Le député français de Seine-Saint-Denis, Daniel Goldberg, issu du Parti Socialiste, a sollicité par lettre, le chef de l’État français François Hollande afin que la France reconnaisse sa responsabilité dans la répression violente des deux manifestations organisées dans plusieurs villes d’Algérie, notamment à Sétif, le 8 mai 1945, et à Paris, le 17 octobre 1961.
Dans un courrier remis hier à l’agence de presse AFP, le député français indique que «la France pourrait saisir l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet, pour s’exprimer enfin clairement sur certains des événements les plus douloureux de notre passé commun afin que nous progressions dans la voie d’une réconciliation encore inachevée».
Ajoutant tout de même que sa démarche ne procède pas d’une recherche de repentance de son pays «mais d’une reconnaissance des violences commises par les forces de l’ordre, une reconnaissance qui rende la France plus forte et plus unie, une reconnaissance qui rendra enfin collectivement hommage aux victimes et à leur mémoire et dont notre pays en sortira finalement grandi», souligne-t-il. Cette déclaration anticipe l’habituelle réaction de ses adversaires de droite à ce genre de requête que formulent régulièrement certaines parties en Algérie.
«Ce n’est qu’au mois de mai 2005 que l’ambassadeur de France en Algérie qualifie, pour la première fois, ces événements en employant les mots de massacre et de tragédie nationale. Il faut, aujourd’hui, aller plus loin par la voie d’une reconnaissance officielle par la France de sa responsabilité», estime l’élu de Seine-Saint Denis, un département où vivent des Algériens et des Français d’origine algérienne. Il soulignera que François Hollande doit lui-même définir la façon d’accomplir cet acte. Il vous revient de reconnaître, sous la forme que vous jugerez la plus appropriée, les faits qui ont entraîné la mort d’au moins 200 personnes et qui en ont blessé des centaines d’autres, en octobre 1961, à Paris et dans la banlieue parisienne», ajoute-t-il.
Il fait allusion à la sanglante répression de la manifestation des Algériens, le 17 octobre 1961, sur ordre du préfet de police de Paris Maurice Papon. Cette dernière avait été organisée contre le couvre-feu en pleine guerre d’Algérie. Par ailleurs, M. Goldberg rappelle que François Hollande avait rendu hommage aux victimes le 17 octobre dernier au lendemain de son investiture comme candidat à l’Elysée et qu’il avait «interpellé en vain» à deux reprises Nicolas Sarkozy sur cette question en 2009 et 2011.
«Il faut que la vérité soit dite»
François Hollande s’était rendu, en décembre dernier, à Alger, à l’invitation du parti du Front de libération nationale (FLN). Interrogé lors de cette visite sur le passé colonial de la France, il avait fermement condamné la colonisation et appelé à un travail de mémoire qui permette aux deux pays de mieux «comprendre le passé pour mieux préparer le futur».
Dans une lettre datée du 26 mars 2012, le nouveau président français François Hollande comptait marquer le 50e anniversaire de l’indépendance algérienne et la fin de la guerre par une décision sans précédent, reconnaître les crimes coloniaux en Algérie. «Il faut que la vérité soit dite. Reconnaître ce qui s’est produit», avait écrit M. Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle française.
Il avait reconnu de manière implicite les massacres perpétrés lors des manifestations du 8 Mai 1945 à Sétif, qu’il qualifiait de «répressions sanglantes en réponse aux émeutes survenues dans le département de Constantine». Concernant la tuerie du 17 Octobre 1961, qui a endeuillé le pays, il avait indiqué : «Vous vous souvenez peut-être qu’en hommage aux Algériens morts lors de la manifestation du 17 Octobre 1961, j’ai déposé une gerbe, le 17 octobre 2011, au pont de Clichy. Au cours de cette commémoration, j’ai tenu à témoigner ma solidarité aux enfants et petits-enfants des familles endeuillées par ce drame.
Il faut que la vérité soit dite. Reconnaître ce qui s’est produit. Ce jour-là, j’ai agi en tant que socialiste. À l’avenir, ce sera sans doute à la République de le faire.» Il avait, par ailleurs, affirmé ses convictions en indiquant qu’il souhaitait que «le 50e anniversaire soit l’occasion de cette initiative historique». Ajoutant : «Il ne faut pas nous figer dans une commémoration qui sera forcément différente dans l’évocation, en Algérie et en France.
Ce sera l’occasion de rappeler le passé : l’histoire et ses douleurs multiples. Avant d’affirmer que si il était élu, il ferait des gestes pour apaiser et normaliser les relations entre la France et l’Algérie. «Nous devons être dans une relation de confiance mutuelle et dans la construction de projets communs», avait-il estimé.
«Le processus de repentance grandirait la France»
Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH), nous a indiqué que cette proposition de reconnaissance est un progrès car, finalement, «le processus intellectuel avance lentement, donc, si la France accomplit ce geste, ce serait un pas important».
Concernant le refus d’employer le terme de repentance, une nuance qui pourtant ferait la différence car, le choix des mots est toujours important dans une telle prise de décision, M. Ksentini affirme qu’il tient à ce qu’elle soit prise en compte dans ce processus de responsabilisation de la partie française. «La repentance est un élément incontournable. La France doit reconnaître que ses crimes et l’occupation du pays sont à l’origine du drame qui a touché le peuple.
Aujourd’hui, nous en payons encore le prix.» Selon lui, beaucoup pensent que le temps de la colonisation est révolu mais, il insiste sur les séquelles qui marquent encore le pays. «Nous payons les conséquences de nos jours car, ce pays n’a pas encore suffisamment avancé sur le plan économique, politique, social. Et cette situation est imputable en grande partie à la colonisation.» Par ailleurs, il ajoute que «la repentance est une procédure qui grandirait la France», même si, souligne-t-il, «la reconnaissance officielle des crimes est de bon augure et présage d’un bon début».
Sabrina B.