Augmenter la capacité de production du complexe d’El Hadjar
Quelle sera la rentabilité du complexe algérien au sein de la filière sidérurgique internationalisée?
Le gouvernement algérien vient de renationaliser en ce début d’octobre 2013, officiellement, le complexe sidérurgique d’El Hadjar en accord avec le groupe ArcelorMittal. Comme j’ai eu à le souligner dans un récent interview (1) à Radio France Internationale, – RFI, ArcelorMittal employait début 2012 environ 260 523 salariés dans plus de 60 pays dont 53% en Europe avec un chiffre d’affaires selon son bilan officiel de 91,9 milliards de dollars, la moitié du produit intérieur brut algérien estimé à 180 milliards de dollars en 2012 (les véritables entreprises ne contribuant qu’à hauteur de 20% du PIB), étant le leader mondial dans le domaine de l’acier et des mines. ArcelorMittal est donc une multinationale qui a une stratégie de filières mondialisées et s’implante là où les coûts sont bas et la demande segmentée élevée, animée par la seule rentabilité économique. Dans la pratique des affaires, il n’existe pas de sentiment. Aussi, se pose cette question stratégique: au sein d’une économie mondialisée, quel avenir pour la filière sidérurgique en Algérie?
Tensions sociales
1.-Il s’agit d’abord de situer le contexte économique algérien, inséparable du politique. L’Algérie est une économie rentière. Pour preuve, 98% des exportations proviennent dune seule ressource, les hydrocarbures et donc l’économie est indirectement connectée via cette rente à l’économie mondiale où le cours du pétrole connaît un prix relativement élevé. Sonatrach a engrangé environ 600 milliards de dollars entre 2000/2012 selon ses bilans ayant permis une dépense publique programmée de 500 milliards de dollars entre 2004/2013 et des transferts sociaux estimés par la loi de finances 2012 à 18 milliards de dollars et accru à 22 milliards de dollars en 2013 selon l’avant-projet de loi des finances pour assurer la paix sociale.
Les impacts n’ont pas été proportionnels à ces dépenses puisque le taux de croissance réel qui aurait dû dépasser les 10% a été en moyenne entre 2004/2013 de 3% selon le FMI. Dans les pays à économie de marché, une unité non rentable économiquement ferme. En Algérie, et cela n’est pas propre à El Hadjar, l’Etat algérien via la rente a assaini les entreprises publiques entre 1971-2012 pour plus de 50 milliards de dollars dont 70% sont revenus à la case de départ. A l’approche de l’élection présidentielle en Algérie d’avril 2014, et avec les tensions sociales actuelles, le gouvernement n’est pas préoccupé par la rentabilité économique, reportant les problèmes qui se poseront à terme car on ne peut distribuer éternellement que ce qui a été préalablement produit, la rente étant éphémère. D’ailleurs, c’est tout le débat actuel qui divise tant les économistes et les politiques sur le retour au protectionnisme conséquence de la crise mondiale avec le retour en force des partis populistes en Europe, mais qui ne saurait signifier le retour utopique au tout Etat, mais à l’Etat régulateur conciliant efficacité économique et équité (les politiques parleront de justice sociale). Cette démarche doit s’appliquer d’ailleurs à l’urgence d’une nouvelle reconfiguration des relations économiques internationales afin d’éviter ce déséquilibre préjudiciable à l’avenir de l’humanité entre le Nord et le Sud.
2.-Pour la renationalisation du complexe d’El Hadjar qu’en est-il exactement pour l’Algérie? Le complexe d’El Hadjar avait été cédé à Mittal en 2001, qui détenait 70% et 30% par l’Etat algérien à travers Sider. Depuis 2 ans, des problèmes de trésorerie se posent à ce complexe, ce qui a poussé la Banque extérieure d’Algérie, qui est en même temps la Banque de Sonatrach, expliquant son aisance financière, à octroyer en urgence un prêt de 140 millions d’euros pour financer le développement de sa production au-delà du seuil de rentabilité de 1,8 million de tonnes annuelles.
Il est à noter que le complexe de sidérurgie d’El Hadjar, n’a produit en 2012, que 580 000 tonnes d’acier, alors que l’objectif initialement fixé était de parvenir à produire 700 000 tonnes pour l’année 2012. Nous avons assisté par le passé à un dialogue de sourds. La direction du complexe reproche notamment, à Sonatrach et Sonelgaz les plus gros demandeurs d’importer au lieu de s’adresser au complexe et les deux principaux groupes algériens reprochant à ArcelorMittal de ne pas se conformer aux normes de sécurité et de qualité. Le futur complexe sidérurgique de Bellara (sud-est de Jijel) entre Sider et Qatar Steel International selon la règle des 51/49%, n’est-il pas déjà un substitut au complexe d’El Hadjar et allégera-t-il les tensions sur l’acier du fait que l’Algérie importe une grande quantité? La production de ce nouveau complexe d’un coût estimé environ à 1,7 milliard de dollars, serait en principe à l’horizon 2017, au titre d’une première phase, 2 millions de tonnes d’acier par an avant de passer à 4 millions de tonnes pour répondre aux besoins du marché national en rond à béton et autres aciers à l’horizon 2019 avec la création de près de 2000 emplois directs (le tiers d’El Hadjar pour une production plus importante). Par ailleurs, l’Algérie n’ayant pas besoin d’argent frais, le groupe qatari apporte-t-il le savoir-faire managérial et technologique? A quel prix sera cédé le gaz principal input pour la production, un dixième du prix international et quels est le montant et la période des avantages financiers et fiscaux accordés par l’Etat algérien, donnant des rentes de situation, en fait un transfert de la rente des hydrocarbures, contraire aux règles de la concurrence et pouvant voiler une gestion optimale? C’est que les importations algériennes de fer ont dépassé les 20,5 millions de tonnes pour une valeur de 9,67 milliards de dollars durant les 14 dernières années (1998 à 2011), d’après le Centre national de l’informatique et des statistiques (Cnis). Selon le Cnis, le fer et l’acier ont coûté à l’Algérie 1,97 milliard de dollars en 2012, contre 1,83 milliards, soit une hausse de 8,16%, alors que la valeur de l’importation de ciment a atteint 244,4 millions de dollars en 2012 contre 125,5 millions de dollars en 2011, soit une hausse de 94,67%, contribuant ainsi à une augmentation de 11,67% de la facture des importations des matériaux de construction.
Ouenza et Boukhadra
Toujours selon la même source, l’Algérie consomme environ 5 millions de tonnes en fer et en acier, et ne produisant que 1,5 million de tonnes, soit environ 10% de la demande nationale. Aussi, en attendant, pour sauver l’unique complexe sidérurgique du pays employant 7000 personnes d’une cessation d’activité, il a été décidé par le gouvernement de reprendre le contrôle, le groupe public Sider augmentant sa participation dans AMA de 30% à 51% avec un plan d’investissement de 763 millions de dollars (565 millions d’euros) destiné au complexe sidérurgique de Annaba et aux mines de l’Ouenza et de Boukhadra. Une grande partie de l’investissement relatif à la modernisation du complexe, 600 millions de dollars environ, sera financée à travers un crédit bancaire devant être accordé par une banque algérienne.
L’investissement à engager par les fonds propres des deux partenaires sera de l’ordre de 123 millions de dollars. ArcelorMittal gardant le management, Sider préside le conseil d’administration, cet accord prévoit un important plan de développement des ressources humaines au travers de formations intensives destinées aux employés afin de s’adapter aux nouvelles technologies prévues pour le site. L’objectif est d’augmenter la capacité de production du complexe d’El Hadjar (Annaba) à 2,2 millions de tonnes par an, de renforcer les capacités de l’aval par l’implantation d’un nouveau laminoir de rond à béton et de fil machine d’une capacité de 1 million de tonnes. Cela impliquera la modernisation de la filière fonte de Annaba, notamment du haut-fourneau, ainsi que les installations de préparation matière, aciéries et laminoirs existants et la construction d’une nouvelle filière électrique.
3.-Ces mesures seront-elles pérennes pour avoir un coût et des qualités qui répondent aux normes internationales, et ne risque-t- on pas de reproduire les assainissements à fonds perdus comme par le passé, d’autant plus que l’Algérie est liée à un Accord de libre-échange avec l’Europe dont le dégrèvement tarifaire zéro est prévu à l’horizon 2020 et qu’elle aspire à adhérer à l’Organisation mondiale du commerce?
L’Algérie peut-elle continuer dans la voie du tout-Etat? Je pense qu’il faille se démarquer de l’ancienne culture et comme je l’ai souligné précédemment, différencier l’Etat régulateur, rôle stratégique en économie de marché concurrentielle comme facteur de cohésion sociale à l’Etat gestionnaire qui a montré de par le monde ses limites. Car il y a cette volonté du gouvernement algérien de devenir majoritaire, grâce à l’aisance de la rente des hydrocarbures, dans tous les secteurs, généralisant les 49/51% alors qu’il y a lieu de réaliser un ciblage pour les secteurs stratégiques, et les subventions toujours sans ciblage avec un gaspillage des ressources financières. Devant éviter toute solution à résonance populiste et nous en tenir aux indicateurs de rentabilité, devant privilégier la valeur ajoutée interne, l’Algérie étant appelée à vivre au sein d’une économie ouverte, quelle sera l’attitude d’ArcelorMittal qui a une stratégie internationale et cette renationalisation sera-t-elle rentable? D’autant plus qu’excepté certains secteurs dont le bâtiment, travaux publics, logements où certains segments non stratégiques où les partenaires étrangers ont accepté la règle des 49/51% prenant peu de risques, l’éventualité d’une non-rentabilité, donc les surcoûts sont pris en charge par l’Algérie. Le risque est d’autant plus important que l’Algérie va vers l’épuisement de ses ressources en hydrocarbures. Si à court terme, pour le pétrole, cela ne pose pas de problème (l’Algérie détenant moins de 1% des réserves mondiales), pour le gaz, il en est autrement, car depuis 3 à 4 ans et cela continuera, il y a une totale déconnexion vis-à-vis du prix du pétrole. En plus de nouveaux concurrents, des canalisations dont la rentabilité est faible, de la pétrochimie sous contrôle oligopolistique à l’échelle mondiale, cela n’a pas été pris en compte dans la nouvelle loi des hydrocarbures.
Enjeux de la mondialisation
Quelle sera l’attractivité de la nouvelle loi par rapport à d’autres pays, notamment en Libye et certains pays d’Afrique et du Golfe? La réponse est mitigée selon le Financial Times et selon l’agence Reuters, cela ne peut que conduire à une baisse de production en pétrole et en gaz, ces dernières années. Or, le niveau de la dépense publique dépasse les 110 dollars (fonctionnement et équipement), et le rapport de l’Opep de juillet 2013 avance 125 dollars, et non pas 71 dollars comme vient de l’affirmer en septembre 2013 le ministre des Finances algériens, quitte à procéder à de vastes licenciements qui peuvent accroître les tensions sociales déjà vivaces. Et cela sans oublier la stratégie offensive du géant russe Gazprom à travers le South et le North Stream (120 milliards de mètres cubes gazeux) expliquant le gel du gazoduc Galsi Europe/via Italie d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui devait être opérationnel en 2014. Qu’en sera-t-il, donc à l’expiration prochaine des contrats à moyen et long terme si la bulle gazière persiste, notamment du mémorandum énergétique avec l’Europe principal client de l’Algérie? L’on ne devrait pas oublier également l’impact de la révolution du gaz/pétrole de schiste aux USA qui risque de bouleverser la carté énergétique mondiale avec pour finalité une baisse des prix de cession du gaz, devenant premier producteur mondial et exportateur, les recettes en devises de l’Algérie en provenance des USA étant estimées à environ 25%. Aussi, malgré ses importantes réserves, outre le risque de la détérioration de l’environnement sans maîtrise du savoir-faire, du coût des canalisations additionnelles, qu’un million de mètres cubes d’eau douce pour un milliard de mètres cubes gazeux, l’Algérie étant un pays semi-désertique, le gaz de schiste algérien est-il rentable?
Cela pose l’urgence pour l’Algérie d’une transition rapide d’une économie fondée sur la rente à une économie hors hydrocarbures elle même liée à l’urgence d’une transition énergétique et son adaptation aux enjeux de la mondialisation.