Rencontre avec des détenus candidats au BAC et au BEM : Cette chance qu’ils veulent saisir

Rencontre avec des détenus candidats au BAC et au BEM : Cette chance qu’ils veulent saisir

Incarcérés depuis quelques mois pour certains et longtemps pour d’autres, plus de 300 détenus (316 hommes et 5 femmes) de l’établissement pénitentiaire d’El-Harrach se préparent à passer les examens du baccalauréat et du BEM au même titre que tous les autres candidats libres inscrits pour cette session de 2012. Visite…

En prison depuis deux ans pour les plus vieux, Karim, Amir (les prénoms sont de la rédaction) 57 ans et de 58 ans et pour Brahim et Omar les plus jeunes (20 et de 19 ans). Ces quatre détenus préparent avec 312 autres prisonniers les examens du Bac et du Bem. Et pourtant dans leur blouse blanche, ils donnent plus à penser que ce sont des stagiaires de la formation professionnelle, contrairement aux femmes qui sont libres de s’habiller en « civil », pour les détenus hommes  la  tenue est réglementée. Sous leurs blouses blanches, tous du moins, ceux qui ont été condamnés portent la même combinaison orange. Dans la bibliothèque où nous les avons rencontrés, ils ont parlé de leurs motivations et  de leurs espoirs de retrouver ou reprendre c’est selon, une fois leur dette payée une vie normale. Non pas celle qu’ils ont laissé derrière eux mais une toute autre, car entre temps la prison est passée par là. La détention derrière les murs d’une prison, ils l’ont découverte pour la première fois  après avoir commis une « bêtise » , un « accident de parcours » :  émission d’un chèque sans provision pour Amir commerçant dans sa vie d’avant, où conséquence de mauvaises fréquentations pour Brahim et Omar qui l’un a commis un vol et le second a consommé un joint de Zetla  ce qui lui a valu 6 mois de prison ferme pour détention de drogue. « Ce qui est fait est fait » dira  Karim du haut de ses 57 ans.  Et d’ajouter avec cette philosophie que la prison enseigne « Il faut regarder vers l’avenir ». d’autant qu’ils sont conscients qu’à leur sortie ils ne seront plus les mêmes hommes. « C’est une expérience qui vous change, qui vous rend plus mature», ont-ils tous admis.  Avant, ils pensaient tous que la prison n’était réservé qu’aux délinquants, « mais lorsque cela vous arrive, vous réalisez qu’on est jamais à  l’abri d’une erreur » ont souligné nos interlocuteurs.

Nul n’est à l’abri

A notre question de savoir pourquoi ils s’engagent dans des études à l’intérieur de la prison, ils répondront que c’est là une occasion qui leur est offerte d’occuper à bon escient tout le temps libre qu’ils ont. « En prison il n’y a rien d’autre et du temps vous en avez à revendre » diront les deux jeunes Brahim et Omar qui se présentent l’un a BEM, l’autre au BAC. Et puis le fait d’étudier nous permet de quitter la cellule pour se rendre aux salles où des cours sont dispensés par des enseignants externes.  Interrogé de savoir pourquoi il se présente au BAC, Karim ancien cadre  administratif  d’une entreprise publique condamné à 2 ans pour un délit qu’il se refusera de dévoiler, répondra que sa démarche est motivée par trois raisons. La première est de rester en contact avec le monde extérieur, la seconde est de poursuivre des études qu’il n’a pu achever et la troisième est de bénéficier d’une remise de peine en cas de réussite. Les mêmes raisons sont invoquées par son camarade Amir qui lui a écopé de 8 ans pour émission d’un chèque sans provision. En prison, depuis 3 ans, il passe chaque année un examen pour l’obtention d’un diplôme. Après l’informatique, la maçonnerie, cette année il se présente, à 58 ans, au BEM avec la ferme intention de réussir et ce d’autant déclare-il que d’une part, les diplômes obtenus sont les mêmes que l’on donne aux autres candidats et que d’autre part, l’administration pénitentiaire met à leur disposition tous les outils pédagogiques nécessaires. En fait, c’est une espèce de mise à niveau annuelle qu’il cherche pour ne pas se faire larguer du fait de la modernisation des métiers. Sans complexe aucun, ces pères de familles dont certains ont des enfants licenciés ou vont présenter eux même le BEM cette année, avouent que l’expérience de la prison peut être bénéfique pour peu que la société fasse preuve de tolérance à leur égard après leur sortie. « C’est notre seule préoccupation » avouera Karim  qui espère sortir de prison avec un Bac lettres en poche. De son avis « il y a récidive lorsque l’ex-détenu ne bénéficie d’aucune prise en charge familiale ou sociétale ». Pour son cas, affirme-t-il, il a la chance de  bénéficier du soutien  total de toute sa famille. Il nous annoncera aussi  qu’il compte entreprendre  des études universitaires. « Je vais me lancer pour une licence de droit » a-t-il répondu à notre question de savoir à quelle voie il se destinait.  Et de préciser « c’est une conviction personnelle ». Chez les plus jeunes détenus candidats au BEM et au Bac, c’est la même détermination. Incarcéré depuis août 2011, Brahim, l’aîné des enfants (3 garçons et une fille) d’une famille moyenne de Bachdjerah  refuse à ce que sa vie future soit gâchée par une  « bêtise » commise parce qu’il n’avait pas songé à ses conséquences. N’ayant pas l’habitude ces endroits de détention, il avouera avoir eu peur le premier jour. Aujourd’hui,  près d’un  an après, 10 mois tiendra-t-il à préciser, il semble  encore perdu. Pourtant son rêve de devenir dentiste entretient en lui l’espoir d’une autre vie après sa sortie de prison. « A mon entrée en prison, j’ai entendu sur la chaîne de télévision qui passait en boucle, qu’il y avait  possibilité de s’inscrire pour poursuivre des études. Je n’ai pas hésité. A la première visite de ma famille, j’ai demandé à ce qu’on me constitue le dossier nécessaire. En novembre j’ai commencé à suivre les cours. L’administration m’a donné un cartable et des affaires scolaires » raconte encore Brahim qui le 10 juin passera son examen du BEM.

L’essentiel, c’est la réussite

Pour lui  et plus encore que  pour les plus âgés, « l’essentiel c’est la réussite ». Quant à Omar, le 3 juin il sera candidat au bac. Ayant déjà échoué de peu  l’an dernier  à cet examen avec un 9,98 de moyenne,  cette année, il compte l’avoir. Scolarisé dans une école privée lorsqu’il a été  jugé et condamné en février dernier à 6 mois de prison ferme, l’administration pénitentiaire s’est chargée du transfert de son dossier. Ce fils d’entrepreneur passera le bac en même temps que sa sœur qui elle composera dans une autre filière. « Elle est scientifique » soulignera-t-il avec une certaine fierté. A notre question de savoir ce qu’il fera de son diplôme, il répondra qu’il s’inscrira dans une école de marine. « Je veux être dans la marine marchande » dira-t-il et de nous préciser : « j’ai été l’année dernière pour m’inscrire mais on m’a dit que le bac était obligatoire ». Un bac qu’il souhaite « incha’Allah obtenir ». Et pour ce faire, il fait tout ce qu’il faut. Comme ses autres camarades du groupe, il se réveille avant 8 h. Après le petit déjeuner, il se rend en classe pour travailler. Les cours sont dispensés parfois deux fois par jour. Les candidats détenus ont été réunis dans un même groupe afin de leur permettre de réviser ensemble et de s’entraider. « Nous retravaillons les sujets des sessions précédentes » dira Omar qui lui à des lacunes en math. « Mais je suis bon en philo, en arabe et en histoire-géo ». Pourtant et en dépit de cette  assurance, il avouera qu’il stresse. « Le soir, je pense beaucoup à l’examen reconnait-il et je sens qu’une boule me serre l’estomac ». Un état  que tous les candidats éprouvent mais qui est exacerbé par la détention et l’éloignement de la famille et des amis. Du reste dans le cadre d’un programme mis en place avec l’Association de sauvegarde de la jeunesse de Abidat, des séances anti- stress sont dispensés aux candidats.    Incarcéré depuis quatre mois seulement, Omar n’en revient pas encore d’être là et dans ses grands yeux noirs se lit une détresse incommensurable.Une fragilité qui n’a pas échappé au responsable de la direction de la réinsertion qui nous a dit veiller sur lui et tous ceux qui sont dans cet état. M. Guerbi qui a une longue expérience des détenus soutiendra que l’administration pénitentiaire veille au grain.  Une disponibilité qui explique en partie le taux de réussite enregistré chaque année. Il est de plus de 50 %.

“Je veux avoir le bac pour mon père”

Moins nombreuses que les hommes, les femmes candidates au Bac et au BEM sont au nombre de 4. 3 pour l’examen du 3 juin et une seule postulera pour celui du 10 juin.  Nous avons rencontré deux candidates au bac. Il s’agit de  Zakia. M. et de Sarah T. La première citée est âgée de 52 ans. Impliquée dans une affaire de détention de drogue elle a écopé de 10 ans. Elle est incarcérée depuis 9 mois dans la prison de Bejaia. Son transfert à El Harrach  est momentané. « Je suis ici pour des raisons médicales. J’ai eu quelques problèmes cardiaques » nous-a-t-elle expliqué. Cette retraitée de Sonatrach  et qui a aussi enseigné affirme n’avoir pas hésité à replonger dans les études qu’elle a arrêté il y a 30 ans. « Je veux faire la fac de droit pour avoir mes droits » a-t-elle lancé avec assurance. Elle ajoutera qu’elle  envisage après sa licence de faire CAPA pour devenir  avocate. Encore choquée par sa nouvelle situation et son divorce intervenu après 29 ans de mariage, Mme Zakia M. affirme qu’elle se débrouille bien et qu’elle n’a pas eu de difficulté de suivre les cours dispensés. De son côté sa co-détenue et candidate comme elle au Bac, Mme Sarah.T., la quarantaine entamée, avoue stresser énormément. «  Je veux avoir le Bac pour mon père qui le mérite » confie-t-elle. Condamnée dans une affaire de détournement, cette assistante administrative qui faisait office de comptable principale a écopé de 4 ans. Après avoir bénéficié d’une grâce le 8 mars dernier, il lui reste 6 mois à purger. Depuis qu’elle est à la prison, elle a appris l’informatique, la coiffure et la couture.  Cette année elle s’attaque au Bac, alors que sa fille  passe le BEM. Elle dira que ses trois enfants savent qu’elle est en prison et que comme elle, ils attendent sa sortie. Une sortie qui pourrait intervenir prochainement si jamais elle obtient son Bac. Mais qu’à cela ne tienne, Sarah et tous les autres que nous avons rencontrés sont décidés en cas d’échec de se représenter l’année prochaine. Ils sont tous décidés à se reconstruire, une fois libérés, à vivre une nouvelle vie.

N. K.

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Être enseignant dans une prison

Mlle Nedjma (ce n’est pas son vrai prénom), est l’une des nombreuses enseignantes à venir 4 fois par semaine à la prison d’El Harrach pour donner des cours aux détenus. Fraîchement diplômée d’une licence en langue et littérature arabe, cette jeune fille n’avait jamais imaginé qu’un jour elle aura pour élèves des détenus. Rencontrée, à la fin d’un cours de sciences islamiques qu’elle venait de dispenser, elle nous dira qu’elle avait déposé une demande d’emploi au niveau de l’ANEM. L’agence lui a proposé un poste au niveau de l’établissement d’El Harrach. Après quelques jours d’hésitation, en raison notamment dit-elle des idées préconçues que l’on a sur le monde carcéral, elle fini par accepter l’offre. Elle a commencé en février 2012, et je me suis tout de suite retrouvé à enseigner deux groupes d’élèves.  « J’avais peur au début avouera-t-elle, mais après les premières séances, j’ai réalisé que mes craintes étaient  injustifiées. Au fil des semaines, entre l’enseignante et les élèves se créent les mêmes liens qui unissent n’importe quel élève à son enseignant. Le fait que certains d’entre eux soient plus âgés, cela ne l’a pas perturbé. Aujourd’hui, elle dit ne pas vouloir travailler ailleurs même si elle trouve un autre poste. A notre question de savoir pourquoi cette décision. Elle répondra, après quelques secondes de réflexion qu’elle « se sent responsable d’eux ». Et puis ajoutera-t-elle « ce contact direct avec les détenus a changé ma vision des choses et des gens ». Comme elle, plusieurs enseignants, dont 43 volontaires, majoritairement des femmes  ont fait le choix de venir enseigner au niveau de l’établissement pénitentitiare d’El Harrach.

N.K.

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Un moyen de réinsertion sociale et professionnelle

La prison a changé et les détenus qui sont incarcérés pour la première fois le réalisent. Dès qu’ils franchissent le seuil de la prison, ils sont pris en charge par l’administration pénitentiaire qui les informe, via divers moyens (direction de la réinsertion et chaîne de télévision espoir) des différentes démarches qu’ils peuvent entreprendre en vue de faciliter leur réinsertion sociale et professionnelle une fois leurs peines purgées. Ceux que nous avons rencontrés dans le cadre de notre reportage, confirment que c’est l’administration qui leur a appris qu’ils pouvaient s’inscrire pour poursuivre leurs études et/ou passer des examens de fin de cycle (Bac et BEM). « Tout est pris en charge par l’administration » indiquera M. Boudria, le directeur de l’établissement pénitentiaire d’El Harrach. « Dès son admission ici, nous informons le détenu, quel que soit son âge, qu’il a la possibilité de s’inscrire en candidat libre. Pour ce faire, il doit juste fournir un dossier administratif et nous nous chargeons du reste. Les frais d’inscription sont à la charge de l’établissement et nous lui assurons un enseignement et des cours de soutien grâce notamment à une convention qui nous lie au CNEG. D’autres enseignants viennent par le biais du ministère de l’Education  Nous avons aussi des enseignants volontaires ». Une fois les listes  établies, des plannings sont arrêtés pour suivre des cours au niveau des salles aménagées comme dans n’importe quelle école. Des quotas de  tous les livres sont remis aux élèves. « Au maximum nous avons 3 élèves par livre » indiquera M. Boudria. En fait, c’est en fonction des nombres d’élèves inscrits et de la disponibilité des livres que les livres sont répartis. Pour les révisions, la bibliothèque est mise à leur disposition. Toutefois et pour permettre aux détenus candidats au Bac et au BEM  de réviser collectivement, l’administration a concédé une exception. Celle de  réunir dans un même groupe les postulants au Bac et ceux au BEM. Il faut savoir que sur un effectif global de 2.500 détenus, 1.495 suivent des cours d’enseignement général ou de formation professionnelle. Tous les cours sont validés par les deux départements ministériels. Les sujets d’examen sont les mêmes et la surveillance des candidats est assurée par des enseignants dépêchés par le ministère de l’Education. En fait, la seule différence est que les détenus passent leurs examens à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire. Mais cela n’a pas été toujours le cas. Avant que cette décision ne soit prise de transformer l’établissement d’El Harrach en un centre d’examen, les détenus candidats aux examens du Bac et du BEM étaient transférés dans des centres à l’extérieurs sous haute surveillance. Ce qui n’était pas sans perturber et le candidat-détenu et le reste des candidats de la salle. Pour M. Boudria , qui a eu à gérer d’autres établissements, à Bechar, Chlef et  Tlemcen avant d’être nommé en 2009 à la tête de celui d’El Harrach, « il était important de préserver la dignité du détenu ». Selon notre interlocuteur toute cette démarche entre dans la cadre de la politique de réinsertion sociale et professionnelle des détenus. « La réussite importe peu, ce qui compte c’est de réussir leur réinsertion ». Pourtant le taux de réussite de 50 % peut être envié par  certains des lycées.  En fait   le challenge que s’est lancé le ministère de la justice de réinsérer le plus d’ex-détenus possible est en voie d’être gagné. On nous fera remarquer « le taux de  récidive a sensiblement baissé ». Toutefois pour M. Boudria, cet objectif ne peut être l’apanage du ministère de la Justice seulement. La famille et la société ont également un rôle à jouer. Un rôle qui est estimé à hauteur d’au moins 50 %. Et pour cause s’interrogera notre interlocuteur «  à quoi bon un diplôme, s’il ne sert pas une fois sorti de prison ». Ce qui est certain, c’est que l’établissement, pour sa part, assume pleinement ses responsabilités. Outre les facilitations accordées aux détenus candidats et le suivi dont ils bénéficient, l’établissement procède également à l’inscription de ceux qui ont été admis au Bac au niveau de l’université. Cette inscription se fait, comme pour tout autre bachelier, sur la base de la fiche de vœu qui leur sera remise.  Cette formalité est accomplie, expliquera M Boudria pour permettre au détenu de poursuivre ses études une fois libérés. « Ceux qui sont condamnés pour des peines légères peuvent bénéficier d’une grâce présidentielle » nous a-t-on expliqué. D’autres bénéficient suite à leur réussite de remises de peine. Mais il existe d’autres mécanismes qui peuvent permettre aux détenus d’entreprendre dès la prochaine rentrée universitaire leurs études. Il s’agit de la liberté conditionnelle ou de la semi-liberté. Ce régime appliqué à certains détenus, permet au bénéficiaire de sortir pendant la journée de prison pour se rendre à l’université afin de suivre les cours et de revenir le soir. C’est à la commission d’application des peines que revient la décision finale, qui est  prise sur la base de l’examen du dossier du détenu qui en fait  la demande. Cette commission qui existe au niveau de chaque cour, présidée par un juge est composée du directeur de l’établissement pénitentiaire, d’un psychologue, d’officiers et d’une assistance sociale. Une seconde  commission de  l’aménagement des peines, existe au niveau du ministère. Elle peut également statuer sur les dossiers des détenus.

N. K.