La prière, un des cinq piliers de l’Islam
Les pays musulmans ont beaucoup de points communs. Nous pouvons citer pour la plupart d’entre eux la langue, la culture, la nature du pouvoir, un passé de colonisés, une économie faible, une éducation mal pensée et la religion.
Après avoir souligné l’ambiguïté qui a toujours accompagné l’appel à la «réforme de l’Islam», nous allons aujourd’hui poser la question du pourquoi de cette réforme à laquelle des voix, montant de toutes parts, nous invitent avec force.
A vrai dire, beaucoup de reproches sont faits à l’Islam par les apôtres de sa réforme. Ce qu’ils lui reprochent, entre autres, et qu’ils semblent ne pas pouvoir lui pardonner, est le fait qu’il est, soutiennent-ils, incompatible avec la modernité et qu’il n’entre pas bien dans le moule de la démocratie. Beaucoup d’écrits portent sur ces «insuffisance» qui sont présentées comme une sorte de double hérésie des temps modernes car, et cela apparaît clairement dans les écrits en question, l’Islam a beau être une religion, il «doit» se soumettre à la démocratie et ne pas en gêner l’exercice et il doit enfiler le masque de la modernité.
Contre toute logique
De nos jours, la modernité semble réduite, pour certains, au seul fait de hisser quelques pancartes frappées de slogans autour de la moral ou de coller, sur les murs du salon de l’humanité, des affiches portant quelques principes, tous pêchés dans la rivière d’une certaine démocratie. Ainsi, d’aucuns, et après avoir indiqué du doigt «les contradictions possibles entre l’univers de pensée islamique et les idéaux démocratiques»(1), n’ont pas manqué de dire toute leur déception de voir les pays musulmans tarder à rejoindre le cortège de la démocratie. «Pourquoi les espoirs, toujours renaissants, de voir enfin la démocratie s’épanouir dans un pays musulman sont-ils sans cesse déçus?»(2). Si la question est intéressante à plus d’un titre, la réponse que tentent d’y apporter certains est cependant totalement fausse, déplacée et erronée.
Il est vrai que, selon la logique comparative, si deux ou plusieurs phénomènes se comportent de manière identique et qu’ils n’ont cependant qu’un seul élément en commun, alors c’est cet élément qui est derrière la ressemblance. Et il est tout aussi vrai que la démocratie a échoué à prendre pied dans tous les pays musulmans. Mais est-ce que ces pays ont en commun seulement l’Islam? C’est ce que laissent entendre ceux qui proposent la «Réforme de l’Islam» comme remède à la société musulmane.
En vérité, les pays musulmans ont beaucoup de points communs. Nous pouvons citer pour la plupart d’entre eux la langue, la culture, la nature du pouvoir, un passé de colonisés, une économie faible, une éducation mal pensée et la religion, pour ne citer que ceux-là. Pourquoi dès lors faudrait-il s’en prendre à la religion et l’accuser d’être derrière la décadence des musulmans? Cette manière de procéder, tout à fait aléatoire, n’est ni correcte ni justifiée et elle ne peut donc être acceptée car ne constituant point une démarche raisonnable.
Les tenants de cette approche n’ont pour seul souci que d’adapter l’Islam aux temps d’aujourd’hui et à leurs exigences. De ce fait, la réforme à laquelle ils appellent de tous leurs voeux n’est, en réalité, qu’une réforme adaptative. A cet effet, «il importe de distinguer «la réforme de l’adaptation», qui impose à la pensée religieuse, philosophique et légale de simplement s’adapter aux évolutions des sociétés, des sciences et du monde, de la «réforme de la transformation» qui se donne les moyens spirituels, intellectuels et scientifiques d’agir sur le réel, de maîtriser les savoirs et d’appréhender par anticipation la complexité des défis sociaux, politiques, philosophiques et éthiques»(3).
«L’Islam devant la démocratie»
Certains ne manquent pas de rappeler que, en Occident, la sacralisation des élections «est vue comme une pierre de touche de la démocratie. Les coups d’Etat sont regardés avec horreur» avant d’ajouter aussitôt que «dans le monde de l’islam – on vient de le voir avec la destitution de Mohamed Morsi -, la légitimité des détenteurs du pouvoir n’est pas liée au respect d’une procédure, suffrage ou autre, mais tient à la manière dont ils répondent aux demandes du peuple»(3)
Il est difficile, finalement, de suivre les intellectuels occidentaux dans leur raisonnement lorsqu’ils parlent de démocratie parce qu’ils ne parlent jamais de la même chose selon qu’ils le font d’un côté ou d’un autre de l’océan qui sépare les conditions des hommes.
Les positions des pays occidentaux, les démocraties comme on les appelle aussi, par rapport aux élections, sont toujours discutables, souvent étonnantes et, parfois, elles donnent même matière à inquiétude. L’Histoire déborde de cas en ce sens et nous en ferons l’économie au lecteur.
Par ailleurs, dire que, «dans le monde musulman, la légitimité des détenteurs du pouvoir tient à la manière dont ils répondent aux demandes du peuple»? n’est qu’un mensonge de plus parce que cette expression vise à attribuer cette caractéristique aux seuls pays musulmans alors qu’elle est commune à toutes les dictatures du monde et qu’on la rencontre dans la plupart des pays sous-développés, même lorsqu’ils ne sont pas musulmans. Et même si tel était le cas, que font alors les défenseurs de la démocratie? N’est-ce pas qu’ils applaudissent? Qu’ils intronisent et qu’ils reçoivent dictateurs et auteurs de putsch?
Par ailleurs, si «d’un côté, l’appel à la volonté populaire s’exprime avec insistance dans les pays musulmans (et que) simultanément, le pluralisme démocratique peine à y prendre racine» pourquoi faudrait-il que, là aussi, ce soit de la faute de l’Islam que l’on accuserait alors d’avoir «un rapport contradictoire avec la démocratie»(4)? Dans cette accusation portée à bout de bras contre l’Islam, certains oublient avec plaisir jusqu’au souci de la méthode et omettent de retenir les variables adéquates à leurs analyses. En d’autres temps et pour d’autres causes, ils auraient dit simplement que «si d’un côté, l’appel à la volonté populaire s’exprime avec insistance dans les pays musulmans (et que) simultanément, le pluralisme démocratique peine à y prendre racine» c’est parce que le pouvoir mis en place dans ces pays est généralement un pouvoir qui n’est pas aux mains de démocrates. Mais aujourd’hui, l’ennemi étant l’Islam on lui fait porter le chapeau et l’on oublie même que, si la démocratie n’est pas encore établie dans les pays musulmans, c’est aussi, et surtout, parce que des pays occidentaux ne le veulent pas car cela nuirait à leurs intérêts!
Le syllogisme erroné
De leur côté, d’autres réformateurs s’adonnent à des exercices de logique meurtrière de laquelle l’Islam s’en sort avec le double crime de ne cadrer ni avec la laïcité ni avec la démocratie…
«L’islam est hostile à la laïcité, or la laïcité est indispensable à la démocratie, donc l’Islam est incompatible avec la démocratie»(5). Telle est la logique de ceux qui veulent, sinon couper les ongles, du moins arrondir les angles de l’Islam pour qu’il cadre mieux avec la démocratie.
Dans ce discours, il est inutile de dire que le comparant est la démocratie et l’Islam le comparé. C’est-à-dire que la démocratie présente le standard à travers lequel on évalue le reste, Islam y compris et tant pis si, pour les besoins de cette comparaison malhonnête, le comparé et le comparant n’ont rien d’homogène, ni de comparable et ne peuvent donc faire l’objet de similitudes ou de différences car, faut-il le rappeler, la comparaison a pour objet de souligner justement les similitudes ou les différences entre ce que l’on compare!
C’est à peu près comme si on disait «l’eau est hostile au feu. Or le feu est indispensable pour la préparation de la nourriture, donc l’eau est incompatible avec la préparation de la nourriture». C’est à cette déformation de la logique aristotélicienne, elle-même dépassée depuis longtemps pourtant, que les adeptes de l’aggiornamento de l’Islam se réfèrent. Ils reprochent à l’Islam d’être figé, incapable d’évoluer et, pour le prouver, ils s’en vont chercher dans des outils figés, érigés autour d’une vision statique du monde et des hommes.
Pourtant, si nous avons bien étudié dans la même école de la rationalité, nous avons tous appris que l’on ne compare que ce qui comparable. Or, et alors que la démocratie demeure jusqu’à nouvel ordre un mode de gouvernance, l’Islam est quant à lui une religion. Vouloir mettre en place un Islam qui s’élèverait sur les valeurs et la morale de la démocratie est, de ce point de vue, un non-sens, une aberration, ni plus ni moins alors que inventer un islam qui, tel le lierre, s’accrocherait aux valeurs occidentales, est une oeuvre entreprise depuis des siècles mais qui n’a aucune chance d’aboutir quelque part.
Pour faire preuve de modernité, il faut tirer sur l’Islam
Une seconde différence réside dans le fait que la démocratie est une oeuvre d’hommes tandis que l’Islam, religion révélée, est l’oeuvre de Dieu et, quand bien même, pour la gestion de leurs affaires quotidiennes, les musulmans appellent de tous leurs voeux à une démocratie réelle, ils ne vont jamais jusqu’à confondre entre cette dernière qui les aiderait à vivre avec les hommes et leur religion qui régente leurs rapports avec Dieu et si, par hasard, ils sont obligés à choisir entre les deux, il n’y a pas l’ombre d’un doute qu’ils choisiront leur religion. Certains, parce que spécialistes de la diversité, saisissent mieux que quiconque à quel point les spécificités comptent dans l’universalité et à quel point elles posent problème dans la mondialité des choses. Mais ce sont eux qui veulent, malheureusement, uniformiser le monde en lui généralisant une démocratie, la leur, celle découlant d’une culture qui s’octroie le statut de culture dominante, oubliant parfois, au détriment de l’éthique et même du bon sens, jusqu’à faire la différence entre religion et mode de gouvernance. Si chacun est libre de croire ou de ne pas croire, pourquoi certains veulent-ils s’en prendre à la croyance des autres pour essayer de la forcer à entrer dans un moule confectionné ailleurs et par d’autres, faisant fi ainsi de tout respect pour la foi des uns ou pour la spécificité des autres? Il semblerait que, de nos jours, pour faire preuve de modernité, il faut tirer sur l’Islam.
Il n’appartient pourtant pas à l’Islam de s’accoutumer à la démocratie mais à cette dernière de faire avec les spécificités des peuples et des régions. Faut-il rappeler l’échec cuisant de la démocratie jusqu’à présent dans toutes les parties du monde non Occidentales? Les peuples ont des cultures différentes, des traditions et des coutumes différentes; ils ont des convictions qui ne se ressemblent pas, des attentes de niveaux différents, des histoires dissemblables, des croyances qui ne sont pas les mêmes… Pourquoi faudrait-il, dès lors, que ce soit la même version de la démocratie qui soit imposée à tous indépendamment de leurs différences? Pourquoi faudrait-il que la démocratie à l’occidental soit le nouvel uniforme des peuples? La démocratie est une oeuvre humaine et elle est, de ce fait, intimement liée à son lieu de production. Nous ne disons pas qu’elle ne peut s’exporter, nous disons qu’elle doit être aménagée pour l’être. Et c’est là toute la différence. Or, au lieu de s’accoutumer aux différences des uns et des autres, les auteurs de la mondialisation cherchent uniquement à imposer leur vision du monde. La démocratie, telle qu’ils la chantent, serait-elle en train de devenir le nouveau lit de Procuste? Tout le laisse croire en tout cas.
Pluralité et unicité
Pour les non-musulmans, il semble qu’une soi-disant culture de l’unicité chez les musulmans pose problème. D’Iribane, qui a pris lui aussi le bâton de réformateur de l’Islam sans rien connaître de l’Islam, le dit clairement lorsqu’il mentionne que «le monde de l’Islam a la passion de l’un: un Dieu, dont il est sacrilège d’imaginer qu’il puisse être en trois personnes; un texte, le Coran, unique, dicté par Dieu même; une communauté: l’Oumma. Que l’on se tourne vers le droit islamique ou la philosophie islamique, toujours revient cette passion de l’un avec le sentiment de certitude qui lui est lié» (6).
A vrai dire, il est difficile d’avaler une telle argumentation pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il n’existe aucune «passion de l’un» chez les musulmans et le seul «un» qui existe réellement pour nous, musulmans, est celui se rapportant à la divinité: un seul Dieu. A part cela, au contraire, les musulmans ont une pensée éclatée entre plusieurs courants, les madhahib où l’on compte entre autres les malékites, les hanafites, les hanbalites, les chafiites, les ibadites etc. Ceci pour les Sunnites alors que, d’un autre côté, les Chiites sont, eux aussi, divisés en plusieurs courants comme les zaydis, les ismaelis, etc. Les musulmans n’ont pas une seule mosquée sacrée mais trois: la kaâba, la mosquée de Médine et El Aqsa, ils n’ont pas un seul chef religieux, non plus. Quant à la Oumma, il est difficile de soutenir que les musulmans sont la seule communauté dans ce monde, il y a la communauté juive, la communauté chrétienne etc… c’est-à-dire ce groupe, assez grand pour pouvoir contenir chaque membre qui s’y reconnaît, ce qui confirme la multitude et invalide l’idée même de l’unicité. La seconde raison est qu’en réalité, il ne s’agit là que d’une vue de l’esprit car, on pourrait bien retourner la question à l’auteur de «l’Islam devant la démocratie» sur cette passion de l’un développée et soutenue avec acharnement par l’Occident «De même qu’il n’y a qu’un Dieu, qu’une sagesse, qu’une vérité et qu’une bonté, de même – cela va sans dire – il n’y a qu’une vraie religion, à savoir la religion chrétienne´´(7). La pluralité n’est pas la réponse adéquate à tous les problèmes tout comme l’unicité ne peut être la réponse à tous les problèmes. Prétendre le contraire relèverait de la pure spéculation.
En réalité, ce qui, dans tout cela, semble poser réellement problème à certains dit- réformateurs c’est la perception des musulmans de l’unicité de Dieu – et cela n’est pas nouveau – bien que l’Islam, tout comme la Chrétienté et le Judaïsme sont des religions monothéistes. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi certains tentent d’étouffer toute norme qui soit extérieure à la vision occidentale du monde malgré leur conscience que «autant on trouvera, dans les valeurs produites par la rationalité occidentale, un certain nombre de postulats auxquels on se réfère comme à des principes de vérité, autant il existe des principes qui sont, pour les musulmans, des fondements inaliénables de leur foi que l’on doit respecter»(8).
En effet, c’est parce qu’ils raisonnent à partir d’une prétendue incompatibilité totale entre l’Islam et la modernité qu’ils ont entrepris de «supprimer ce qui, dans les fondements de l’islam, leur paraissait incompatible avec les valeurs occidentales» (9)
Que l’homme reste homme
Ces voix qui se lèvent depuis l’Occident pour appeler à une «réforme de l’islam», devraient s’unir, d’abord, pour appeler à lever la tutelle sur les pays musulmans car, et cela tout le monde le sait, si le monde musulman est là où il en est c’est, sans doute, à cause de sa mauvaise compréhension de sa religion mais c’est aussi à cause de ses gouvernants qui, pour la majorité d’entre eux, sont mis en place ou aidés à l’être par ce même Occident qui y trouve ses intérêts. Un peu de lucidité et un brin d’honnêteté auraient suffi à ces nouveaux prophètes des temps modernes pour braquer leur regard sur la vraie cible car lorsque, là-haut, ça va, tout va. De toutes façons, si l’on reconnaît que l’Islam est la religion révélée au Prophète Mohamed (Qsssl), on reconnaît alors son caractère divin et, de ce fait, qui peut prétendre avoir suffisamment d’intelligence, d’autorité ou de connaissance pour demander à réformer une oeuvre divine et il est difficile alors de vouloir aller, ciseaux à la main, se tailler un Islam sur mesure. Malheureusement, cette question ne se pose pas pour certains réformateurs qui, prenant leur élan à partir du principe démocratique «fondé sur l’idée que rien ne saurait plus être imposé aux hommes que ce que les hommes décident entre eux, à la majorité, au miroir de la seule rationalité désormais normative»(10), tentent de le porter à la sphère du religieux en faisant semblant d’oublier que, quoi qu’il fasse, l’homme reste homme et que «Dieu n’exige rien de l’homme contre son humanité»(11), que l’homme ne peut être le maître d’un monde où il n’est que l’agent (wakil), pour reprendre les termes d’une intéressante théorie économique (la théorie de l’agence). Alors que l’homme reste homme, un simple homme!