À l’inverse des relations avec le Maroc et la Tunisie, les rapports que Washington a entretenus et entretient encore avec Alger sont assez complexes et comportent même des différences de vue.
Ce point de vue a été défendu par le professeur Yahia Zoubir, dans le numéro 200 (été 2009) de la revue Maghreb-Machrek. Sous l’intitulé “Les États-Unis et l’Algérie : antagonisme, pragmatisme et coopération”, le spécialiste des relations internationales et de la géopolitique retient parmi ces antagonismes, la politique étrangère de l’Algérie et l’opposition de cette dernière aux “visées hégémoniques” des États- Unis. Le chercheur algérien cite aussi un autre facteur, lié cette fois à la perception qu’ont les dirigeants algériens des “relations privilégiées” entre leur rival, le Maroc, et les États-Unis — comme d’ailleurs sur les rapports franco-marocains. Des relations qui, de son avis, sont ressenties comme une menace pour les intérêts de l’Algérie. Cette situation aurait contraint Washington à chercher, à partir des années 1990, un équilibre “quasiment impossible” dans ses relations avec les deux principaux États du Maghreb, précisément parce que “le Maroc demeure l’allié principal (des États-Unis, ndlr) au Maghreb”.
L’étude de Yahia Zoubir ne s’arrête pas là. Elle aborde en effet la relation algéro-américaine sous différents angles, sans négliger ni le nouveau “pragmatisme” algérien, ni “la domination” de la France en Algérie et dans la région, ni la pro- blématique de l’islamisme, encore moins l’affaire du Sahara occidental ou le conflit israélo-palestinien.
UNE COOPÉRATION MUTUELLEMENT BÉNÉFIQUE
Concernant le “pragmatisme” algérien apparu dès les années 1990, le chercheur laisse entendre que celui-ci n’a pas piétiné sur “certains déterminants de la diplomatie algérienne”, dont le plus important d’entre eux a trait à “l’expérience de la guerre de libération nationale”. Dans ce cadre, il est constaté que la souveraineté nationale, l’intégrité territoriale, le nationalisme économique, le soutien aux mouvements de libération dans le tiers-monde et le non-alignement ont façonné les politiques de l’Algérie, à l’échelle régionale et internationale. Le spécialiste de la politique étrangère américaine au Maghreb n’omet pas non plus de rap- peler ces tentatives de remodelage de l’environnement économique et sécuritaire externe.
Selon lui, toutes ces nouveautés obéissent à un double objectif : “transformer les relations économiques et politiques” et “contester la domination occidentale”, particulièrement celle des États- Unis et de la France. Seulement, observe-t-il, des contraintes, liées au développement économique et à “la domination de la France”, pousseront les Algériens à rechercher un contre- poids à l’influence française, en faisant appel à la technologie et capitaux américains.
Plus loin, Yahia Zoubir rappelle que le gouvernement algérien, contrairement à celui du Maroc et de la Tunisie, a souffert d’une “sous- identification” par des cercles politiques américains — une position reconnue plus tard par un ancien ambassadeur américain en Algérie. Mais il admet finalement qu’en dépit du “conflit quasi permanent dans le domaine politico-idéologique et stratégique” entre Alger et Washington, il existe “une coopération mutuellement bénéfique” pour les deux pays, sur le plan économico-commercial. La preuve, souligne le directeur de recherche à Euromed Management (Marseille), l’Algérie est le troisième plus grand marché des États-Unis dans le monde arabe et le deuxième plus grand partenaire des États-Unis dans le monde arabe. Quant aux Américains, ils sont, dit-il, le premier partenaire commercial de l’Algérie dans le monde.
ISRAËL ET LE SAHARA OCCIDENTAL
Yahia Zoubir signe et persiste : ces dernières années, les relations algéro-américaines se sont “considérablement améliorées”, même si les perceptions divergent encore, en particulier sur les conflits au Moyen-Orient et la question du Sahara occidental. Des perceptions qui, côté algérien, se justifieraient par “l’expérience historique du nationalisme algérien, mais aussi pour des raisons de sécurité nationale (cas du Sahara occidental)”.
L’auteur des États-Unis et l’Algérie… revient ainsi sur le regard qu’on porte aujourd’hui sur Israël, en déclarant : “Bien qu’ils ne prennent plus des positions radicales sur les questions israélo-arabes, les Algériens refusent de “normaliser” les relations avec Israël, avant que la question palestinienne ait été résolue d’une manière satisfaisante et jusqu’à ce qu’Israël ait restitué les terres arabes à la Syrie et au Liban.”Pour ce qui est du Sahara occidental, Yahia Zoubir confie que les États-Unis ont joué, dès le départ, “un rôle prépondérant” dans cette affaire. Au point que la fin de la guerre froide et le développement des rapports, pour- tant “assez proches” entre ce pays et l’Algérie, n’ont pas provoqué de bouleversement dans la politique américaine sur le dossier de l’an- cienne colonie espagnole. D’après le spécialiste algérien, “la perception dominante à Washington persiste toujours” et explique donc le soutien au projet d’autonomie marocain. Au passage, il émet une critique à peine voilée, affirmant que “les Américains n’ont pas éprouvé le besoin de soutenir une position plus en conformité avec le droit interna- tional”, d’autant que la position pro-marocaine des États-Unis “n’a pas envenimé les relations avec l’Algérie qui continue de coopérer étroitement avec eux dans la lutte antiterroriste”. Et, il est peu probable, estime-t-il, que cette position soit corrigée sous la présidence de Barack Obama.
WASHINGTON FACE À L’ISLAMISME
La relation entre les États-Unis et l’Algérie a connu des désaccords, notamment sur les questions de l’islamisme et du terrorisme. “Il existe une ambivalence vis-à-vis du phénomène islamiste qui a marqué la politique des États-Unis pendant des décennies”, note le chercheur. Il soutient, sur ce chapitre, qu’une bonne partie des décideurs américains a pensé “utiliser l’Algérie comme laboratoire pour un régime islamiste “modéré”” et établir de bons rapports avec celui-ci, dans l’espoir de “rehausser (l’image des États-Unis) dans le monde islamique”. Il justifie par ailleurs le changement d’attitude, dans le sens d’un soutien, des États-Unis vis-à-vis du pouvoir algérien par “la capacité du régime à sur- vivre” et les conditions américaines, à savoir “la mise en application des réformes, non seulement sur le plan économique, mais aussi pour la mise en place d’une politique de réconciliation incluant des islamistes “modérés””. Dans cette optique, l’ex-professeur en relations internationales à Thunderbird et à l’American Graduate School of International Management, aux États-Unis, révèle que la démarche du président Abdelaziz Bouteflika, matérialisée à travers la loi sur la concorde civile (septembre 1999) et la poli- tique de réconciliation nationale (2005 à ce jour), “a été accueillie favorablement par Washington, même si elle a en fin de compte renforcé et intégré le poids de l’islamisme dans le pays”. Si tel est le cas, faut-il alors croire que la récente décision relative au changement du week-end et la dernière sortie médiatique du président de la Commission nationale consultative de protection et la promotion des droits de l’homme obéissent à la même logique de compromis- sion avec les islamistes ? Pour l’instant, on retiendra, en ce qui concerne l’analyse de Yahia Zoubir, qu’outre “la volonté du président d’intégrer les islamistes dans le jeu politique”, d’autres éléments ont joué en faveur de la réhabilitation, voire la légitimation du régime algérien, principalement “sa poignée de main avec Ehud Barak en juillet 1999”, “sa visite en juillet 2001 aux États-Unis, où il a insinué qu’il ne s’opposerait pas à une troisième voie au Sahara occidental, le rôle positif de l’Algérie dans la résolution des conflits (…) et la position plus atténuée de l’Algérie par rap- port aux négociations israélo-palestiniennes”. Le spé- cialiste algérien concédera surtout que le facteur déterminant dans le rapprochement entre Alger et Washington a été “incontestablement” l’attaque terroriste du 11 septembre 2001.
C’est cet élément qui ouvrira la voie à une importante coopération militaire bilatérale et à l’intégration de l’Algérie “dans un système sécuritaire, aussi bien au Nord avec le Dialogue méditerranéen (DM) de l’OTAN, mais aussi au Sud dans la région sahélienne”.
VERS UNE NOUVELLE ÈRE ?
L’analyse de Yahia Zoubir est très explicite, quant au “développement considérable” qu’ont connu les relations entre Alger et Washington, ces dernières années. Pourtant, comme le relève l’expert en géopolitique, les États-Unis sont néanmoins toujours “plus sensibles aux intérêts marocains qu’à ceux de l’Algérie”, malgré l’importance stratégique, économique et politique de notre pays pour la politique américaine au Maghreb. Yahia Zoubir y voit là un “échec de la politique algérienne” qui, indique-t-il, “tient plus de son refus de s’aligner sur la politique américaine (…) que d’un échec de la diplomatie algérienne”. Aussi, se demande-t-il, si les États-Unis parviendront à influer sur “l’orientation de la politique étrangère de l’Algérie, particulièrement en ce qui concerne les fondements qui la composent : le non-alignement, le nationalisme, le soutien aux Palestiniens et à d’autres causes arabes et du tiers-monde”.
Une question qui en appelle d’autres, en fin de compte, puisque le chercheur se demande cette fois si l’Algérie se laissera entraîner dans le giron de la puissance américaine et si elle est prête à apporter des “modifications substantielles” à sa perception de l’intérêt national. Dans sa conclusion, Yahia Zoubir apporte une réponse : “Jusqu’ici, les Algériens ne semblent pas disposés à abandonner leur soutien aux Palestiniens ou aux Sahraouis. Jusqu’ici, des questions primordiales continuent de diviser Algériens et Américains. Les motivations et la manière dont les deux pays parviendront à surmonter ces questions constitueront les fondations d’une nouvelle ère dans leurs relations.”