Vivre en Europe, c’est plus qu’un souhait pour nos jeunes d’aujourd’hui. C’est un rêve, un fantasme.Certains, téméraires et accrochés aveuglément à leur «objectif», traversent la Méditerranée sur des barques de fortune, au péril de leur vie, afin d’atteindre l’autre rive en quête de conditions de vie meilleures.
Tous les moyens sont bons pour quitter le pays. Pourtant, de l’avis de la plupart des jeunes qui vivent illégalement sur le sol du vieux continent, il ne fait plus bon vivre en Europe. Notre rencontre avec des jeunes Algériens et Maghrébins en situation irrégulière dans quelques grandes villes cosmopolites européennes, les plus fréquentées par la communauté algérienne,
comme Paris, Lille, le Havre, Bruxelles, Bruges, Liège, Rotterdam…, nous renseigne davantage sur la situation de ces jeunes à la fleure de l’âge qui affrontent la misère, la malvie et l’humiliation au quotidien. La plupart sont instruits et ont obtenu des diplômes universitaires. Le racisme, l’islamophobie, la montée spectaculaire dans les sondages des opinions politiques des idées d’extrême droite, ne font, en fait, qu’empirer leur situation.
Paradoxe
A paris, ville dite lumière, la capitale européenne la plus fréquentée par la communauté algérienne, la vie n’est pas vraiment rose pour les émigrés, y compris pour ceux qui sont en situation régulière. «Je vis ici depuis plus de quatre ans sans papiers, l’idée de retourner au bled commence à germer dans ma tête.
Je ne peux plus supporter la misère», tranche Mustapha, un jeune Algérois de 23 ans, rencontré au boulevard des Flandres, en plein cœur de Paris. Il était en compagnie d’une grappe d’amis, dans la même situation. La déception et la désolation se dessinent sur leur visage. A peine la conversation entamée avec nos interlocuteurs qu’ils s’excusaient pour partir.
«Désolé, c’est très risqué de rester sur le trottoir en groupe. On risque d’être repérés par des policiers en civil qui grouillent ces derniers temps, surtout avec l’afflux des émigrés tunisiens en provenance de l’Italie», nous dira Samir. A Saint Denis, dans la proche banlieue parisienne, pas loin du Stade de France, nous avons rencontré Akli pour la première fois en décembre dernier. Un jeune Kabyle qui travaille au noir dans une sandwicherie.
En cette fin de mois d’avril, nous l’avons rencontré pour la seconde fois dans le même endroit, derrière le comptoir du restaurant. «Depuis six mois, je n’ai pas quitté ce quartier. Ce n’est pas une vie pour un sans-papiers comme moi. Vous m’avez trouvé là où vous m’avez laissé l’année dernière», dira-t-il en souriant.
A la question de savoir s’ils songe rentrer au pays, il affirmera, d’un air résolu, que cette idée n’a jamais effleuré son esprit. «Non, pas question de retourner au pays les mains vides. Je reste ici jusqu’à l’obtention de mes papiers», précise-t-il sans équivoque.
En haute Normandie, dans la ville du Havre plus exactement, en cette matinée printanière, juste lorsque les prémices de l’aube se mirent à raser le ciel, nous avons rencontré trois jeunes Algériens originaires d’Oranie. Deux d’entre eux venaient juste d’arriver en Belgique, en provenance de Grèce. «Après avoir obtenu un visa pour la Turquie, nous sommes entrés clandestinement en Grèce. Deux mois après, nous avons réussi à débrouiller des faux passeports français grâce à un Albanais.
Avec ce fameux sésame, nous avons atterri à Bruxelles. Notre cousin nous a rencontrés et Dieu merci nous sommes enfin en France», nous raconte Farid. Son périple a duré plusieurs mois, et il n’omet pas de signaler au passage que plus de 5000 Algériens croupissent dans des prisons et centres de rétention grecs et d’autres sont même condamnés par la justice pour immigration clandestine.
«Ils vivent dans des conditions inhumaines. La plupart des Grecs sont racistes à outrance», ajoute notre interlocuteur d’un air emprunt de tristesse. Son compagnon, Karim, quant à lui, reste coi. Il ne veut plus penser au passé douloureux qu’il a subi durant sa longue mésaventure qui a duré presque une année. Le comble, c’est que même en France, ce n’est pas la fin de cette mésaventure.
Une autre épreuve vient de commencer : trouver un toit et quoi manger avec seulement quelques euros dans les poches. «En quittant mon pays pour rejoindre la France, je ne vous cache pas que je n’ai fait que changer de misère.»
Cette phrase émane d’un ancien journaliste, rencontré à Wazemes, une banlieue lilloise. Une phrase lourde de sens qui résume à elle seule la situation de nos compatriotes qui vivent en situation irrégulière en Europe. Il dira qu’il a roulé sa bosse dans plusieurs quotidiens nationaux à Alger. Ambivalent, il ne sait pas choisir entre la misère du pays et celle de l’exil. «C’est pareil !», constate-t-il.
En outre, la prise en charge des émigrés clandestins par des amis et des membres de la famille, surtout pour ceux qui ne travaillent pas, est un problème. «Vraiment, je suis dans l’embarras. Je vis dans un F1 avec ma femme et mes deux enfants et chaque jour que Dieu fait, des amis et des proches me sollicitent pour les héberger temporairement. Comment faire?», s’interroge Hamed, un homme d’un certain âge originaire de Tlemcen. La situation est délicate.
Chez les flamands
Même son de cloche du côté de la Belgique. Certes, si les mesures de lutte contre l’émigration clandestine sont plus souples qu’en France, il n’en demeure pas moins que le racisme est plus élevé dans ce petit pays, selon nos interlocuteurs.
«Une bonne partie des Belges sont convaincus que ce sont les pays où l’extrême droite est au pouvoir, comme l’Autriche et la Suède, qui mènent un mode de vie plus élevé en Europe», nous dira, Kader, un Bougiote qui travaille comme réceptionniste dans un hôtel à Bruges, au nord-ouest de la Belgique, une ville touristique flamande appelée «La petite Venise».
Même si cette ville est visitée à longueur d’année par des milliers de touristes qui affluent des quatre coins de la planète, rares sont les étrangers qui s’y sont installés. «Les Brugeois n’aiment les étrangers et surtout les musulmans», nous dira encore Kader.
En revanche à Bruxelles, la capitale européenne, la communauté algérienne est très forte. Les sans-papiers aussi sont nombreux. La précarité ne les a pas épargnés. «C’est dur de vivre sans papiers ici.
Un jour, j’ai rencontré un jeune de ma région qui fait la manche devant une station de métro. C’est vraiment regrettable. Le pauvre a fini par plier bagage et rentrer au bled dernièrement», témoigne Nourdine, un jeune de la localité d’Iflissen, dans wilaya de Tizi Ouzou, qui s’est installé depuis 2006 à Bruxelles.
Les exemples de personnes, plus particulièrement les jeunes, en situation de détresse sont nombreux en Europe. Certes, certains se débrouillent et s’en sortent en se mariant avec des femmes qui ont l’âge de leur mère pour régulariser leur situation. Mais d’autres restent dans des situations délicates, d’autres sont coincés dans les engrenages de la drogue et la toxicomanie…
Même constat à Rotterdam, aux Pays-Bas, la plus grande ville portuaire du monde. La communauté marocaine est la plus importante dans ce pays. Le nombre de sans- papiers ne cesse d’augmenter ces dernières années en Hollande.
Ils proviennent généralement des pays asiatiques et du Moyen- orient. Toutefois, le nombre d’Algériens, notamment les habitants originaires de l’ouest du pays, est considérable. Des mesures draconiennes, cependant, sont mises en application par l’administration pour l’octroi de titres de séjour aux étrangers, comme un peu partout dans les pays de l’Union européenne.
«Même marié, il est difficile d’avoir les papiers. Les services de sécurité mènent plusieurs enquêtes rigoureuses sur les couples. La différence d’âge est aussi prise en considération. Au-delà de cinq ans d’écart entre le couple, le dossier est rejeté.
Un ami à moi a été expulsé, car à la mairie, le jour du mariage, il ignorait la date de naissance de sa femme. En fait, pour une simple excuse, les services de sécurité peuvent retirer la carte de séjour aux étrangers», nous raconte Samir, un étudiant algérien et militant de la cause berbère, rencontré à l’Université de Rotterdam.
Reportage réalisé par
Abdenour Igoudjil