Nous vivons une période si mouvante et si évolutive d’une géopolitique en mouvement. Le centre de gravité s’est déplacé à une vitesse vertigineuse dans les pays arabes et avec lui le théâtre des grands enjeux de l’Avenir.
Le XXIe siècle s’annonce dans ses premières décennies comme celui d’un bouleversement majeur. La notion de surprise, l’inattendu de l’Histoire est venu par la Tunisie considérée comme maillon le plus faible, suivie de l’Egypte qui a longtemps façonné les relations arabes dans une vision pérenne de l’axe stratégique de la politique américaine et israélienne dans toute la région du Moyen-Orient. Zine El Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak pris par la déferlante populaire, ont succombé au sens politique et révélé, par voie de conséquence, la fin des dictatures, fussent-elles au service de l’Occident. En s’adressant aux Musulmans du monde, depuis l’université du Caire le 4 juin 2009, le président Obama avait donné le signal des changements devant s’opérer dans les systèmes politiques en appelant au renouvellement générationnel impliquant de nouveaux acteurs politiques dans la gouvernance des pays arabo-musulmans. Depuis la vision de Brezinski sur l’anarchie créatrice en passant par le GMO(Grand Moyen-Orient) décidé du temps de G.W.Bush, à l’UPM (l’Union pour la Méditerranée) initiée par le président Sarkozy au-delà de l’échec du Processus de Barcelone, l’idée était et reste à ce jour comment aboutir à une politique admise par l’ensemble des pays arabes pour une normalisation avec l’Etat d’Israël?
Génération Facebook ou nouvelle militance
En appelant aux opinions publiques dans les divers pays arabes et musulmans, passant outre les gouvernements, le président Obama et Mme Hillary Clinton, cette dernière qui avait inscrit la liberté d’utiliser l’Internet parmi les droits de l’homme, annonçant dès le 21 janvier 2010 que les réseaux mondiaux doivent permettre la liberté de se connecter. La communication sociale par le Facebook, le Twitter etc. révèle la nouvelle géostratégie entamée par le département d’Etat en préconisant «que la mesure de la puissance en ce XXIe siècle sera la connectivité et la faculté d’agir en réseaux». La «nouvelle militance» c’est celle de la cyber-manifestation. La Toile nourrit à la fois les espérances et les craintes.
Une nouvelle ère est en train de se dessiner. Nous vivons un tournant sans doute en rupture avec les alliances traditionnelles mettant en exergue la nécessité de remettre le flambeau à la génération du cyber, faisant ainsi une coupure après le cinquantenaire des Indépendances nationales des pays anciennement colonisés. L’après-guerre froide, la chute du mur de Berlin et la dislocation des démocraties populaires de l’Europe de l’Est en passant par l’éclatement de l’Urss rendaitent possible la transition de l’ordre de Yalta à celui de Malta.
La nouvelle stratégie énergétique
Le Moyen-Orient, y compris les monarchies du Golfe, le Proche-Orient, le Maghreb, nul ne sera épargné par la nouvelle configuration du monde. C’est à un mouvement structurel dans sa sphère géopolitique et stratégique, qui englobera non seulement les pays arabes et musulmans mais sera étendu dans d’autres contrées dont les plus immédiats l’Iran et la Corée du Nord, centre de deux crises ouvertes.
Depuis l’invasion anglo-américaine en Irak et la chute de Saddam Hussein accusé de cacher les armes de destruction massive, les appétits énergétiques pour les besoins de l’économie mondiale n’ont pas cessé de mettre des stratégies d’occupation convoitant toutes les sources d’énergie dans le monde depuis le Moyen-Orient en passant par la mer Caspienne.
L’axe de la crise et théocratie chiite
Il reste cependant clair que toute la stratégie américaine dans cette région du monde, qui connaît les révoltes ou révolutions, s’articule fondamentalement à la fois sur l’approvisionnement en hydrocarbures, car la sécurité de l’énergie est toujours assimilée à la «défense de l’américain way of life», mais essentiellement sur la sécurité d’Israël.
Si l’effet domino a touché l’ensemble des pays arabes à hauteur des enjeux géopolitiques de chacun, le processus de paix au Moyen-Orient reste incontestablement lié à la nouvelle stratégie dont les think tank occidentaux n’ont cessé de moduler les différents scénarios pour y parvenir. Hamas et Hezbollah sont considérés comme deux épines dans la stratégie occidentale liée à l’existence d’Israël.
Ce qui fait peur à Israël c’est l’assistance de l’Iran au courant chiite dont la Syrie se voit être accusée. Le processus de paix engagé sous le parrainage des grandes puissances, plusieurs fois avorté, n’ouvre pas les perspectives d’une solution durable même si le président de l’Autorité palestinienne tend à souder l’unité des rangs palestiniens altérés par les différentes manipulations extérieures. La question kurde réveillée par l’intervention en Irak, la consolidation de l’axe chiite tend à raffermir la solidarité sunnite. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe au Bahreïn, au Yémen, en Arabie Saoudite, à Oman pour voir comment se présente la situation dans cette sous-région. On peut même dire que l’axe de crise s’étend des rives de l’océan Indien avec une théocratie chiite cherchant à s’affirmer dans la région.
Le coeur des enjeux géostratégiques
La question iranienne concentre tous les grands enjeux géostratégiques qui impliquent le règlement du problème palestinien et les réformes politiques des pays arabo-musulmans sont au centre de la nouvelle stratégie du monde. C’est ce qui laisse dire à un expert d’un institut stratégique que «le désarmement nucléaire passe par la résolution des grandes questions géopolitiques et par voie de conséquence, la menace iranienne est devenue une obsession existentielle pour Israël». La révélation des communiqués publics de tous les diplomates américains, vers le désenchantement final et la divulgation massive des documents du département d’Etat américain par WikiLeaks, constituent le point d’inflexion dans la décomposition de l’ordre international à venir. Mais ceci va nous mener vers la crise systémique globale, dès le second semestre 2011, avec l’explosion de la bulle des dettes publiques occidentales dont les effets commencent à se sentir au Portugal, Espagne…qui menace même la monnaie unique européenne.
Crises et convoitises
Nous voyons que la guerre depuis la «tempête de sable» en Irak reste pour tout analyste une question d’énergie. Le marché énergétique demeure stratégique. Les conflits d’aujourd’hui portent moins sur le contrôle actuel que sur celui à venir. Toutes les révolutions dans le Monde arabe et musulman sentent l’odeur du pétrole.
Après Tchernobyl et le séisme qui a frappé le Japon touchant les installations, le nucléaire civil tend à être remplacé soit par le solaire ou l’énergie renouvelable dont le gaz et le pétrole constituent, pour des décennies, la source d’approvisionnement de l’économie mondiale. Il sera pensé des stratégies autour de cette problématique. Il n’y a qu’à voir l’étude du géologue Jean Laherrère (Futur of Naturel Gas Supply) qui a dressé un état des lieux du Gaz naturel dans le monde. Les USA et l’Europe connaîtront des difficultés majeures et les inquiétudes globales quant à la demande projetée.
Voilà une autre raison de voir clair dans ce qui se passe dans le Monde arabe au nom de la démocratie et du combat pour des gouvernances moins dictatoriales dont les peuples revendiquent plus de transparence pour lutter contre la corruption devenant structurelle et systémique. La consommation mondiale de gaz a atteint 2750 milliards de mètres cubes déjà en 2005. Le gaz ne peut offrir, selon des spécialistes, qu’un sursis d’environ 60 ans de réserves mondiales. Pour ce qui est du pétrole, l’Opep ne dispose que de 81% des réserves, elle ne produit que 41% du pétrole consommé dans le monde. Les réserves de pétrole représentent aujourd’hui 40 ans de consommation. En analysant l’ouvrage de Jacques Attali «Tous ruinés dans dix ans» Dette publique la dernière chance, publié par Fayard en 2010, la dette publique européenne représente 80% du PIB avec comme indications: la France est le premier emprunteur d’Europe avec 454 milliards d’euros, l’Italie avec 393 milliards d’euros, l’Allemagne avec 386 milliards d’euros et la Grande-Bretagne 279 milliards d’euros, on se demande comment il est même difficile de détecter une bulle qui est à l’origine de la crise actuelle.
Au-delà de la succession immédiate d’événements, la tonalité des changements en rupture avec une certaine gouvernance dépourvue d’idéologie décrypte difficilement de quoi sera fait le monde de demain. L’incroyable fragmentation d’une scène internationale plus que jamais dominée par la diversité, la complexité et plus encore, le jeu de chacun pour soi où chacun cherche à tirer le maximum d’avantages des difficultés de l’autre, tout en croyant encore pouvoir échapper aux effets déstabilisants et contaminants des malaises du voisin.
Loin des illusions et l’érosion des certitudes, la période actuelle montre au grand jour la nouvelle politique américaine dans le façonnement des équilibres et des rapports de force mondiaux. Nul n’est épargné face à la crise systémique.
Les chemins du chaos
Les Nations unies s’en trouvent dépossédées en faveur de coalitions ad hoc dont l’Otan assure de plus en plus la logistique laissant une odeur où le fantasme de la croisade renait de ses cendres. La stigmatisation de l’Islam ou plus pudiquement de l’islamisme politique s’y est ajoutée renforcée par la crise née du 11 Septembre 2001.
Nous vivons donc un choc violent et imprévisible en ce 2011 qui va s’étaler jusqu’en 2013. L’état de délabrement du système international est désormais tellement avancé que sa cohésion est à la merci de toute catastrophe d’envergure.
La bille de la crise tourne et chacun retient son souffle. Il faut s’attendre à plusieurs explosions de bulles. Tous les pays satellites de l’Occident en général et des USA en particulier seront sur le chemin des chocs. La rue va être la nouvelle courroie de transmission des doléances citoyennes d’où l’obsolescence des Parlements hérités des indépendances nationales. La récession et la crise vont sévir en Europe et ralentir sans nul doute la croissance des Etats-Unis. La dette publique américaine dépassera les onze trillions de dollars et connaîtra une ascension fulgurante dans l’avenir proche.
Comment financer le système bancaire en crise par les actifs douteux? Le dollar ne tiendra que par la bénédiction de Pékin. Le gouvernement américain devra rembourser 850 milliards de dollars d’obligations et financer un déficit d’au moins mille milliards de dollars. Le 8 novembre 2010, Ambac Financial, l’assureur obligataire américain et réhausseur de crédit, s’est inscrit sous protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites aux Etats-Unis. Il faut dire que l’essentiel des produits financiers que l’on nomme produits dérivés sont des CDS (Crédit Default Swap), c’est-à-dire des contrats d’assurance cotés sur le marché surtout hors bilan n’apparaissant pas sur le livre de comptes et donc considérés comme actifs fantômes.
Ce sont ces produits dérivés (métastases) qui sont au coeur même de la crise financière actuelle. Et les Etats-Unis possèdent plus de 200.000 milliards de dollars de produits dérivés soit trois fois et demi le PIB mondial dont la plupart détenus par quatre banques. Les budgets des pays membres de l’Union européenne auront besoin d’emprunter 1,6 trillion d’euros. La dette publique européenne représente 80% du PIB de l’Union. Celle de la Grande-Bretagne avoisine les 100% du PIB. Aucun ratio n’est pertinent pour prédire le déclenchement d’une crise sauf la part du service de la dette dans le budget lorsqu’il atteint les 50% des recettes fiscales, alors, le désastre est inévitable. La Chine plus puissante et mieux intégrée avec ses 1950 milliards de dollars de réserves de change aurait déjà investi 739 milliards de dollars aux USA.
Les démocraties européennes vivront une situation catastrophique. Voilà un élément qui semble être pris en considération dans le lien organique entre révolution arabe et crise financière de l’Occident. Le pire reste encore possible car le paysage mondial est aujourd’hui très inquiétant. C’est là, peut-être, une lecture différente dans l’approche de la géopolitique du moment. L’euro sera lui aussi discrédité de même que la livre sterling accentuant l’étape de la guerre que nous sommes en train de vivre à travers les «révolutions» arabes au nom de la démocratie. C’est peut-être le lien à faire entre ce qui est appelé le «Printemps arabe» et la crise de la dette publique des pays les plus puissants du monde.
Face aux menaces: quelles anticipations?
Le Monde arabe est en train de vivre sa mue systémique.
La dimension de la crise multiforme s’est accélérée à une vitesse vertigineuse. En ce temps de profonds bouleversements, de risques et d’opportunités, quelle démarche en vue d’emprunter les meilleures voies qui garantissent un présent et un futur de sérénité et de communion? Une gouvernance publique efficace doit refuser d’abord tout fatalisme. Nous sommes dans un monde global où nul n’échappe. Les ferments sociaux s’ils ne sont pas maîtrisés risquent de dégénérer en malaise. Il faut bousculer les pesanteurs et admettre que la Jeunesse doit être associée à toute action de rénovation. La crise a donné un ton d’urgence.
Il faut se détacher d’une certaine vision passéiste longtemps formatée dans un moule qui étouffe et brouille les horizons de l’espérance. Aujourd’hui, la Toile nourrit les esprits dans le sens de s’exprimer librement de leur quotidien. Elle façonne des comportements qui combattent tous les maux tels la corruption, la hogra, la bureaucratie, l’autoritarisme et les inégalités. De nouveaux rapports à la politique se construisent par le bas, loin des schémas classiques.
Les nouvelles générations se voient en rupture avec les modes de gouvernance qui ont, à ce jour, dirigé les institutions de la République.
Notre responsabilité est d’offrir aux jeunes les moyens pour occuper la place qu’ils méritent dans le monde de demain, permettre à notre société d’investir plus et mieux dans sa jeunesse pour conforter sa confiance aux gouvernants. Les mutations technologiques et sociopolitiques en cours bouleversent chaque jour nos modes de vie et la hiérarchie des puissances.
Car les menaces et les défis qui se posent à nous comme aux autres dans ce présent désordre stratégique passent inévitablement par la manière d’avoir assimilé les contours de la nouvelle gouvernance du monde. La sécurité énergétique, le défi alimentaire et les tensions autour du partage de l’eau, le réchauffement climatique, le fonctionnement démocratique des institutions sont pour l’essentiel le socle des nouveaux rapports de force.
C’est autour du fonctionnement des institutions que se mesure la capacité des gouvernants à déceler les failles pour anticiper dans l’urgence des priorités. En fait, ce XXIe siècle annonce déjà un bouleversement majeur dans la répartition du pouvoir et la manière de le régenter. Le monde est doté d’environ 23.000 têtes nucléaires qui constituent, à tous égards, des menaces à la paix. Alors que le marché des nano technologies passera à 2600 milliards de dollars en 2014, la force de frappe des hackers rend possible la menace de cybercriminalité.
Quel destin sera réservé pour toutes ces révolutions arabes si seulement l’objectif avoué étant celui de mettre des régimes démocratiques avec alternance déjà imposée pour permettre aux générations de ces pays d’accéder à la gouvernance de ces Etats?
Peut-on parler de rupture dans la manière de conduire les affaires de l’Etat et donc de pouvoir amorcer l’ère d’un style de gouvernance d’une génération capable d’assumer son devenir face aux mutations systémiques qui ont sonné le glas au changement d’une époque qui se détache épistémologiquement de celle vécue dans l’euphorie des indépendances nationales?
C’est dans la sérénité des actes et non dans la précipitation que l’agenda des réformes sera établi en fonction des données objectives de chaque société. Car le déroulement des transitions dans les pays que nous observons, nous rappelle le pluralisme médiatique et politique engagé par la Constitution de 1989.
Le Parti/Etat s’est disloqué rendant tous les biens et locaux aux Domaines de l’Etat. Le parti FLN fera sa mue dans l’ambiance de la pluralité des partis perdant partout sa majorité aux différentes élections. Ses militants s’adapteront progressivement au nouveau paysage politique. C’est ce que nous constatons, aujourd’hui, dans ces révolutions arabes en quête des réformes constitutionnelles et institutionnelles.
L’Algérie a payé le prix fort en pertes humaines et matérielles dans sa mutation vers la démocratie, alors que nous étions seuls à combattre le terrorisme qui allait ébranler les fondements de l’Etat moderne dans son unité et sa diversité. Au regard des armées égyptienne et tunisienne qui balisent pour ne pas que la situation ne dérive vers l’inconnu, l’ANP est restée une des seules armées républicaines dans le Monde arabe lorsqu’elle était confrontée à lutter contre le terrorisme transnational. Parce que héritière de la glorieuse ALN, elle restera l’armée du peuple. Quelles que soient les décisions qui seront prises pour la continuité des réformes déjà engagées, il est certain que l’Algérie sortira par la sagesse de son Président et des instances dirigeantes à révéler au monde la maturité de son peuple qui connaît les sacrifices qu’il a endurés pendant les moments les plus sombres du terrorisme. Sa Jeunesse sera le porte-flambeau de la gouvernance. Elle en a le mérite pour peu qu’on lui laisse sa chance.