Relance du secteur du tourisme,Le Défi tunisien

Relance du secteur du tourisme,Le Défi tunisien

«Maudit soit El-Bouazizi, car toute cette anarchie c’est lui.» A l’écoute de cette phrase, prononcée sur un ton de dépit par un Tunisien, j’ai sursauté, moi qui croyais que ce nom était adulé dans son pays et non pas vouée aux gémonies.

Ce Tunisien, auteur de ce «blasphème», exprimait sa colère à la vue de cette foule compacte agglutinée autour des étals de marchands informels exposant leur marchandise à même le sol ou sur des étals de fortune, encombrant la voie publique et, dès lors, il était difficile de se frayer un chemin. J’ai alors compris que cette image n’existait pas à l’époque de l’ancien régime où le commerce informel n’avait pas droit de cité.

Ce samedi 31 mars, il faisait beau à Tunis et il y avait effectivement une foule nombreuse à Bab Souika, une des portes renommées de la capitale tunisienne, qui donnait accès à la vieille ville. C’est, en effet, par Bab Souika, juste au bout de la plus belle avenue de la capitale qui porte le nom de l’ancien président, le défunt Habib Bourguiba, que les Tunisois ou les grappes de touristes en visite dans ce charmant pays passaient pour s’engouffrer dans les dédales de la veille ville, haut lieu du commerce et du tourisme. Ce Tunisien, qui s’en est pris à El-Bouazizi, à haute voix de surcroît, n’a pourtant pas été réprimandé car nombreux sont les Tunisiens qui partagent ce même sentiment à l’égard de celui que l’on considère, à l’étranger du moins, comme un martyr et un symbole puisqu’en s’immolant par le feu à Sidi Bouzid, il a allumé les feux de la révolution qui a débouché, quelques mois plus tard, à la chute du régime de Zine El-Abidine Ben Ali après avoir gouverné le pays avec une main de fer presque 24 années durant. En vérité, s’agissant du désordre qui a suivi la chute de l’ex-maître de Tunis, l’humour tunisien veut que l’on porte le chapeau à Mohamed El-Bouazizi et l’on dit même, à ce propos, que son immolation par le feu était involontaire. Il est vrai que la révolution du Jasmin, qui a trouvé son épilogue le 14 janvier 2011 avec la fuite de Ben Ali, n’a pas eu que des conséquences positives sur ce pays. Car, au-delà de la fin de la dictature et l’avènement de la démocratie dont les Tunisiens étaient sevrés depuis l’aube de l’indépendance, la Tunisie s’est aussi installée dans une relative période d’instabilité, marquée, notamment, par la montée de l’insécurité et des radicaux islamistes. Deux facteurs qui ont eu de graves préjudices sur l’économie de ce pays. Le secteur du tourisme a, ainsi, été frappé de plein fouet par les «dégâts collatéraux» de la révolution.

La reconquête du marché algérien

Représentant 8% du produit intérieur brut et employant 400.000 travailleurs, ce secteur a, en effet, terriblement pâti des conséquences de la révolution. Face aux changements intervenus, les touristes ont déserté, en très grand nombre, la destination Tunisie. Selon les chiffres officiels, ce pays a perdu 2 millions 200.000 touristes et a ainsi enregistré une baisse de 30% de l’activité touristique par rapport à 2010. Ce qui est énorme. Autant dire que cette perte enregistrée en 2011 a eu l’effet d’une douche froide pour les autorités du pays qui s’emploient à remonter la pente. Ce phénomène a aussi touché les Algériens, dont des centaines de milliers ont préféré opter d’autres destinations en 2011. En effet, 400.000 Algériens ont manqué à l’appel l’année dernière. Ils étaient seulement 700.000 à avoir, en 2011, manifesté leur fidélité à la destination Tunisie alors que traditionnellement ce nombre dépassait le 1 million, ce qui représente 1/7 du nombre total des touristes étrangers. Un manque à gagner qu’il fallait coûte que coûte «récupérer», et ce, d’autant que, selon les officiels tunisiens, le touriste algérien dépensait en moyenne 500 euros par semaine. Les chiffres globaux relatifs aux dépenses des Algériens restent, cependant, une grande inconnue. A ce propos, le directeur de l’antenne de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) à Alger, Fouzi Basly, qui a servi de guide à la délégation de journalistes algériens qui a séjourné dans ce pays à l’invitation de l’organisme du tourisme tunisien, estime, lui, que les Algériens dépensent en moyenne environ 300 millions de dollars par an. On comprend dès lors mieux pourquoi nos voisins de l’Est veulent mettre le paquet pour séduire de nouveau les Algériens et récupérer, à tout le moins, les 400.000 touristes qui ne se sont pas rendus en Tunisie en 2011. Oui, mais comment ? Les Tunisiens ont tout un programme à ce propos. «Nous sommes en train redoubler d’efforts à cet effet, comme l’atteste la campagne de sensibilisation en direction des touristes algériens», indique, dans ce cadre, le directeur général de l’Office tunisien du tourisme, Habib Amar, devant un groupe de journalistes algériens qui a effectué dernièrement une visite guidée dans ce pays, avant de préciser que «de 50.000 dinars tunisiens, le budget consacré à cette campagne est passé à 500.000 dinars». De plus, Le DG de l’ONTT a fait part aux journalistes algériens de la nécessité de l’amélioration des conditions d’accueil des Algériens aux postes frontaliers en annonçant à ce propos l’existence d’un projet qui sera concret d’ici deux années. Mais Habib Amar reconnaît que la tache ne sera pas une simple sinécure et ce, d’autant, comme il l’a soutenu, que «le marché algérien n’est pas structuré comme c’est aussi le cas pour le marché libyen, en ce sens qu’il y a absence de tours operators». D’où, selon lui, l’impératif de développer la concertation avec la Fédération des agences de tourisme algériens. Les Tunisiens commencent à récolter les fruits de leur offensive de charme puisque la tendance s’est inversée et les Algériens reviennent peu à peu vers ce pays comme l’attestent bien les derniers chiffres de l’ONTT. En effet, selon le DG de cet organisme, 102.683 touristes algériens ont, à la date du 10 mars dernier, déjà effectué un séjour en Tunisie, alors qu’ils n’étaient que 76.600 à la même période en 2011. Mais on est encore relativement loin des 119.000 touristes qui ont visité ce pays à la même période en 2010, soit une année avant la révolution.

Les atouts du tourisme tunisien

Les responsables tunisien croient dur comme fer que la pente sera remontée et que le marché touristique tunisien retrouvera toute son attraction d’avant la révolution et ce, d’autant que les nouveaux maîtres de Tunis, les islamistes d’Enahda, ont donné des gages et des assurances sur leur volonté de ne pas «cassé» un secteur générateur de plus-value au nom d’une certaine orthodoxie religieuse. Pour ce faire, les atouts ne manquent pas car ce pays dispose d’importantes infrastructures touristiques réparties sur l’ensemble du territoire tunisien et, notamment, dans les villes côtières. Le groupe de touristes algériens a, d’ailleurs, été autant émerveillé qu’enchanté par ce qu’il a vu lors de la tournée qui l’a mené de Sousse à Mahdia, en passant par Monastir et bien sûr Tunis, la capitale. Après cette dernière, Sousse est sans doute la ville la plus visitée par les touristes algériens. Située au sud de Tunis, dont elle est distante de quelque 150 kilomètres, Sousse est la troisième ville de ce pays. Ce n’est pas pour rien que cette ville côtière est prisée par les Algériens car elle dispose d’une infrastructure hôtelière assez dense. Mais son atout maître reste, incontestablement, l’amabilité et l’hospitalité de ses habitants sans oublier, bien sûr, les sites historiques et sa Médina. La vieille ville, où se concentre l’essentiel de l’activité commerciale de la ville, est une destination privilégiée des touristes qui n’étaient pas visibles ce mercredi 28 mars, car ce n’est pas encore la saison. Comme toutes les vieilles villes, les ruelles sont étroites, mais d’une propreté irréprochable. Nous débarquions ce jour là vers 10 heures du matin, et alors que nous nous apprêtions à entamer la visite, notre guide, Fouzi Basly, attira notre attention sur l’appellation de la rue qui portait le nom de Paris, la capitale française. «C’est un contraste que de donner ce nom à une rue d’une vieille ville», dira-t-il alors non sans ponctuer sa phrase d’un long sourire. Dans son esprit, cette rue devait porter un nom qui lui sied et qui pourrait renvoyer à l’histoire millénaire de la cité qui ne manque ni de noms ni de vestiges comme l’attestent si bien l’imposante mosquée des Fatimides, ou «El Dejemaa El Kabir», un joyau architectural limitrophe de la veille ville. Construite depuis plus de dix siècles maintenant, cette mosquée à la beauté architecturale, qui est un haut lieu du tourisme de la ville de Sousse, a une double fonction puisqu’elle servait aussi de forteresse pour la garnison défendant la cité. De Sousse, nous prenions le chemin de Monastir, à une vingtaine de kilomètres de là. Monastir est une petite ville côtière surtout connue pour être la ville natale de l’ex-président de la Tunisie et père de son indépendance, Habib Bourguiba, qui est d’ailleurs inhumé ici dans un splendide mausolée. Un mausolée qui de loin, soit du début de l’esplanade y menant, ressemble étrangement au monument bâti en Inde par un prince mongol à la mémoire de sa bien-aimée femme, le «Taj Mahal», qui est une des sept merveilles du monde. Les architectes ont dû sûrement s’en inspirer, à la grande joie des touristes, tunisiens surtout, très nombreux à le visiter ce jour-là. Vacances scolaires aidant, des familles entières de tunisiens se sont donné rendez vous dans le Mausolée, preuve que le défunt combattant suprême, comme aiment à l’appeler affectueusement les Tunisiens, a toujours une place dans leur cœur malgré qu’il soit disparu en l’an 2000 à l’age de 97 ans. Bourguiba, déposé par Zine El Abidine Ben Ali en novembre 1987, repose dans ce mausolée en compagnie d’une partie des membres de sa famille, dont notamment ses parents. A Monastir, il y a aussi une autre curiosité, le fort de cette ville, dénommé le «Riba». Le Ribat, fondé en l’an 796, se trouve à l’intérieur d’une puissante Kasbah qui domine l’esplanade. Il abrite, au premier étage, un musée d’art islamique. Depuis le sommet de Nadhour, on a pu admirer une vue superbe sur la ville de Monastir et surtout l’infini bleu de la mer. Et c’est avec un pincement au cœur et ravis que nous avons quitté cette charmante ville pour revenir à l’hôtel Hasdrubal Thalassa, au Port El Kantaoui, non sans avoir savouré, au déjeuner, un succulent plat de loup de mer, servi à la sauce locale.

Après cette première journée chargée, nous primes, le lendemain jeudi 29 mars, le chemin de Mahdia, une charmante et envoûtante ville côtière qui a la particularité de ne pas être une destination touristique privilégiée des touristes car ne disposant en tout que de 10.000 lits seulement. Mais Mahdia voit grand. Avec le concours des Qataris, cette capacité sera portée à 17.000 lits, soit 7.000 lits supplémentaires. C’est dire que Mahdia, qui fut la première capitale des califes fatimides au Xe siècle, a de l’ambition. Elle ne manque pas d’atouts pour atteindre ses objectifs puisque les autorités comptent en faire une destination prisée pour les touristes en quête des vertus de la thalasso. Mais pas que ça. Mahdia c’est aussi des sites et monuments à voir. Comme c’est le cas pour le fort ottoman, construit sur les ruines d’un palais fatimide, celui du fils du bâtisseur de la ville. Mais cette vieille cité dispose aussi d’un autre atout qui mérite le détour. Faire une virée dans sa veille ville procure, en effet, un réel plaisir. Le quartier de Bordj Erras, tout de blanc peint et qui a entièrement été réhabilité et rénové par ses habitants, est un véritable joyau. C’est un véritable havre de paix où les métiers à tisser ont toujours droit de citer par ici. Il fait bon aussi de se pavaner à Skiffa El Kahla, dont le marché hebdomadaire se transforme le vendredi en une véritable caverne d’Ali Baba, et dont la place El Qahira (le Caire) qui grouille de monde en est le centre névralgique. Le vendredi 30 mars, nous retournons à Tunis, que nous n’avons pas encore visité puisque de l’aéroport de Carthage où nous sommes arrivés le mardi 27 mars en début de soirée, on nous dirigea vers la région de Sousse. Dans la matinée de cette journée ouvrable —le vendredi n’est pas un jour de repos— le temps était un peu maussade et une fine pluie tombait sur la capitale de la Tunisie. Après une rencontre avec le DG de l’ONTT, on prend la direction de Sidi Boussaid, sans doute la plus illustre des banlieues de la capitale. En effet, cette petite bourgade au nord de Tunis est le lieu de prédilection par excellence des touristes. Du restaurant de l’hôtel Sidi Boussaid où nous déjeunâmes, on pouvait à loisir apprécier une vue panoramique sur une partie de la capitale. Tunis est une belle ville et du 12e étage de l’hôtel Africa, on pouvait dominer l’avenue Habib-Bourguiba, le cœur battant de la capitale. En plus de quelques grands hôtels, de grandes banques de l’ambassade de France, protégée par un immense fil barbelé, il y a aussi le siège du ministère de l’Intérieur, devant lequel convergeaient toutes les forces hostiles au pouvoir du président déchu. Mais l’avenue Habib-Bourguiba c’est aussi et surtout les belles terrasses, assez fréquentées même par la gent féminine de jour comme de nuit, le théâtre municipal et les magasins de luxe. Tunis c’est aussi la veille ville, cette Médina qui grouille de monde ou de Bab Souika on peut arpenter ses ruelles serpentées jusqu’à la place de la Casbah, siège du Premier ministère, désormais occupé par un islamiste. En cette matinée du samedi 31 mars, il faisait beau dans la capitale tunisienne et des groupes de touristes européens s’entrecroisaient dans les venelles de la médina où se trouve aussi un autre monument de la ville, la mosquée la Zitouna en l’occurrence, bondée de monde comme à son accoutumée, nous dit-on. On imagine bien que le plaisir des commerçants est grand, car cette présence de touristes porte en elle l’espoir de leur retour en grand nombre. Un retour qui signifierait la relance d’un pan entier de l’activité économique dans ce pays si charmant et la réussite, par conséquent, du pari tunisien. Pour moi en tout cas, c’est certain, la Tunisie, je reviendrai.

Par : Kamal Hamed