Rencontre avec des jeunes nés après l’indépendance,Les otages d’une histoire falsifiée

Rencontre avec des jeunes nés après l’indépendance,Les otages d’une histoire falsifiée

Un petit voyage avec des jeunes nous laisse découvrir des avis impressionnants sur le rapport que ces jeunes ont, avec le pays et son histoire

«Je suis née dans une Algérie malade et grandi dans une Algérie meurtrie. Aujourd’hui, je vois mon Algérie se voiler la face, se mentir à elle-même…», regrette Dyhia, ingénieur agronome.

S’il y a bien un échec dont on ne mesure chaque jour un peu plus les conséquences, c’est bien le sort réservé à notre histoire. Exemplaire de par le monde, au regard des autres mouvements de Libération, notre guerre de Libération, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, n’est plus appréciée à sa juste valeur par la «grâce» des manipulations et des falsifications. Une situation qui crée chez l’Algérien un vrai traumatisme.

Un petit voyage avec des jeunes nous laisse découvrir des avis impressionnants sur le rapport que ces jeunes ont, avec le pays et son histoire. Kamel, enseignant d’histoire, est catégorique: «Le peu de crédit dont est crédité le pouvoir rend sa parole sur l’histoire suspecte. Les manuels scolaires sont pour lui le levier qui sert cette oeuvre honteuse tant l’écriture de l’histoire est soumise aux injonctions du présent au détriment de la vérité», poursuit cet enseignant.

Paradoxalement, cela «crée chez les Algériens une forme de curiosité à aller chercher ailleurs la vérité sur eux-mêmes. Cela n’est pas sans risque», explique-t-il. Si pour Kamel, âgé de 60 ans, «50 ans après, l’Algérie officielle a du mal à regarder dans le rétroviseur sans perdre la voie», pour d’autres, à l’image de Nacer Eddine, «les historiens préfèrent vendre des historiettes». Il avait six ans à l’indépendance. «Mon père, né en 1903, sortait de sa dernière arrestation de 2 mois (avec mon demi-frère né en 1928). Il a refusé d’aller demander les papiers de moudjahid». Il dit son rapport avec l’indépendance à sa manière. «Cette oeuvre de nos parents (la liberté), nous a échappé. Assia, 42 ans, admet ignorer à son âge «la vraie histoire de son pays. «Nous sommes nés après l’Indépendance, Ils nous ont tout caché et de ce fait, on ne connaît rien de notre Révolution», admet-elle.

Elle se contente des témoignages de ses parents, et regrette que «les vrais maquisards, ceux qui ont lutté pour l’indépendance du pays, se retrouvent marginalisés et mis au placard. J’ai honte pour ma part et je me sens coupable de vivre dans un pays où on falsifie l’histoire», regrette-t-elle. Assia est convaincue que «toute les crises que nous vivons aujourd’hui sont le résultat de ce qui s’est passé dans le passé». Elle n’est pas la seule à prôner un tel constat. Son collègue, Karim, enchaîne en estimant qu’ «il faut d’abord que l’histoire soit correctement écrite et divulguée aux concitoyens pour leur permettre d’avancer sur de bonnes bases». S’interrogeant sur ce qui est enseigné au niveau des écoles en termes d’histoire, Karim tranche court: «Ce sont plutôt des contes qu’on enseigne sur la Guerre d’Algérie».

Il faut peut-être ressusciter les morts pour connaître l’histoire de ce pays, mais hélas, cela relèverait du miracle! Dyhia, ingénieur agronome fraîchement sortie de l’université, entame par dire qu’«il y a 50 ans l’Algérie croyait avoir acquis une indépendance, aujourd’hui, il s’avère qu’elle est toujours prisonnière…. mais de l’ignorance de ses propres enfants»

Elle atteste qu’elle est née dans une Algérie malade, et grandit dans une Algérie meurtrie. Aujourd’hui, «je vois mon Algérie se voiler la face, se mentir à elle-même et vivre dans l’illusion. On nous prend trop la tête avec une histoire à moitié inventée. Au lieu de ça, on devrait aller de l’avant, car regarder en arrière ne nous servira à rien», indique-t-elle. Cependant, notre ingénieur est convaincue que «notre glorieuse histoire aurait dû faire de notre pays une force. Ensuite, je ne peux qu’être fière d’avoir comme exemple, comme modèle, des Amirouche, Krim Belkacem et autres héros qui ont fait que je sois libre…»

L’histoire continue sa marche malgré tout, les témoignages se suivront. Hamid, jeune homme de 28 ans, avoue sa ferveur pour l’histoire de son pays pendant la guerre.

«D’une part, je me sens concerné par cette histoire et d’autre part, je déplore toutes les falsifications, les déviations et les instrumentalisations de cette même histoire. Mon rapport avec l’histoire de la guerre est solide», insiste-t-il malgré tout.

De la même génération que lui, Adel, 26 ans, étudiant en économie, dira que «même si notre histoire est malmenée et mal écrite, le Cinquantenaire de l’Indépendance reste un grand jour», avant de poursuivre que «50 ans dans la vie d’une nation, c’est rien.» Optimiste, il lâche: «Je trouve que relativement, on a accompli beaucoup de choses». Si l’on représente la liberté par une colombe, c’est pour dire combien elle est fragile, et qu’elle peut filer facilement entre les mains. Pareil pour l’indépendance. Qu’en est-il de l’Algérie et de son histoire?

«L’Algérie fait peur, car elle a été orpheline de son histoire des temps des rois numides, elle fait plus peur en étant orpheline de son indépendance», dit Meziane, un jeune écrivain. Pour lui, «quand l’Algérie fusionnera avec son histoire, elle pourra aspirer à un avenir meilleur. Mais en attendant, ça tourne autour du pot». Il s’y est dégagé un certain unanimisme, selon lequel «nous ne connaissons pas notre histoire» dans cette courte rencontre avec les jeunes Algériens nés après l’indépendance, pris en otages par cette méconnaissance. Si les jeunes d’aujourd’hui au bord de la déperdition, n’évoluent pas, c’est parce que l’ancienne génération n’a rien laissé. Pas d’héritage, pas d’histoire, rien…Les jeunes sont victimes de la falsification de leur histoire.

Un peuple qui ne sait pas d’où il vient n’a pas d’avenir. Que peut-on attendre d’une société qui ne connaît pas son passé?