«Réforme de l’Islam» L’ambiguïté est intacte

«Réforme de l’Islam» L’ambiguïté est intacte

La mosquée d’El Azhar (Egypte)

En ce qui nous concerne, nous utilisons le mot «Islam» pour référer uniquement à la religion telle qu’elle avait été révélée à Mohammed (Qsssl).

Le thème de la «Réforme de l’Islam», il faut le dire, attire et semble intéresser de nombreux penseurs à travers le monde, mais pas seulement puisque l’on assiste à une participation de sociologues, d’anthropologues, d’historiens, de philosophes, de cinéastes, de médecins, de journalistes, d’enseignants et même de politiques.

Ces appels à la «réforme de l’Islam» ne sont pas nouveaux, loin de là, et ils ne proviennent pas d’un endroit en particulier. Ils nous proviennent surtout de l’Europe, de l’Amérique, de l’Afrique, des pays arabes et, depuis quelque temps, de chez nous aussi.

Si l’appel à la «Réforme de l’Islam» est assez ancien, cela ne l’a pas pour autant empêché de garder intacte l’ambiguïté qui l’a caractérisé dès le début. Une ambiguïté qui, par moments, découle d’une simple inadvertance et, par moments, procède d’autre chose. Mais cette ambiguïté est malheureusement importante et l’on ne pourrait débattre de la soi-disant «Réforme de l’Islam» sans l’avoir levée d’abord en posant la question qui porte sur l’objet de la réforme à laquelle il est fait appel. Autrement dit: que

cherche-t-on à réformer exactement? Cette question a le mérite de pouvoir nous permettre de mieux cerner le débat car si l’on arrive à préciser l’objet de cette «réforme», il serait alors tout à fait facile de comprendre ce qui est dit, voire pourquoi il est dit.

Islam et musulmans

Etablir avec certitude, après des analyses, qu’un conducteur est en état d’ébriété et qu’il conduit dangereusement c’est bien. Mais dire qu’il faut repeindre la voiture pour éviter que le conducteur récidive, est une proposition, sinon insensée, du moins déplacée. Tel est malheureusement le cas de la majorité de ceux qui, après avoir dressé un diagnostic tout à fait correct, il faut le leur concéder, de la société musulmane, appellent à réformer l’Islam pour redresser la situation dans cette partie du monde.

Il est vrai que le monde musulman est aux creux de la vague et que, arrivé à ce creux, il continue à creuser, selon l’image de Fellag dans d’autres circonstances. Il ne fait pas de doute, non plus, que les musulmans, qui furent à un moment derrière l’une des plus grandes civilisations de l’humanité, n’ont pratiquement plus rien de quoi être fiers en ce début du troisième millénaire. Il est aussi indéniable que, dans tous les domaines, ils dépendent des autres et qu’ils sont incapables, à tous réunis, d’assurer leur autonomie, leur défense, voire leur autosuffisance alimentaire alors qu’ils sont les plus riches sur cette terre! Nul ne peut cacher ou contredire des vérités comme celles-là, des vérités qui ont fini par s’incruster dans le mur du temps, tellement elles sont anciennes. En plus, nul ne peut contester que, aujourd’hui, «les musulmans semblent en panne de vision et de projets pour le présent et pour l’avenir.»(1)

Il est malheureux de le dire mais, de nos jours, le musulman renvoie indiscutablement une image de lui suffisamment négative pour qu’il soit méprisé par tous les autres. Lorsqu’on parle de terrorisme, on pense aux musulmans; lorsqu’on parle de dictature, on pense aux musulmans; lorsqu’on parle de retard et d’inadéquation par rapport au temps d’aujourd’hui, là aussi on pense aux musulmans. La sauvagerie dont font preuve certains dans des actes incroyablement féroces est forcément collée à nous musulmans, le tribalisme de la jahiliya n’existe plus que chez nous sur cette terre. Le manque de transparence dans la gestion des affaires des citoyens renvoie aussi aux musulmans; là où il y a guerre civile aujourd’hui c’est chez les musulmans, là où la justice est bafouée et le droit ignoré, c’est chez les musulmans. Nos universités sont les dernières au monde, nous ne produisons rien ou presque sur le plan de la recherche scientifique, nous nous réduisons nous-mêmes à des bouches ouvertes sous le robinet de pétrole car c’est de cela que nous vivons et de rien d’autre. Même pas de notre intelligence.

Notre bilan est facile et rapide à faire. Il tient en un mot: «Rien.» Et ce «rien», c’est aussi notre seule réalisation depuis plusieurs siècles.

Tout être sensé insisterait sur l’urgence de redresser la situation de cette «Oumma» malheureuse, endormie et anesthésiée, qui ne se réveille que le temps d’applaudir ses chefs, qu’elle prend toujours la précaution de choisir inaptes et incompétents, de leur lire de longs poèmes, de leur chanter des louanges et de danser du ventre en leur honneur avant de replonger dans son sommeil éternel.

Mais comment faire? Oui, quel est le mode d’emploi pour arriver enfin à réveiller cette nation engourdie pour qu’elle se remette au travail et qu’elle change ses perceptions du travail, de l’avenir, de l’histoire, bref de tout ce qui est ou pourrait être important dans cette vie?

Certains proposent de «réformer l’Islam»

A moins de dire directement que l’Islam est la cause de la mauvaise performance, du mauvais comportement et du sous-développement des musulmans, on ne voit pas comment ils sont passés du diagnostic désastreux de la Oumma à la «Réforme de l’Islam». On ne comprend pas comment ils sont passés de l’état d’ébriété du conducteur à la nécessité de repeindre la voiture. Cela n’est pas sans nous rappeler ce passage forcé, volontairement effectué par certains, du printemps arabe à «l’hiver islamique»(2), un passage qui, bien entendu, n’a ni sa raison d’être ni sa justification ni encore moins une logique quelconque. C’est simplement un raisonnement qui ne tient pas la route, ils le savent, mais l’occasion est trop belle pour se priver du plaisir de tirer sur l’Islam et ils ne veulent pas la rater.

Pour lever toute équivoque et pour pouvoir aller plus loin, nous avons besoin de préciser ce que nous entendons par «Islam»? En effet, il est utile que l’on s’entende sur les mots que l’on utilise pour qu’il n’y ait point de malentendus.

En ce qui nous concerne, nous utilisons le mot «Islam» pour référer uniquement à la religion telle qu’elle avait été révélée à Mohammed (Qsssl). Et, dans ce cas, il devient important de noter l’étendue de la différence qui existe entre certains vocables.

D’abord, il convient de ne pas confondre entre l’Islam et les musulmans. Le premier est la religion, les seconds en sont les adeptes. Or, ne pas séparer une religion de ses adeptes pourrait amener à commettre des erreurs de jugement, comme c’est malheureusement le cas dans ce qui nous intéresse aujourd’hui et sur quoi nous reviendrons plus loin.

Ensuite, ne pas faire la différence entre l’Islam et la pratique de l’Islam par les musulmans constitue aussi une source d’erreurs certaines pour ceux qui entreprennent de procéder à des analyses de l’Islam ou des musulmans parce que, quand bien même, elle transparaît dans la pratique de ses adeptes, la religion, toute religion, demeure indépendante et non soumise à l’action des hommes. On peut réfuter ou condamner un comportement, quand bien même découle-t-il d’une mauvaise compréhension de la religion, mais on ne peut pas réfuter la religion elle-même, même si elle n’est pas nôtre.

Les pratiques des musulmans, leur pensée, leur perception du monde, même si elles sont largement influencées par l’Islam ne peuvent en aucun cas être assimilées à celui-ci. Appeler ces pratiques «Islam» ne peut être que douteux et ne saurait donc être accepté.

… Alors qu’il faut repenser les pratiques des musulmans

Les pratiques des hommes, même celles religieuses, dépendant de la volonté des hommes, de leur culture, de leurs perceptions du monde, de leur éducation, de leur compréhension de la religion… C’est ce qui nous donne d’ailleurs des pratiques religieuses différentes que l’on soit en Algérie, en Tunisie, au Yémen, en Indonésie, en France ou en Amazonie ou ailleurs; des pratiques auxquelles certains donnent volontiers le nom d’«Islams» (au pluriel). On entend alors parler d’un «Islam de France», d’un «Islam des Etats-Unis», d’un «Islam des Arabes», d’un «Islam modéré», d’un «Islam extrémiste» d’un «Islam politique»… alors qu’en réalité, il n’existe qu’un seul Islam, celui que nous avons défini plus haut comme étant la révélation faite à Mohammed Qsssl.

En effet, le prophète Mohammed Qsssl n’a reçu qu’une religion et une seule. Mais, dans leur pratique de cette religion, les musulmans, s’en sont plus ou moins éloignés pour des raisons que nul n’ignore comme le pouvoir, l’argent, les intérêts… ils s’en sont aussi éloignés, parfois, pour le confort et les commodités d’une vie que l’on ne connaît que trop; dans certains cas, ils s’en sont éloignés pour plaire et, le plus souvent, ils s’en sont éloignés par ignorance, induits qu’ils sont en erreur par ceux qui se sont approprié la religion au nom de mille et un prétextes fallacieux et autant de subterfuges non moins sournois et trompeurs.

A moins que cela découle, comme on le verra dans un autre article à venir, d’un désir inavoué de créer un amalgame à même de porter atteinte à l’Islam, ces pratiques qui s’éloignent de la religion ne peuvent donc en aucun cas porter le nom d’Islam. Encore une fois, la nécessaire réforme des mentalités et du comportement des musulmans ne doit pas poser la question de la «réforme de l’islam». Autrement, il s’agirait d’une ambiguïté insensée.

Nous aurons l’occasion de voir, par la suite, que certains cultivent le voeu de nous faire croire, tout simplement, que l’Islam fait partie de ces archaïsmes qu’il convient désormais de surmonter pour aller plus loin sur le chemin de l’évolution de l’Humanité. Nous verrons que, au nom d’une prétendue modernité, ils tentent d’imposer une lecture erronée du Coran qu’ils veulent soumettre à la morale et aux principes de la démocratie.

Mais nous verrons aussi que, à côté de ce nouveau souk dont l’ouverture nous paraît commandée, d’autres essaient de réfléchir à la situation des musulmans, de cerner leur mal et d’avancer quelques propositions dont le but reste la sortie de la léthargie désastreuse qui nous frappe depuis de longs siècles.

A suivre Prochain article: Le lit de Procuste