Réda Hamiani au forum de “Liberté” : “La diversification est l’arme absolue contre la rente”

Réda Hamiani au forum de “Liberté” : “La diversification est l’arme absolue contre la rente”

Parmi les bonnes nouvelles annoncées par le patron des patrons, la prise en compte par les autorités de la notion du temps. Mieux vaut tard que jamais…

Comment peut-on apprécier le climat des affaires en Algérie ? C’est par cette question toute simple que l’invité de Liberté, le président du Forum des chefs d’entreprise (FCE), Réda Hamiani, a été, d’emblée, interpellé hier. Maîtrisant son sujet, l’industriel et non moins ancien professeur en sciences économiques à la faculté d’Alger s’est voulu didactique. “C’est un mélange entre des éléments chiffrés et des modes opératoires.

Cela dépend aussi des attitudes des décideurs, des législateurs et des hommes politiques. Il y a aussi une dimension personnelle, plus subjective qui tourne autour de l’appréciation de ces règles ainsi que de la prise de risque et des anticipations. Ainsi, le climat des affaires se mesure. Au FCE, nous avons un baromètre arithmétique qui prend en considération notamment l’activité, le niveau des stocks et les prévisions. À l’échelle internationale, il y a le Doing Business, un comparatif par pays mis en place par le FMI et la Banque mondiale et qui se base sur une dizaine de critères dont, notamment, la réglementation des affaires sur le bon fonctionnement de l’économie.” Hamiani révèlera que notre pays est positionné à la 152e place donc parmi les derniers.

Pourtant, ce classement, peu enviable, semble ne pas entamer, outre mesure, l’optimisme sans faille dont s’est prévalu hier le patron des patrons algériens. D’après lui, il existe dans le pays une réelle “volonté politique” d’améliorer ce climat des affaires. Mieux, pour lui, non seulement cette volonté existe mais elle se renouvelle et s’exprime régulièrement. “Tous les ministres en font leur priorité. Nous sommes, pour notre part, à leurs côtés. Le nouveau ministre de l’Industrie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb, reprend à son compte ce dossier auquel il compte donner une nouvelle impulsion.” Pour justifier son ton quelque peu “euphorique”, l’orateur rappellera que dans un passé récent le manque de concertation dérivait vers plus de lourdeurs administratives et de freins à l’essor économique du pays.

D’après lui, l’économie de marché en Algérie ne méritait pas le traitement administratif qu’on lui infligeait. “Nous voulons une administration qui accompagne. Une administration moins orientée sur le tout-répressif et le tout-contrôle. Une administration moins tatillonne avec moins de papiers et des prises de décisions dans un délai raisonnable. Les décideurs sont aujourd’hui sensibles à ces questions…”.

Et quid de la disparition du ministère chargé de la Réforme du service public à l’occasion de la nomination d’un nouveau gouvernement, il y a quelques jours ? Est-ce à dire qu’on en a fini avec la bureaucratie ? Ou est-ce tout simplement un aveu d’échec du gouvernement qui peine à lutter contre l’hydre de l’administration ? Hamiani se dira, lui-même, étonné par cette suppression car ce département avait, selon lui, “toute sa place” et qu’il a encore “beaucoup de pain sur la planche”. Faute d’apporter une réponse concrète, l’invité de Liberté spéculera alors sur les intentions du gouvernement en apportant à cette question pertinente son “bémol”. “À l’intérieur de chaque structure, département ministériel ou tout autre institution détentrice d’un pouvoir, il devrait y avoir une autocritique, un bilan des actions engagées, etc.

C’est, du moins, ce qui était prévu dans le schéma d’organisation en termes d’amélioration de la qualité du service public.” Même s’il n’a pas encore pris connaissance du programme économique actuellement en cours de préparation, Hamiani estime que notre pays est appelé à vite renouer avec une croissance plus forte. “Le discours d’investiture du président de la République, sa déclaration à l’occasion du 1er mai 2014 et les mesures prises récemment en Conseil des ministres sont la synthèse d’une nouvelle vision. J’ai relevé pour la première fois une considération récurrente dans le propos et les écrits : une prise en compte de la notion du temps. Ce qui ne s’est jamais fait. Cela fait la différence en termes de politique économique.”

La dernière chance

Pour Hamiani, c’est le dernier ouvrage du professeur Abdelhak Lamiri au titre évocateur La décennie de la dernière chance — émergence ou déchéance de l’économie algérienne qui semble avoir influencé nos politiques. Il est à rappeler, en effet, que l’éminent professeur était venu présenter son ouvrage au forum de Liberté où il plaidait la nécessité d’imaginer des systèmes propres à enclencher un cercle vertueux où les entreprises, les universités et les collectivités locales, dans une dynamique de complémentarité fondent leurs logiques opérationnelles sur des processus innovants. Pour bien souligner la nécessité impérieuse de ce changement, l’orateur avait fait valoir longuement l’amenuisement de la rente énergétique. En mettant en exergue les perspectives difficiles de “l’après-pétrole”, Lamiri avait prouvé que l’Algérie est confrontée à un seul choix.

“Le diagnostic de Lamiri est relayé aujourd’hui par de nombreux experts. Nous avons 10 ans de répit. Même si les cours des hydrocarbures se maintiennent à la hausse, l’Algérie produit déjà moins. Avec l’apparition sur le marché du gaz de schiste, les USA ne sont plus clients. Nous perdons, ainsi, 25% du marché mondial. La baisse sensible des recettes d’hydrocarbures devrait conduire effectivement les autorités à revoir le modèle de croissance.

” D’après lui, la nouvelle vision stratégique attendue doit être à même d’enclencher une dynamique forte de création d’entreprises et de diversification des activités assurant un développement économique durable pour le pays. “Il faut que l’Algérie se remue, bouge et s’inscrive dans une démarche plus agressive en matière d’accélération des réformes.” D’après lui, cette notion du temps, qui nous est compté, est désormais mieux appréhendée par l’équipe gouvernementale sur laquelle il n’a pas tari d’éloges, du reste. “Parmi les caractéristiques de l’équipe Sellal : son pragmatisme et son aptitude à la concertation et au dialogue.

” Cette politique de “proximité” va porter, selon lui, ses fruits à terme. “Il faut vite sortir de l’emprise de la rente des hydrocarbures. Il est dorénavant hasardeux de réduire sa contribution économique aux seules richesses du sous-sol. Le secteur privé est une arme pour reconvertir notre économie. Il est temps de tirer profit de l’infrastructure qui a été développée. Il nous faut de 7 à 8% de taux de croissance économique pour résorber le chômage.” Hamiani croit déceler une volonté de passer à un niveau qualitatif pour dépasser “les mauvais choix” opérés.

Il explique que les réformes ont permis de réajuster les politiques économiques du pays orientées jusqu’alors uniquement en faveur d’un secteur public, objet de toutes les sollicitudes. Ceci n’a pas empêché, pour autant, le secteur privé de progresser jusqu’à devenir de nos jours “un acteur-clé de la croissance économique et le principal pourvoyeur d’emplois”. Et d’après lui, ce n’est pas fini. “L’émergence d’un secteur privé se caractérise dorénavant par une présence majoritaire pour ne pas dire exclusive dans de nombreux secteurs.” Il évoque même “des champions nationaux”, une dizaine de groupes industriels qui arrivent à évoluer au même niveau de performance que leurs concurrents internationaux.

S’inscrire dans le sillage de leur ascension suppose, pour lui, que le pays entier s’engage dans un mode dominant de création de richesses et dans un processus de pouvoir innovant en matière économique. Il s’agit, selon lui, d’avantages concurrentiels qu’il va falloir valoriser. “Le privé va dominer dans ce pays, comme ailleurs dans le monde, c’est une question de génération.” Interrogé, par ailleurs, si son organisation patronale était concernée par les consultations autour de la révision constitutionnelle, Hamiani répondra par l’affirmative. “Le FCE a reçu les propositions d’amendements de la Constitution. Nous allons nous positionner. Nos experts planchent déjà dessus.

Nous émettrons des propositions sur toutes ces questions.” Croyant s’en tirer ainsi à bon compte, l’invité de Liberté sera tout de même apostrophé à la fin non seulement au sujet de son soutien à un 4e mandat pour Bouteflika mais sur quelle place réservée aux victimes économiques du terrorisme ? C’est par cette question qui revient en force au-devant de l’actualité qu’un investisseur dans l’hôtellerie a interpellé le patron du FCE en exigeant “le droit à la réparation”. Et de supplier Hamiani de venir en aide à ces entreprises en difficulté. “La Constitution ne nous a pas protégés car, elle-même a besoin d’un protecteur !”, a-t-il fini par lâcher, excédé par de nombreux déboires judiciaires.

M.-C. L.