Renault ne veut pas venir…. A l’ombre de Tanger, une usine en Algérie est sans attrait

Renault ne veut pas venir…. A l’ombre de Tanger, une usine en Algérie est sans attrait

Et si Renault ne voulait pas investir en Algérie ? L’hypothèse n’est pas si farfelue. Elle expliquerait pourquoi les négociations trainent en longueur, alors que l’Algérie, qui importe pour près de cinq milliards de dollars de véhicules, n’a pas l’embryon d’une industrie automobile. Perte de temps, d’argent, et immense manque à gagner en matière de savoir et d’organisation industrielle et commerciale.

Renault en Algérie : le feuilleton connait des lenteurs inutiles. Malgré l’annonce d’un « accord-cadre » conclu le 25 mai, le dossier est toujours au point mort. Et rien ne laisse entrevoir une avancée significative dans l’immédiat, tant les deux parties paraissent, non en désaccord, mais en déphasage complet : l’accord parle de poursuite des négociations, sans plus.

Pour la partie algérienne, les handicaps sont connus : absence de stratégique, méconnaissance du marché international de l’automobile, incohérence dans la démarche, amateurisme et légèreté des négociateurs, etc. A un point tel qu’un ministre en charge du dossier avait annoncé, durant l’été 2010, que la première voiture algérienne sortirait de l’usine avant la fin de l’année, alors qu’aucun accord n’avait été signé. Cette incohérence apparait aussi dans les propos du premier ministre Ahmed Ouyahia, qui ironisait, fin mai, sur un accord conclu, « parait-il », pour installer une usine en Algérie, ce qui montrait clairement que le dossier faisait l’objet de désaccords au sein même du gouvernement et des cercles dirigeants du pays.

Ce comportement de la partie algérienne avait progressivement irrité les dirigeants de Renault, qui ont peu à peu abandonné l’idée de s’installer en Algérie. Pour eux, les difficultés étaient insurmontables. Certes, il y avait l’attrait du marché algérien, qui devrait dépasser le cap du demi-million de voitures avant 2015. Il y a aussi le financement disponible, assuré par des réserves de change très élevées et un volontarisme forcené dans l’investissement public.

Mais tout ceci ne pouvait contrebalancer tous les désagréments subis par le constructeur français : impossibilité de trouver un interlocuteur crédible, viscosité des centres de décision, et une bureaucratie assommante, sans qu’il ne soit jamais possible de savoir où s’arrêtait la bêtise de l’administration et où commençait la décision politique.

Renault ne voulait pas pour autant rater le coche d’une installation au Maghreb. Il a choisi le Maroc, où le Roi Mohamed VI a offert les facilités nécessaires pour une usine qui devrait atteindre 400.000 véhicules en période de croisière. La production a débuté à la fin du premier trimestre 2012, avec un objectif de 170.000 véhicules par an, grâce à un investissement d’un milliard d’euros.

Le démarrage de l’usine de Tanger libère Renault, qui n’a plus intérêt à investir en Algérie. Quel intérêt aurait-il à construire une usine qui s’installerait en compétition avec celle de Tanger, alors que l’industrie automobile européenne est en pleine restructuration ? De plus, Renault, dont l’Etat français est actionnaire, a été vivement critiqué pour la délocalisation de sa production. Il n’a donc aucun intérêt à se créer de nouveaux problèmes alors que le projet algérien parait plein de difficultés.

Reprenant cet argumentaire, des proches du premier ministre Ahmed Ouyahia, sous couvert de l’anonymat, accusent clairement Renault de ne pas vouloir s’installer en Algérie. Pour eux, le constructeur français a délibérément fait trainer les négociations depuis qu’il a pris sa décision de s’installer au Maroc. Il soulevait les problèmes l’un après l’autre, pour faire achopper les négociations, sans jamais rompre totalement. Il ne fallait pas que Renault, premier vendeur de voitures en Algérie, apparaisse comme étant à l’origine de la rupture. Bien au contraire, il devait montrer une grande disponibilité, pour pousser la partie algérienne à la faute.

Pour les experts de Renault, ceci était un jeu d’enfants : les négociateurs algériens ne connaissaient pas l’industrie automobile, et présentaient des propositions farfelues, sur l’intégration, la formation, la sous-traitance, etc. Le seul emplacement du projet a fait l’objet de multiples séances, durant lesquelles les négociateurs algériens tentaient d’imposer leur vision de l’aménagement du territoire, pendant que Renault parlait de main d’œuvre qualifiée et de proximité des universités, ce qui donnait lieu à un dialogue de sourds.

Véto français

« Les arguments de Renault sont souvent solides. Mais ils sont surtout excellents pour faire trainer la négociation, et obtenir de meilleures conditions quand le moment sera venu», nous a déclaré un expert algérien qui a travaillé sur le dossier il y a plus de dix ans. Cet économiste estime peu probable un accord dans l’immédiat. « Cela fait un quart de siècle qu’on négocie. On peut bien négocier encore quelques années », a-t-il ironisé, ajoutant que « la seule manière de doter l’Algérie d’une industrie automobile aujourd’hui est pourtant de le faire avec un partenaire français, car la partie française est suffisamment influente pour empêcher tout accord avec des parties tierces ».

Pour lui, Renault hésite, car il est partagé entre deux contraintes : d’un côté, les problèmes liés à l’investissement en Algérie, et d’un autre côté, sa volonté de renforcer son emprise sur le marché algérien. « Renault temporise, pour ne pas dire qu’il se désintéresse de l’investissement en Algérie, car il sait que personne viendra à l’heure actuelle », dit-il.

Partage-t-il l’opinion d’un proche de M. Ouyahia, selon lequel Renault veut empêcher la partie algérienne de se tourner vers d’autres partenaires ? Cet expert est encore plus tranché : la négociation avec Fiat, depuis les années 1980, avait échoué « à cause d’un véto français », dit-il, rappelant que le patron de Renault, Carlos Ghosn, avait déclaré en février dernier qu’il n’était « pas question de laisser qui que ce soit venir construire en Algérie ».

Si cette hostilité du constructeur français à l’implantation d’une industrie automobile en Algérie se confirme, elle trouverait un solide allié auprès des concessionnaires installées en Algérie. Ceux-ci ont vendu près de 400.000 véhicules en 2011, pour un chiffre d’affaires qui frôle les cinq milliards de dollars. Un industriel, fabriquant de pièces de rechange automobiles, soumis à une forte pression des produits importés, est catégorique : les importateurs agissent de manière coordonnée pour empêcher l’émergence d’une industrie automobile algérienne. « Le marché automobile algérien échappe complètement à l’Algérie. Il est totalement contrôlé par des marques étrangères, qui n’ont aucun intérêt se retrouver contraintes de le disputer à un nouveau partenaire soutenu par les autorités algériennes », dit-il.