Connu pour contenir les pratiques manoeuvrières les plus sournoises du jeu politique, le Front de libération nationale (FLN) se voit aujourd’hui éclaté en trois tendances à la veille de joutes électorales qualifiées, dans les arcanes du pouvoir, de décisives.
La contestation, qui a éclaté depuis plusieurs mois au sein du FLN, semble avoir du souffle. Elle fait parler d’elle régulièrement même si l’on remarque qu’elle donne l’air, parfois, de s’estomper.
C’est comme si elle s’est fixée dès le début, une rythmique précise pour garder constamment les esprits en éveil. Il faut reconnaître qu’embrigadée qu’elle est depuis le début, par un des grands caciques de l’ex-parti unique, elle ne peut, en principe, ni s’essouffler, encore moins perdre le cap. Ceci, bien sûr, selon les missions, les objectifs et le temps qui lui ont été impartis.
Salah Goudjil n’est pas né de la dernière pluie pour avoir accepté de porter «un mouvement de redressement» lancé par un membre du FLN que la scène nationale n’a jamais inscrit dans les profils d’envergure ou de charisme politique. Il s’agit bien sûr de El-Hadi Khaldi, l’actuel ministre de la Formation professionnelle, dont les premiers propos annonciateurs d’une fronde contre Abdelaziz Belkhadem avaient étonné un grand nombre d’observateurs tant le personnage n’a jamais été considéré comme capable de les prononcer.
Aujourd’hui, il n’est d’ailleurs plus vraiment au devant du mouvement enclenché puisque ce sont les noms de Goudjil, Kara et Abada qui sont mis en avant. Partie prenante et agissante de ce que le pouvoir aime qualifier de processus de réformes politiques, les états-majors du FLN ne semblent guerre se soucier du sort qui pourrait être réservé aux mouvements de dissidence qui éclatent dans leurs rangs. Ils savent pertinemment qu’ils ont la bénédiction du pouvoir décisionnel, du moins pour l’instant.
Ils n’excluent pas, cependant, qu’ils peuvent être changés de place, de rôle ou de mission à n’importe quel moment. Mais ils ont l’assurance de ne jamais être totalement écartés du jeu politique. Le FLN est un instrument historique efficace pour l’exercice du pouvoir. Ses manoeuvriers, à l’image de Belkhadem ou de Hadjar, pour ne citer qu’eux, continueront de compter dans les calculs politiques tant que le régime n’aurait pas perdu pied.
LES PARIS GAGNANTS DU FLN
L’actuel ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales l’a pratiquement confirmé en réfutant le droit aux redresseurs de tenir un congrès extraordinaire. Dahou Ould Kablia leur permet pourtant bien de tenir leurs réunions depuis qu’ils se sont déclarés contre la ligne Belkhadem. Il est donc certain que son objection contre la tenue du congrès qu’ils revendiquent se veut comme un rappel des lignes à ne pas franchir.
Abdelaziz Bouteflika, s’il a fermé les yeux sur le fait que le ministère de l’Intérieur a autorisé les réunions de dissidents à l’endroit de son SG, de surcroît son ministre d’Etat, il ne restera certainement pas les bras croisés face à l’éclatement du FLN, un parti qu’il préside.
La création de «Harakat Essahwa» (Mouvement de la renaissance) par de nouveaux dissidents flnistes, en parallèle à ceux régentés par Goudjil, vient à point nommé comme pour créditer un pouvoir qui continue de dicter des modes opératoires selon les intérêts qu’il veut préserver.
Contrairement au redressement mené par Belkhadem contre Benflis en 2004, celui animé par le groupe Goudjil ne pourrait ainsi pas reprendre le parti en main mais devrait peut-être juste se contenter de s’organiser en indépendant comme cela a été déjà évoqué. Que les tendances dissidentes s’organisent au sein d’un nouveau parti ou en indépendants, le FLN restera toujours le gagnant des guerres de tranchées ou de querelles de chapelles qui lui permettent d’être le plus médiatisé des partis politiques.
Les observateurs avertis anticipent déjà sur de probables alliances entre le nouveau parti de dissidents flnistes, les redresseurs et le FLN père pour asseoir une suprématie du courant nationaliste -plutôt conservateur- à l’issue des prochains rendez-vous électoraux. «Il est plus facile de s’allier pour un même objectif lorsqu’on est issu de la même école que d’aller chercher des appuis dans des milieux incertains», nous dit un de ses caciques.
«Il est normal que le tout se jouera sur la base de garantie d’intérêts, de compromis et même de compromissions périlleuses», ajoute-t-il, en rappelant qu’ «en politique, il n’y a pas de morale». La carte politique nationale risquerait ainsi d’être redessiné par les soins du pouvoir en organisant des réincarnations de ses partis à travers de nouveaux appareils satellites.
MENTION: «ISLAMISTE MODÉRÉ»
En déplacement, ces dernières 24 heures à l’ouest du pays, l’on aura remarqué que Belkhadem a animé des meetings populaires où il a affiché une grande assurance. Si l’actuel secrétaire général se permet de bomber le torse face à toute cette tornade de contestation dans son propre parti, c’est qu’il doit être sûr de s’en sortir indemne.
L’on susurre sur son «placement» à la tête du Conseil de la nation en remplacement de Bensalah qui, lui, devrait aller, comme annoncé par la presse, à la tête du Conseil constitutionnel à la place de Bessaïeh. L’on dit aussi que l’APN pourrait être dirigée par Rachid Hraoubia, l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur ou alors Taïeb Louh, le ministre du Travail.
Mais il est évident que ces informations restent tributaires de conjonctures, d’environnement et d’évolutions nationaux et internationaux qui obligeront certainement à des réajustements, voire à des changements parfois inattendus et même contraignants au niveau des arcanes du pouvoir et avec le reste du monde. En attendant que les choses se décantent, Belkhadem continue de faire parler de lui dans les arcanes du pouvoir comme un chef de parti qui a été reçu il y a quelques mois par la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton.
C’est important pour le personnage dont le pays est cerné par des guerres insurrectionnelles qui ont permis à des mouvements islamistes, presque oubliés par le temps, de ressurgir et de se placer en pole position dans leurs pays respectifs. Le monde arabe se doit de vivre ainsi, comme «un retour aux sources» calculé.
A force de voir ses dirigeants insister sur «le respect de spécificités» de leurs sociétés, à chaque fois qu’il a été question pour eux de soupeser la démocratie en vue d’asseoir de nouvelles règles de gouvernance, les puissants de ce monde, avec à leur tête les Etats- Unis, n’ont pas trop réfléchi pour leur dupliquer une feuille de route sur laquelle la mention «islamiste modéré» doit être inscrite en gras pour fédérer toutes les options de changement politique recherché. Ne manquerait alors aujourd’hui que l’Algérie pour faire preuve de discipline en la matière et suivre l’exemple de ses voisins.
Ceci au moment où l’on dit que ses dirigeants réfléchissent sérieusement à l’ouverture des frontières ouest. L’on dit même que l’émir du Qatar mène une solide médiation entre les deux pays à cet effet. D’ailleurs, les déclarations de Benbada sur la probable suppression des subventions aux produits de large consommation colleraient bien à ce genre de perspective.
Ghania Oukazi