Redoutant une accélération de la violence,Le pays des Pharaons craint le chaos

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Le palais présidentiel à Héliopolis, encerclé par les manifestants sur lesquels la police usait de gaz lacrymogène

«Nous sommes condamnés à nous entendre, sinon nous allons vivre ce que l’Algérie a vécu durant plus d’une décennie.»

Ces paroles ne sont pas ceux d’un homme politique ou d’un responsable égyptien, mais d’un simple citoyen qui discutait dans un café avec un journaliste égyptien qui nous accompagnait. Sans savoir que je suis Algérien, ce jeune cairote a donné l’exemple de l’ex-FIS, qui s’est retourné contre le pouvoir après sa victoire au premier tour des législatives. Le cas de violence islamiste en Algérie est devenu une grande crainte pour les Egyptiens qui ne savent pas de quoi sera fait l’avenir, surtout après les menaces proférées par un parti proche des salafistes, qui soutient le président et menace de recourir au Djihad si Morsi est écarté de la présidence. Au lendemain des violences de mercredi soir, le bilan est lourd et inquiétant: Sept morts et 881 blessés. Des traces de balles et de cartouches ont été retrouvées sur les blessés, et les deux camps se rejettent la responsabilité. Les chars de l’armée se sont positionnés devant El-Ittihadiya, le Palais présidentiel à Héliopolis. Le discours prononcé jeudi soir par le président Mohamed Morsi lors duquel il a invité l’opposition à un dialogue pour samedi (aujourd’hui), n’a pas convaincu la rue cairote en effervescence. Pour certains intellectuels que nous avons rencontrés aux abords de la place Tahrir qui a perdu de sa symbolique politique, Morsi ne lâchera pas le pouvoir et le clash entre l’opposition et les islamistes est inévitable. Même si le nombre des victimes n’est pas trop élevé par rapport aux blessés, c’est la personnalité des victimes du mercredi noir qui est importante à signaler: la violence a pris la vie d’un journaliste du quotidien Echorouk, El Hosseini Abou Dheif et un copte, le docteur Karam Serdjious, membre de la jeunesse copte Maspiro. Dans cette bataille constitutionnelle, c’est justement les journalistes et les coptes qui sont les premières victimes et les premiers en ligne contre les dernières décisions de Morsi. Les opposants égyptiens protestent contre le projet de loi fondamentale devant être soumis à référendum le 15 décembre. Ce projet a été adopté en toute hâte par une commission dominée par les islamistes et effacerait les libertés individuelles tout en ouvrant la voie à une application plus stricte de la loi islamique. Curieusement l’Egypte est en train de vivre les mêmes instants qu’avait vécus l’Algérie au début de la crise avec les islamistes en 91.

Ahmed qui travaille dans un grand journal cairote est totalement désemparé. On vient de lui censurer un papier écrit la veille qui évoque la vie d’un petit dictateur. Son téléphone ne cesse de sonner car son rédacteur en chef lui demande à chaque fois de modifier une phrase de son texte. «Jamais je n’ai vécu la censure, même du temps de Moubarak» affirme Ahmed, qui réfléchit déjà à quitter l’Egypte en cas d’explosion. Le terme de «Infilat Amni» (Dérapage sécuritaire), revient sur toutes les lèvres, du portier au chauffeur de taxi. Dans les magasins et les cafés que nous avons visités du côté du Hilton, les Egyptiens sont branchés sur la télévision d’Etat dont le directeur Issam El Amir a démissionné pour protester contre le mauvais traitement que la chaîne Masrya a réservé à ces événements et surtout pour être solidaire avec les manifestants égyptiens. A cela s’est ajoutée, la démission de quatre conseillers du président. Même s’ils n’aiment pas Morsi, il n’en reste pas moins que son discours a été largement suivi dans un silence de cathédrale. Dès la fin du discours les critiques fusent et les langues se délient. «Morsi ne veut pas lâcher, il ne quittera pas le pouvoir» s’exclame un vendeur, pour qui les islamistes se sont accaparés du pouvoir, ils ne vont pas le lâcher.

Le premier responsable de l’opposition à réagir est Mohamed El Baradei, chef de la coalition de l’opposition égyptienne, qui rend Morsi responsable des violences et, selon lequel le régime perd de sa légitimité jour après jour. Même la plus haute autorité de l’islam sunnite en Egypte, Al-Azhar, a demandé à Mohamed Morsi de suspendre les pouvoirs exceptionnels qu’il s’est accordées. Les chaînes de télévisions privées notamment Ontv de Naguib Sawaris, offre une large place à l’opposition. Des meetings de jeunes opposants de la gauche égyptienne se relayent sur cette chaîne pour exprimer leur désapprobation du décret de Morsi et son dernier discours. Certains demandent même sa démission ou sa destitution. A l’heure de l’envoi de notre «papier», les manifestants sont toujours devant le palais Ittihadiya. Au moins cinq chars et neuf véhicules blindés de transport de militaires ainsi que des éléments de la Garde républicaine sont positionnés aux abords du palais d’Héliopolis pour séparer sans violence les protagonistes.

Les manifestants sont motivés car ils savent pertinemment que l’armée qui a été neutre lors des événements du «printemps arabe» du 25 janvier, n’oseront jamais tirer sur les manifestants. Car la véritable menace vient des baltaguia, qui volent au secours de Morsi pour quelques dollars de plus. Les jours à venir seront déterminants pour «Oum Eddounia».