Rejetées du domicile familial et livrées à elles-mêmes : Confidences de femmes sdf

Rejetées du domicile familial et livrées à elles-mêmes : Confidences de femmes sdf

Elles n’ont trouvé d’autre alternative que de compter sur la compassion des autres. Ces femmes ont ouvert leur coeur à L’Expression. «Je suis restée trois ans à errer dans les rues. J’ai trimbalé mes deux filles de maison en maison à la recherche d’un endroit où dormir», raconte Rahima. Chassée du domicile conjugal depuis un an, cette femme de 31 ans n’a pu obtenir son divorce que depuis sept mois.

Du jour au lendemain, elle s’est retrouvée dans la rue, sans un sou ni même un métier pour subvenir aux besoins de ses deux filles Sara et Ismahane. «Je broyais du noir, en cette période ma fille aînée avait 14 ans, elle était en pleine adolescence et cela me torturait de la voir traîner dans la rue», poursuit-elle. Pour Rahima, chaque jour apportait son lot d’humiliations car pour subsister, il lui fallait vivre de la compassion des gens. «Profiter de la générosité de mes voisins, avoir un espace où dormir et remercier Dieu de cet abri provisoire», dit-elle.

Un véritable calvaire pour cette jeune femme dont les parents de conditions modestes habitent dans un taudis, dans le fameux bidonville de Sidi Harb. «Personne ne peut supporter longtemps les enfants des autres», confie-t-elle, en ajoutant qu’elle a rompu avec une amie d’enfance dont le mari n’a pas supporté les quatre jours qu’elle a passés chez-elle, avec ses deux filles. Une autre amie a même refusé de la dépanner de 1000 DA pour emmener la petite, malade, à l’hôpital.

«La petite Ismahane a toujours été malade et a souvent de la fièvre. Elle passe des journées à errer dans les rues polluées et les gîtes suintant l’humidité ou dépourvus de toute aération ont mis la santé de la petite à rude épreuve.

«La maladie de ma fille n’est que la conséquence de l’inexistence d’un domicile fixe», explique-t-elle. Rahima ajoute que les désaccords avec son mari ont commencé à cause de l’argent. Il en gaspille beaucoup dans la boisson, oubliant qu’il avait des bouches à nourrir. Mais la situation s’est aggravée lorsqu’elle a découvert qu’il avait une maîtresse. «Il m’a battue, m’a tirée par les cheveux et m’a jetée à la rue, répétant qu’il ne voulait plus de moi et qu’il ne voulait plus me voir ni moi ni mes filles», raconte-t-elle.

Mais la jeune femme regrette d’avoir quitté son domicile conjugal. Elle pense qu’elle aurait pu épargner bien des tracas à ses deux filles. «En restant chez soi, on préserve sa dignité et celle de ses enfants, car errer dans les rues est la plus grande des humiliations», poursuit Rahima, qui partage maintenant une pièce chez ses parents, avec ses cinq frères et deux soeurs. Elle n’est pas la seule à avoir à supporter les comportements irresponsables d’un mari, d’un frère ou d’un fils ingrat. Une situation qui, jusqu’à preuve du contraire demeure une vérité banalisée par tout un chacun.

Toutes les classes sociales concernées

Depuis des lustres, ce fait social est enraciné dans le comportement d’Adan. D’après M. CH. T. sociologue, le phénomène des femmes rejetées est devenu courant. «Il m’est difficile de préciser le nombre de femmes forcées à quitter le domicile conjugal pour cause de mauvais traitement», dira le sociologue. «Il n’existe pas de chiffres précis, mais tous les indices montrent que le nombre de femmes sans abri a augmenté ces dernières années», devait préciser notre interlocuteur.

D’après ce dernier, les cas recensés prouvent aussi que le phénomène ne se limite pas aux femmes issues de couches modestes, mais touche tous les rangs sociaux. Naïma est fonctionnaire dans une administration publique, rejetée par son mari, elle s’est retrouvée à la rue avec ses trois enfants «l’avenir et la réputation de mes enfants ont toujours été ma seule préoccupation», nous dit-elle en ajoutant que sa vie a basculé du jour au lendemain.

«Actuellement je vis chez mes parents. Ils s’immiscent dans la vie de mes enfants», raconte-t-elle en regrettant d’avoir fait des concessions à un époux qui ne les méritait pas. Car cette femme a quitté l’université où elle était étudiante en langue française, tout simplement pour ne pas complexer son mari qui n’a pas fait d’études supérieures et travaille comme agent de sécurité chez un opérateur de téléphonie mobile au centre de la ville de Annaba. Depuis son mariage, Naïma n’a pas cessé de faire des sacrifices.

Aujourd’hui et avec ses trois enfants, elle ne sait plus où donner de la tête. Le visage fripé et les yeux cernés, on lui donnerait le double de son âge, alors qu’elle n’a que 39 ans. «Tu as voulu te marier avec cet homme, c’est à toi d’assumer les conséquences de ton choix», lui répète à chaque fois sa mère. Au départ, Naïma a dû louer un appartement à 20.000 DA/ mois, alors que son salaire n’était que de 25.000 DA.

«Je n’arrivais pas à joindre les fins de mois. Il a fallu supplier mes parents pour qu’ils consentent à m’accueillir avec mes enfants et ainsi pourvoir utiliser mon salaire pour leur éducation», nous révèle-t-elle avec un regard sombrant dans l’amertume.

Naïma est donc revenue chez ses parents, a intenté une action en justice pour intégrer le domicile conjugal et obtenu gain de cause. Mais son mari, qui refuse de subvenir à ses besoins et ceux de ses enfants, a disparu. «Après deux mois de vie tranquille, seule avec mes enfants, il est revenu, non pas pour assumer ses obligations familiales, mais pour nous terroriser», dit-elle. Chassée de nouveau de son domicile, Naïma retourne chez ses parents.

Cette fois, sa mère lui signifie clairement que sa présence et celle de ses enfants l’importune. En racontant cela, Naïma éclate en sanglots.

De l’avis de notre sociologue, les femmes sans abri, lorsqu’elles se marient aspirent à une vie meilleure. Mais le destin leur réserve bien des surprises. «Il est difficile pour ces femmes de retourner vivre chez leurs parents. Pour elles, c’est un pas en arrière qu’elles ne supportent pas.»

L’ingratitude sous toutes ses formes

Mais ce ne sont pas uniquement les maris qui sont pointés du doigt. Des fils ingrats peuvent pousser leurs parents à bout. Adra a subi ce sort à l’âge de 68 ans. Lorsque son mari est mort, son fils Radouane n’avait que 11 ans. Aujourd’hui, il est fonctionnaire dans une importante société multinationale.

«Quand mon fils s’est marié, j’ai offert mon alliance en diamant à ma belle-fille pour le décharger des frais supplémentaires», dit-elle. Et d’ajouter: «Quelques mois après le mariage, ma belle-fille a commencé à créer des problèmes car elle ne supportait pas que l’on vive sous le même toit», explique la femme. Et pour mieux le lui faire sentir, elle ne lui laissait rien à manger. Ce qui l’a poussée à quitter le domicile pour rechercher une maison de vieillards.

La surcharge que connaissaient ces dernières dans la wilaya de Annaba, ont fait en sorte que Adra se retrouve la rue. Après quelques jours, une parente a finalement accepté de l’héberger. Mais avec le temps, elle s’est sentie comme de trop. «Je devais régler mon réveil à des heures fixes pour ne pas oublier de prendre mes médicaments. Je sentais que cela dérangeait. Même si personne n’osait me faire de remarque, je le lisais dans leurs regards», se rappelle-t-elle.

Un matin, Khalti Adra ramasse ses affaires et part sans donner d’explication. «Je me suis dirigée sans réfléchir vers la mosquée Errahman où je passe mes journées depuis plus de quatre ans. La nuit tombée, je me rends au centre de Sidi Bélaïd au Front de mer pour y fuir la jungle de la nuit et manger de ce que les bénévoles de l’association El Islah oual Irched nous préparent. D’ailleurs, c’est grâce à cette association que les SDF de Annaba survivent», raconte la vieille dame. «Ce que je regrette le plus, c’est d’avoir sacrifié ma vie pour mon fils», affirme-t-elle avec un sourire gêné.

Malika, 42 ans, a pour sa part, subi les agissements de son jeune frère. Une fois marié, il lui a fait sentir qu’elle était devenue encombrante. «Je n’ai pas pu supporter les remarques qu’il faisait à propos de mon âge», confie-t-elle en soulignant qu’on ne choisit pas son destin. Randa, quant à elle, a dû quitter l’appartement hérité de son père pour s’installer chez son oncle maternel. Elle qui appartient à une famille très traditionnelle a toujours été dépendante des autres.

Aujourd’hui, elle sait qu’on ne peut compter que sur soi-même. Le fait d’avoir été mise à la porte par son frère l’a traumatisée.

Repartir sur des bases fragiles

Selon des chiffres révélés par CH.T. sociologue, sur 444 femmes sans domicile fixe, 94% d’entre elles sont victimes de mauvais traitement, qu’il soit corporel, psychologique ou sexuel. Poussées à bout, elles quittent le domicile conjugal. Mais la plupart d’entre elles, ne disposent pas d’alternative de logement et la situation est plus complexe quand elles sont accompagnées de leurs enfants.

En dépit de la création de Dar Errahma, la femme dans la wilaya de Annaba n’y trouve pas un grand soutien.

Elle fait ce qu’elle peut pour repartir sur un bon pied, loin de cette maison conçue initialement pour accueillir les femmes sans domicile fixe. Nous avons tenté moult fois d’entrer en contact avec les responsables de ce foyer pour les femmes en détresse, mais tous nos efforts ont été infructueux.

La situation a été la même avec d’autres institutions censées prendre en charge les femmes en difficulté.

Cette fuite en avant des sphères sociales, voire même l’absence totale de considération à ce phénomène de plus en plus présent au sein de nos wilayas, Annaba, entre autres, où la femme tente tant bien que mal de se prendre en charge par ses propres moyens.

Qui, intellectuelle de son état, se prend en charge par elle-même, en louant un abri et se reconstruit une nouvelle vie de famille avec ses enfants, alors qu’elle trimbale son analphabétisme alourdi par la charge d’enfants et retourne au foyer familial pour y vivre comme le dernier des soucis parentaux. Entre les unes et les autres, il y a celles qui atterrissent à la rue, épinglées par les loubards.

Prises dans les griffes de la prostitution, la drogue et même la traite des blanches, ces femmes s’adonnent à tous types de métiers pour survivre dans une société indifférente à leur détresse. Différents horizons s’affichent devant des femmes rassemblées par un même et unique destin, celui d’avoir été rejetées de leurs domiciles respectifs par un mari, un frère ou un fils.