Messahel – Lamamra: un duo de choc
Mesurant la portée de ce double redéploiement algérien dans le continent africain, les Marocains réfléchissent à une contre-stratégie.
Le bal incessant des dizaines de chefs d’Etat africains à Alger, le redéploiement certain de la compagnie aérienne, Air Algérie sur ce même continent, ne fait pas que des heureux. Déstabilisé, affolé, le voisin marocain s’agite. La première anxiété du Maroc vient de ce retour bruyant de la diplomatie algérienne sur la scène africaine et régionale avec les assauts incessants menés par le ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, ce «cauchemar diplomatique qui donne du fil à retordre à Rabat», pour reprendre l’expression du magazine marocain Tel quel.
L’Algérie, qui affiche désormais l’ambition de jouer un rôle majeur dans la région et à l’international… Avec Lamamra comme chef de file cela dérange au plus point le Royaume marocain. Ce dernier n’a-t-il pas tenté dans un premier temps de parasiter le dialogue inter-malien, torpiller ensuite les pourparlers libyens à Alger? On se rappelle que le Maroc a vainement tenté de s’emparer de ce dossier stratégique pour la sécurité de la région, dont il était resté éloigné pendant trois ans, au détriment des pays partageant directement des frontières avec la Libye, dont l’Algérie? Peine perdue. Et revers diplomatique cuisant, qui a mené le Makhzen à changer de mode opératoire. Pour étouffer la voix de l’Algérie, le roi entame une tournée dans plusieurs pays africains et multiplie les opérations de charme et de lobbying. L’autre source d’anxiété du Maroc vient du redéploiement d’Air Algérie qui vient d’ouvrir 13 nouvelles lignes, dont 10 en Afrique.
Brouillard sur Casablanca
Un brouillard enveloppe Casablanca qui servait de «hub» pour l’Afrique, menace directe sur la Royal Air Maroc qui tire ses plus gros bénéfices grâce à ses liaisons africaines. Désormais, elle n’est plus seule, Air Algérie arrive avec des appareils Boeing et Airbus à grande capacité, flambant neuf et avec des offres défiant toute concurrence. Mesurant la portée de ce double redéploiement algérien dans le continent africain, les Marocains réfléchissent à une contre-stratégie qui puisse entraver l’avancée de l’Algérie. Déjà, ils agitent leur lobby en France pour assécher toute initiative d’investissement française en Algérie comme l’installation d’une usine de Peugeot en Algérie. Or, la densité de la coopération algéro-française et les espoirs mis par les uns et les autres de construire un partenariat d’exception peuvent-ils autoriser un pareil faux pas? Paris
va-t-elle scarifier sur l’autel de l’amitié ses gros intérêts en Algérie? Cette désormais affaire du constructeur Peugeot qui envisage de réaliser une usine de montage de véhicules au Maroc est de ces épines qui ne devraient pas freiner la marche qu’entendent parcourir Alger et Paris sur le chemin du partenariat, qu’outre-Méditerranée, on ne cesse d’en signifier le caractère stratégique pour les deux Etats.
L’Affaire Peugeot n’a certes pas provoqué une «colère rouge» des décideurs économiques à Alger, mais le choix marocain de la marque au Lion a de quoi amener les responsables algériens à se poser des questions. En effet, comment un constructeur peut-il ignorer son meilleur marché dans la région d’Afrique du Nord et espérer y prospérer à l’aune de la coopération algéro-française. La décision d’investissement de Peugeot qui intervient près d’une année après celle de Renault ne peut être considérée comme autant de «petits accidents» dans le parcours économique algéro-français. En effet, il faut savoir que c’est bien en Algérie que ces deux constructeurs font leurs meilleurs chiffres d’affaires dans la région du Maghreb. Leur succès story en Algérie est tellement voyante qu’elle en a amené le ministre du Commerce à s’interroger sur ces bénéfices qu’on ne voit pas. Il faut savoir, à ce propos, que dans l’affaire de l’IBS non recouvré en raison de «petits passe-passe» dans la facturation des véhicules, les constructeurs français ont de quoi se faire du souci.
Au-delà de ces aspects fiscaux qui ne sont pas propres à l’Algérie ou aux constructeurs français, il y a dans l’investissement de Peugeot au Maroc un réel problème de cohérence dans la démarche du gouvernement français. Ce dernier se doit de tenir compte de l’intérêt de l’Algérie qui, en sa qualité de gros consommateur de véhicules de tourisme, est plus à même de recevoir un investissement de ce type sur son sol, pour la simple raison que la demande existe déjà et les modèles français sont apprécié par les Algériens.
L’Algérie ne sera pas une roue de secours
Ce qui arrive déjà avec Renault, avec une voiture trop chère qu’aucune logique commerciale ou économique ne saurait expliquer, risque de se reproduire avec Peugeot qui installe, qui fait profiter au voisin marocain des avantages qu’accorde l’Algérie à la France, en tant que pays ami. Bref, si l’arrangement avec Renault passe pour supportable, la pilule Peugeot reste en travers de la gorge du gouvernement, voire de la société civile qui n’admet pas qu’on se joue aussi aisément des Algériens.
Partant du principe que ce n’est pas parce que le produit français est apprécié chez-nous que nous devons accepter n’importe quoi, des associations de défense des consommateurs entendent engager un bras de fer avec les constructeurs qu’elles jugent indélicats. Des animateurs de la société civile ont l’intention de faire pression pour amener le gouvernement à contingenter l’importation de véhicules français. Pareille campagne n’est pas pour arranger les affaires d’un partenariat qu’on veut élever au rang de l’excellence.
Aussi, de nombreux observateurs estiment que le gouvernement français devrait être d’un meilleur conseil pour les capitaines d’industrie français. Car la question ne relève pas de la seule «liberté d’investir», mais engage deux pays dans une stratégie globale où le concept de gagnant-gagnant doit avoir toute la dimension qu’il mérite.
Les relations algéro-fançaises sont plus amples et plus stratégiques qu’une usine, mais il est clair également que toute la volonté politique qu’on doit mettre dans ce genre de rapports inter-Etats a besoin de signaux forts, à même de construire une véritable confiance au plan des deux sociétés. Il ne faut pas omettre, à ce propos, que l’Algérie dispose d’une communauté émigrée établie en France particulièrement importante.
Elle saura apprécier des gestes bien attentionnés de la part de la France en direction du pays d’origine, de même que les Algériens d’Algérie et les Français de France accorderont l’intérêt qu’il faut aux efforts fournis par les politiques pour rapprocher les deux communautés.
La visite attendue du président français à Alger poursuit cet objectif de rapprochement, mais encore faut-il «réaliser» des «bilans d’étape», avec un maximum de visibilité pour montrer la voie et donner assez d’indices sur la volonté commune de construire un avenir meilleur.