Des dispositions de la loi de finances complémentaire de 2009, le droit de préemption de l’Etat en cas de cession de participations des sociétés étrangères et la règle 49/51 régissant l’investissement étranger pourraient être contournées en vue de relancer la Bourse d’Alger.
Chérif Bennaceur – Alger (Le Soir) – Un projet de réforme du marché financier national a été lancé, en mai dernier, sous l’égide du ministère des Finances, de la Commission d’organisation et de surveillance des opérations en bourse (Cosob) et l’assistance du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Dans ce cadre, et suite à une mission de dix semaines, quatre experts étrangers et un expert algérien ont procédé à une évaluation globale du marché financier national qui a été présentée jeudi dernier.
Les conditions existent…
Selon ces consultants, le marché des capitaux en Algérie peine à émerger réellement, depuis près de deux décades après le lancement de la Bourse d’Alger. Certes, «les conditions existent», dira le consultant international Yann Christin, pour le développement dudit marché. Cela en termes d’infrastructures et d’organismes de régulation, d’un certain volontarisme des acteurs institutionnels et entrepreneuriaux, d’un cadre réglementaire et technique existant, ainsi que des conditions d’activité boursière, obligataire et de services relativement incitatives.
Les tares du marché financier
Néanmoins, et les experts sollicités s’accordant là-dessus, un marché financier qui pâtit d’un déséquilibre entre l’offre réduite en titres et produits financiers et une forte demande en titres et produits, une activité boursière (titres et obligations) très limitée, un nombre insuffisant d’intermédiaires en opérations boursières et financières, avec une approche administrative des métiers financiers, l’absence de front-office dans certaines banques. Mais aussi d’un cadre réglementaire complexe quoique encore inachevé, un rapport à l’international assez ambigu, voire une omniprésence de l’Etat organisateur sans être investisseur.
Une réforme est lancée
Des difficultés, des tares avérées et qui ne permettent pas de répondre aux besoins croissants de financement et de mobilisation de l’épargne financière nationale. Or, c’est dans ce sens qu’un projet de réforme visant notamment l’amélioration de l’alimentation de la Bourse, la professionnalisation des intervenants, l’augmentation du nombre des intermédiaires en opérations de Bourse (IOB) et le développement des métiers et services d’investissements a été agréé par les pouvoirs publics et impulsé par la Cosob, selon son directeur général, Noureddine Smaïl. Dans ce sens, et grâce à cette évaluation, des pistes susceptibles d’être affinées ont été identifiées, notamment l’ouverture du capital d’entreprises publiques du secteur industriel.
Elargir l’alimentation de la Bourse
Il s’agit d’envisager, dans le cadre des négociations de partenariat en cours, d’introduire à la cotation une partie des actions détenues par l’Etat ou son partenaire stratégique, ou de céder au partenaire privé et au grand public une partie des actions. Dans ce contexte, une cinquantaine d’entreprises nationales seraient éligibles à la cotation, tant du secteur public que privé. Cela même si des contraintes se posent pour le secteur privé, notamment les sociétés étrangères.
Des dispositions légales contournables
Dans ce sens, des dispositions de la loi de finances complémentaire de 2009, le droit de préemption de l’Etat en cas de cession de ses participations et la règle 49/51 régissant l’investissement étranger pourraient être contournées. Outre la révision du régime fiscal en vigueur et la fixation d’un seuil minimum pour l’autorisation du Conseil de la monnaie et du crédit auprès de la Banque d’Algérie, des opérations de cession d’actions des banques et établissements financiers, il est question selon la Cosob de «la renonciation» au droit de préemption de l’Etat au profit d’investisseurs nationaux «et ce lorsque la partie étrangère décide de réaliser la cession de ses participations via la Bourse d’Alger». Mais aussi de «dispenser les sociétés à capitaux étrangers, créées antérieurement à la promulgation de la loi de finances complémentaire de 2009, voulant ouvrir leurs capitaux à moins de 50% via le marché financier, de la disposition des 49/51 édictée par LFC susmentionnée ».
Des options possibles ?
En d’autres termes, la société étrangère pourrait céder une partie de ses actions au grand public, via la Bourse, sans avoir à demander l’aval de l’Etat, comme elle pourrait obtenir que les 51% des actions majoritaires soient acquises par des épargnants du grand public. D’autant que le droit de préemption de l’Etat retarde quelque peu le processus de cotation des sociétés étrangères même s’il ne le bride pas dans l’absolu, comme le relève l’expert français Georges Broché qui déplore l’impossibilité pour les opérateurs étrangers d’accéder à la Bourse. Et cela même si les experts sollicités, à l’instar de Yann Christin, refusent d’«interférer » dans les choix de politique économique fixée par le gouvernement. Toutefois, cette option ne constituerait qu’une mesure d’«ajustement», selon l’expert en ingénierie financière, Lies Kerrar.
D’autres conditions s’imposent
Comme la réforme nécessite la révision du cadre juridique et réglementaire même «s’il n’est pas dans l’intention (des promoteurs de cette réforme) de créer une période d’attente», dira Noureddine Smaïl, en réponse à une remarque du délégué général de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers (Abef), Abderrahmane Benkhalfa. Pour autant, la mise en œuvre de cette réforme, dont l’affinement se poursuivra durant les prochains mois sous la supervision du gouvernement, nécessite de réunir d’autres conditions. Outre la nécessité de bien associer les agents institutionnels et économiques à capacité d’épargne positive et de bien améliorer la gouvernance des divers intervenants, les experts sollicités prônent davantage d’«ouverture» et de «transparence», voire d’assurer, comme exhorté par une représentante du Pnud, la «volonté politique de tout un chacun».
C. B.
POINTS DE VUE :
ABDERRAHMANE BENKHALFA (DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE L’ABEF) :
«Un signal à la sphère réelle»
Le lancement d’une réforme du marché financier est un «pas important», un signal adressé à la sphère réelle pour le délégué général de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers (Abef), Abderrahmane Benkhalfa. Selon le représentant de la place bancaire, «il ne suffit pas de fignoler» les textes en vigueur et d’atermoyer, mais de bouger en direction de la sphère réelle. D’autant que le potentiel existe, dira le délégué général, en dépit de l’absence invoquée de capacités et intentions d’émission et du fait que les entreprises sont surendettées et sous-capitalisées.
C. B.
LIES KERRAR (CABINET CONSEIL D’INGÉNIERIE FINANCIÈRE HUMILIS) :
«Focaliser sur l’épargne et offrir des produits adaptés»
L’épargne financière est importante et les besoins en financement et en placements sont également importants, selon le spécialiste en ingénierie financière et manager du cabinet conseil Humilis, Lies Kerrar. Dans la mesure où l’épargne est fortement disponible et que les besoins doivent trouver répondants, ce spécialiste appelle à focaliser sur l’épargne et la canaliser. Soit, œuvrer à offrir des produits et moyens de placements adéquats, à bien servir l’épargnant, relève Lies Kerrar qui estime primordial d«insuffler une dynamique de mouvement».
C. B.
ADEL SI BOUAKKAZ (CABINET D’INGÉNIERIE FINANCIÈRE ET GESTION DE FONDS NOMAD) :
«Une question de confiance»
Le développement du marché financier est «une question de confiance», selon Adel Si Bouakkaz du cabinet d’ingénierie financière et gestion de fonds Nomad. Selon ce spécialiste financier, le potentiel d’entreprises éligibles existe même si l’enjeu reste de «convaincre, rassurer» ces acteurs.
C. B.
YANN CHRISTIN (CONSULTANT INTERNATIONAL EN CAPITAL MARKET, CORPORATE FINANCE ET CONSEIL JURIDIQUE) :
«L’ouverture est primordiale»
L’ouverture en matière de développement du marché financier est primordiale, selon le consultant international en capital market, corporate finance et conseil juridique, Yann Christin. Pour cet expert, le marché algérien se caractérise par un déficit d’offres et d’énormes besoins de financements et placements. D’où un enjeu crucial de rediriger l’épargne vers la satisfaction desdits besoins, relèvera-t-il, et asseoir une démarche d’ouverture, en mettant en avant la nécessité de ne pas attendre dans la réalisation de ce plan de développement, optimiser l’utilisation des infrastructures actuelles, multiplier le nombre d’intervenants et d’émissions, développer la participation des secteurs marchands notamment publics.
C. B.