Les amendements subis par le code des marchés publics depuis 2002 ne sont pas loin de s’apparenter, aux yeux des partenaires économiques (entreprises de réalisation, fournisseurs et bureaux d’études) à une forme d’instabilité juridique qui ne dit pas son nom.
Cette situation est également subie par les agents de l’administration publique qui, le plus souvent, ne trouvent pas leurs marques face aux changements continuels de textes régissant les marchés publics.
Les demandes et les inspirations des amendements proviennent parfois des entrepreneurs et des associations de patronat et, d’autres fois encore, ils sont réclamés par des départements ministériels précis suite à des impasses ou des vides juridiques pour lesquels il est ardu de chercher une jurisprudence.
Après quatre amendements ayant affecté le code de juillet 2002, un nouveau décret, n°10-236 du 7 octobre 2010, est venu abroger l’ancien code. Même le nouveau texte a subi deux amendements en l’espace de deux années d’application.
L’un porte sur l’intégration des micro-entreprises dans le dispositif des marchés publics, l’autre sur la liberté accordée aux entreprises publiques de se passer du code des marchés, en se soumettant aux règles censées être établies par leurs organes sociaux.
Si les textes réglementaires relatifs aux marchés publics algériens sont exposés à une telle fréquence de changements, c’est que le pays est entré dans une phase économique particulière, faite d’une embellie financière que les autorités politiques ont exploitée dans la réhabilitation et l’extension des infrastructures et équipements publics.
Ainsi, les plans quinquennaux d’investissements ont inexorablement charrié, dans les directions de wilaya et au niveau central, une masse incommensurable de procédures de passation de marchés publics.
Cela dure depuis le début des années 2000, lorsque le gouvernement a lancé le premier plan de soutien à la relance économique. Presque 600 milliards de dollars ont été mobilisés pour la mise en oeuvre desdits plans. Ce sont autant d’avis d’appels d’offres nationaux et internationaux pour les études (préliminaires et d’exécution), le suivi, les réalisations de travaux et les fournitures d’équipements.
Mais, si l’on prête attention à toute la publicité des annonces légales que l’Anep dirige sur les journaux, l’on se rend rapidement compte de la fréquence des cas d’infructuosité ; fréquence jugée anormale par plusieurs partenaires économiques et même par certains organes de contrôle, comme les commissions de marchés publics de certaines wilayas.
Et comme le code des marchés reste muet face à certaines situations d’impasse, il reste à tout acteur d’interpréter à sa guise les termes de la loi. Ce qui est dangereux. La loi est connue pour sa clarté et son harmonie ; elle n’est pas censée être soumise à interprétation.
DES «BLANCS» DANS LE TEXTE
Ainsi, par exemple, les maîtres d’ouvrage continuent à naviguer à vue quant à la démarche à adopter face à ce qu’on appelle des offres sous-évaluées, présentées par des soumissionnaires «casseurs de prix».
Sachant que, pour des prestations de travaux ou d’études à réaliser ou bien encore pour des fournitures à acquérir, le principe retenu par le législateur est celui du moins-disant.
Mais, moinsdisant jusqu’à quelle valeur ? Les maîtres d’ouvrage ou clients publics (directions de wilaya, APC, EPA, EPIC…) sont souvent confrontés à des obstacles insurmontables.
Des instructions des commissions de marchés publics ont, dans certaines wilayas, tenté de remédier un tant soit peu à cette situation en proposant aux maîtres d’ouvrage de soumettre de telles offres à une appréciation rigoureuse par laquelle on exige aux soumissionnaires le détail des prix. Cependant, cela demeure insuffisant.
La preuve, des recours pleuvent sur les commissions de wilaya dès l’annonce dans les journaux de l’attribution provisoire de marchés. Les «casseurs de prix» ne peuvent être réellement contenus que par l’application stricte des termes des contrats qui les lient à l’administration.
Si les travaux sont bien suivis et contrôlés sur le plan quantitatif et qualitatif, le «casseur de prix» se cassera les dents dans le projet et l’expérience lui apprendra par la suite à donner des soumissions réalistes. Mais, n’est-ce pas là une vision idéaliste lorsqu’on considère l’état de déliquescence et de fragilité dans laquelle se trouvent les agents de l’administration chargés de la réception des ouvrages, des études ou des fournitures.
L’on se rend compte également que la presse écrite pullule de mises en demeure et d’avis de résiliation de marchés. C’est là un symptôme manifeste d’une relation peu sereine et tendue entre l’administration publique en général et les partenaires économiques, que sont les entreprises, les fournisseurs et les bureaux d’études.
Une relation qui vire parfois à la confrontation, aux contentieux et aux tribunaux. Si certains litiges trouvent leur dénouement dans des arbitrages ordonnés par la wilaya ou la commission nationale des marchés, il n’en est, malheureusement, pas de dizaines autres dossiers qui finissent dans les couloirs de la justice, laquelle n’est pas connue pour sa célérité.
Les situations litigieuses grevant des centaines de projets sont, inévitablement, à l’origine de grands retards qui se répercutent sur les coûts de réalisation et les attentes des populations pour lesquelles sont destinés ces investissements publics (routes, chemins de fer, programmes de logements, raccordement au gaz naturel…).
On ne peut, non plus, omettre de relever les scandales de corruption qui gangrènent une myriade de structures publiques (APC, directions de wilayas, entreprises publiques…). Une partie de ces affaires trouve son explication dans les «brèches» laissées dans les textes régissant les marchés publics. L’autre partie relève carrément de la violation manifeste des textes en vigueur, suite à des manoeuvres et manigances lors des évaluations des offres.
Les combines peuvent aller jusqu’à l’élaboration des cahiers des charges, lesquels sont parfois élaborés «sur mesure» par rapport à un soumissionnaire que l’on veut privilégier. Le plus ingénu des observateurs peut se poser la question de savoir ce que vaut la «déclaration de probité», imprimé remis par le maître de l’ouvrage au soumissionnaire et que ce dernier rempli et insère dans l’offre dans son offre.
C’est, indubitablement, une simple formalité par laquelle on se «mord la queue» : c’est celui sur qui pèse potentiellement l’accusation d’avoir corrompu les agents de l’Etat que l’on invite à déclarer qu’il est «probe» !
CLIMAT DE SUSPICION GÉNÉRALE
Le climat de suspicion, qui pèse sur les maîtres d’ouvrage et les agents publics à l’occasion de la conclusion de contrats, est imparablement aggravé par la mise sous contrôle judiciaire de plusieurs membres des commissions d’évaluation des offres et des ordonnateurs de la dépense publique dans plusieurs wilayas.
Cela se fait suite à des dénonciations bien identifiées ou bien portées par des lettres anonymes, portant sur des attributions indues et intéressées de marchés publics. Les manigance ne manquent pas et le pouvoir discrétionnaire, que s’arrogent certaines administrations dans l’établissement du prix administratif des projets, n’est pas des moindres.
Ce pouvoir discrétionnaire attire une clientèle, fait des privilégiés dans l’accès à l’information et rebondit sous forme de recours, de contentieux et d’affaires judiciaires. L’Inspection générale des finances et la Cour des comptes, organes de contrôle par excellence de la dépense publique, ont eu à traiter des milliers de cas relevant de cette catégorie de violation du code des marchés publics.
Il en est de même des inspections sectorielles des ministères et des inspections de wilayas. Dans le corps même des soumissions, les tentatives de fraudes ne sont pas rares, à commencer par les fausses cartes grises, les déclarations sociales fantaisistes et d’autres pièces sujettes à caution.
En voulant intégrer les microentreprises dans le dispositif de l’accès à la commande publique, le législateur s’est vu obligé d’amender le code des marchés publics et d’y insérer un article, le 55 ter, par lequel les maîtres d’ouvrage sont contraints de réserver 20% de la commande publique, avec un seuil, maximal de 7 millions de dinars/an, à ces jeunes entreprises financées par le dispositif de l’Ansej ou de la Cnac. Dans un grand nombre de wilayas, cette disposition n’a pas été mise en pratique.
Là où elle est initiée, elle a buté contre moult problèmes et incompréhensions (cahiers des charges distincts ou jumelés, seuil maximal pour un programme ou plusieurs…). Pourtant, ces microentreprises sont souvent «tarabustées » par leurs bailleurs de fonds, les banques, pour effectuer les remboursements de crédits.
Le ministère des Finances et les walis ont, à plusieurs reprises, adressé des instructions aux différents maîtres d’ouvrage afin d’intégrer ces entreprises dans les programmes d’investissements publics, mais, la partie n’est pas gagnée pour autant. On parle même d’un nouvel amendement du code des marchés public pour éclaircir justement ce volet complexe de la participation des microentreprises aux avis d’appel d’offres.
S. T.