous sommes clairs. Nous ne sommes pas des terroristes, nous nous connaissons et tout le monde nous connaît. Nous n’avons rien à cacher. Nous invitons d’ailleurs la communauté internationale à venir nous voir dans notre fief à Kidal.
Face à cette situation, comment est le sentiment général à Ansar Eddine vis-à-vis du dialogue. Est-ce de l’optimisme, du pessimisme ou de la colère ?
Nous sommes optimistes dans la mesure où la communauté internationale commence à comprendre et à prendre conscience de la vraie situation, de ce qui se passe et que nos frère maliens reviennent à la raison et qu’on négocie comme nous le faisons d’habitude et qu’on trouve une solution. Une solution entre Maliens. Ça c’est notre souhait. Il nous faut revenir à la table de négociations et qu’on cherche à trouver une solution pour sauver le Mali et les communautés maliennes et qu’on revienne à la raison. Parce que le problème aujourd’hui est que si on écoute trop l’extérieur, une intervention étrangère aura ses conséquences et ses répercussions qui vont dans le sens inverse de ses objectifs. L’extérieur ne va pas vivre le malheur.
La transition politique malienne et les divisions à Bamako n’arrangent pas les négociations ?
Je pense que la communauté internationale doit voir les gens de Bamako et leur expliquer qu’ils doivent aller vers les négociations. La guerre, on a tout le temps pour la faire, il faut d’abord puiser la négociation. Si tu veux faire la guerre, tu peux la faire après, tu as tout le temps.
Ag Aharib : Le problème par rapport à la situation actuelle est que l’opinion internationale est divisée, les Maliens sont divisés, la médiation est divisée, les mouvements sont divisés, toute la situation est en quelque sorte divisée. Je ne suis pas pessimiste, mais optimiste mesuré.
À Ouagadougou, vous étiez à la même table avec le MNLA. Est-ce un signe de rapprochement ?
Nous n’avons rien contre le MNLA. Je pense que la France est en train de tenter de ramener le MNLA dans une autre logique. Peut-être même de créer un conflit entre nous. C’est ce que nous voyons. Sur cette question, je suis pessimiste. Au regard de la situation, nous ne ferons ni la négociation ni ne ferons la guerre. Il n’y aura ni guerre ni paix.
Qu’en est-il du rôle de votre leader, Iyad Ag Ghaly dont certains critiquent ses positions politiques et ses alliances tactiques ?
Ag Bibi : Ag Ghaly est le chef de la rébellion historique. C’est un religieux. On peut raconter beaucoup de choses sur lui. Pour moi, qualifier quelqu’un comme ça, ce n’est rien. Ça n’a pas d’importance. Qualifier l’Islam de terrorisme, mais les caricatures du Prophète c’est plus fort. C’est ça qu’il faut juger et pas Iyad. Quand on fait des caricatures du Prophète, des films contre l’Islam et le Prophète, c’est grave. Par contre, si un musulman touche à Jésus ou Moise, il est tout de suite puni.
Les musulmans reconnaissent tous les Prophètes, pourquoi l’inverse en face ? Quand on arrive à critiquer une religion toute entière et le Prophète, critiquer Iyad c’est peu de chose par rapport à ça. Il est là-bas, chez lui à Kidal, musulman pratiquant et ne veut faire de mal à personne.
Ça fait toujours partie de la campagne contre le groupe et ses leaders ?
Si on fait une campagne contre les acteurs, les intéressés, ça va compliquer la tâche. De toute manière, nous ne bougerons pas de chez nous. Nous ne sommes pas des jihadistes internationaux. Nous appliquons la charia chez nous.
Mais vous avez cautionné des attitudes extrémistes ?
Ceux qui ne connaissent pas doivent être choqués. Cela ne doit pas être filmé. Mais c’est dans le Coran pour ceux qui connaissent. Il ne faut pas diaboliser, c’est le Coran, c’est la pratique, le problème est là. Les pays musulmans ont l’OCI, pourquoi ne pas s’adresser à elle, faire un comité ensemble, faire des enquêtes sur ce qui s’est passé et voir si c’est conforme à la charia ou pas. C’est un aspect très important. Car, on juge un musulman avec l’Islam et non pas à travers des instances qui ne connaissent pas l’Islam.
Le temps le montre aujourd’hui. Un vrai musulman ne va jamais casser une tombe. Aucune tombe n’a été cassée à Tombouctou. Mais les accessoires mis sur ces tombes ne sont pas acceptés. Mais ça peut se discuter.
L’OCI peut envoyer une délégation ou une commission qui va s’ajouter à la nôtre, on pourra aussi inviter le Haut-Conseil islamique malien, et présenter un rapport à l’OCI et tous ceux qui critiquent n’auront alors qu’à aller voir l’OCI. Pour moi, l’OCI est là pour les musulmans et pour l’Islam. Pour nous le problème est très simple. C’est en cherchant à comprendre qu’on peut aller de l’avant et non pas en ignorant. C’est vrai que l’Islam est différent. C’est une religion que l’on vit et que l’on pratique. D’autres religions représentent, selon des perceptions, l’histoire, le passé et on peut être pratiquant ou non. Nous les respectons, mais eux aussi doivent nous respecter. Je pense que ces problèmes ont fait beaucoup de bruit, et ceux qui font le bruit se montrent comme s’ils font l’arbitre alors qu’ils ne sont pas concernés. C’est un problème musulman entre les musulmans. Il s’agit de tombes de musulmans et ceux qui les ont cassées sont des musulmans. Il faut saisir l’OCI pour voir si ce qu’ils ont fait est en conformité avec l’Islam.
Si ce n’est pas conforme, ceux qui l’ont fait seront punis. Nous ne voulons qu’appliquer la charia parce que nous l’avons toujours vécue. La laïcité est une chose et l’Islam en est une autre. Il y a des choses en commun comme les droits de l’Homme… Les amalgames ont diabolisé les choses et ça ne va pas faciliter la tâche. Il faut qu’on revienne à la raison. Les choses peuvent être réglées entre les Maliens. Qu’il s’agisse de religion ou une négociation pour trouver un accord politique comme nous le demandons, c’est entre les Maliens. Il ne faut pas qu’il y ait aussi des États qui essaient de faire le gendarme. Cela risque de rajouter la haine dans le peuple et ce n’est pas une bonne chose.
M B / D B