Cette voie de la participation directe des acteurs locaux (citoyens et collectivités territoriales), en résonance avec les retours d’expérience dans les pays pionniers comme l’Allemagne ou le Danemark, suscite un engouement certain pour les projets citoyens d’énergies renouvelables.
“Il y a pourtant urgence à agir si nous voulons réussir à contenir le réchauffement climatique bien en dessous de la barre fatidique des 2°C. Les solutions sont connues – sobriété énergétique, efficacité énergétique et énergies renouvelables – mais encore faut-il s’accorder sur la façon de les mettre en œuvre.” C’est l’introduction à un appel d’un collectif pour l’énergie citoyenne, composé de onze organisations de l’économie sociale et solidaire, de l’énergie citoyenne et de la société civile dont ESS (Économie sociale et solidaire), WWF (Fonds mondial pour la nature), Réseau Action Climat… C’est dans ce contexte que les modèles de projets participatifs et citoyens d’énergies renouvelables commencent à prendre une place importante, un peu partout dans le monde.
Un projet citoyen, c’est quoi ?
Les projets citoyens en général sont tournés vers l’intérêt général avant tout, ils ouvrent le financement et la gouvernance des projets aux citoyens qui souhaitent s’y investir. Dans le domaine des énergies renouvelables, ils font l’objet d’un intérêt croissant de la part des acteurs politiques et industriels, motivés par la volonté de favoriser l’acceptation de ces projets (fonciers, nuisances visuelles….) et de diriger l’épargne locale pour la réalisation de la transition énergétique. Cette voie de la participation directe des acteurs locaux (citoyens et collectivités territoriales), en résonance avec les retours d’expérience dans les pays pionniers comme l’Allemagne ou le Danemark, suscite un engouement certain pour les projets citoyens d’énergies renouvelables. C’est le cas dans l’ensemble de l’Europe.
En Allemagne, il existe plus de 1000 coopératives locales portant chacune plusieurs projets citoyens sur les renouvelables. Andreas Rüdinger, chercheur associé au sein du pôle Énergie-Climat de l’Institut de développement durable et des relations internationales (Iddri-France), fait le point au sujet de ce “créneau” dans un entretien au site d’économie responsable Novethic. Il explique qu’en Allemagne, le mouvement citoyen et écologiste, qui s’est constitué dès les années 1970 en opposition au nucléaire, joue un rôle très important.
“L’énergie est devenue une question très polarisante, qui intéresse beaucoup. Un Allemand sur quatre fait partie d’une coopérative, que ce soit une banque coopérative ou une coopérative d’achat. Du coup, cet écosystème déjà existant a permis aux citoyens qui ont voulu se lancer dans l’énergie participative d’aller beaucoup plus vite.” Selon lui, pour la France, le mix énergétique, dominé par le nucléaire qui produit une électricité bon marché, crée un énorme blocage. “Alors que le parc nucléaire historique atteint bientôt la fin de sa durée de vie initiale, les discours restent hésitants : pourquoi développer les renouvelables alors que nous disposons déjà d’une électricité décarbonée et bon marché ?”
Qu’en est-il chez nous ?
Dans notre pays, le mix énergétique est dominé par les énergies fossiles, un euphémisme pour ne pas dire la quasi-totalité de l’électricité produite. De plus, le fait qu’elle soit subventionnée à des niveaux inaccessibles à toutes alternatives est évidemment le premier facteur de blocage. En Afrique, les pays qui avancent le mieux dans la voie des énergies renouvelables (et du développement durable) sont ceux qui sont démunis de cette manne des hydrocarbures.
Les va-et-vient incessants sur la politique ou la stratégie à suivre (Liberté du 22 juin 2017, “Promotion des énergies renouvelables Le voile commence-t-il à se lever ?”) en matière d’approvisionnements et de sécurité énergétique à moyen et long termes sont rendus possibles, pour ne pas dire gérables, grâce ou à cause, c’est selon, de la disponibilité présente du gaz et du pétrole, cédés à des prix défiant toute logique économique. Tewfik Hasni, expert en transition énergétique, estime que “les subventions à l’énergie ont coûté 15 milliards de dollars en 2016 et au rythme de consommation actuel, elles atteindront près de 60 milliards de dollars en 2030”. Avec de tels chiffres abyssaux dans une période de crise financière, le pays fait l’économie d’un vrai débat sur le modèle de gouvernance qu’on veut associer à la transition énergétique indispensable pour libérer des ressources et amorcer une politique de développement durable. L’ancien PDG de la société New Energy Algeria (NEAL) pour les énergies renouvelables ajoute dans cet entretien donné au CDER (Centre de développement des énergies renouvelables), le 14 juin 2017, que “les coûts des ENR (énergies renouvelables) ont connu une forte baisse ; aujourd’hui, 1 KWh à partir d’ENR est moins cher que chez Sonelgaz. Il est plus facile d’élaborer une grille de tarifs de rachat (à partir de projets citoyens par exemple)”.
Pour 20 000 MW de capacité de turbines gaz produisant de l’électricité de Sonelgaz, nous consommons près de 35 milliards m3/an de gaz naturel. Le fait de ne pas alimenter le marché national avec ce gaz permet de récupérer la subvention accordée au gaz, soit près de 10 milliards de dollars par an. Dans un tel mouvement, il s’agira en premier lieu de libérer les collectivités locales qui ont de ce fait un rôle central à jouer. L’encouragement des projets citoyens dans le domaine des énergies renouvelables a donné lieu à une véritable dynamique de “remunicipalisation” de l’énergie en Europe. Il y a des régions de pays en Europe qui sont sur le point de dégager un surplus d’énergie à vendre après avoir assuré leur consommation. Cette réussite s’appuie sur la multiplication des modèles :
– Les projets développés dans une approche conventionnelle, généralement focalisée sur la logique de rentabilité financière directe, n’incluant pas de participation financière des acteurs locaux ;
– les projets désignés comme “citoyens”, développés autour d’une gouvernance collective et d’un financement maîtrisé par les acteurs locaux (citoyens et/ou collectivités locales). On peut ajouter chez nous des projets dont le financement est articulé autour de l’opérateur historique (Sonelgaz), en passant par des formes d’hybridation dans la participation. En définitive, la forme industrielle comme prônée un certain moment (Nordine Bouterfa, ex-ministre de l’Énergie) ne doit pas brider les autres initiatives.
En Allemagne, la part des énergies renouvelables électriques est passée de 6,6% en 2000 à 33% en 2015, plus de la moitié de la capacité de production d’énergie renouvelable appartient d’ores et déjà aux habitants ! (“The potential of energy citizens in the European Union”, CE-Delft, 2016). Une récente étude européenne estime que 47% de l’électricité produite en France pourrait être, à l’horizon 2050, entre les mains des citoyens. Nous ne sommes pas seulement à la traîne pour garantir notre sécurité énergétique, mais le statu quo que nous maintenons nous mène tout droit à la marge d’une révolution industrielle qui se déroule sous nos yeux. Cela, les experts et les gouvernants le savent. Gageons que les concepteurs des réformes évoquées dans le plan d’action du nouveau Premier ministre A. Tebboune concernant la gestion des collectivités locales ne réduisent pas l’approche participative contenue dans le document en simple instrument d’une pseudo-association des citoyens à la gestion de la rareté de la ressource financière.