Réappropriation de la langue et culture amazighes : La longue marche…

Réappropriation de la langue et culture amazighes : La longue marche…

Le 20 avril, n’en déplaise aux mauvaises langues, n’a jamais été un mouvement séparatiste, mais et surtout un rempart à ceux qui voulaient assimiler l’Algérie et effacer sa caractéristique, son patrimoine, sa pluralité, en un mot sa personnalité.

Une fois n’est pas coutume. La célébration du 37e anniversaire des événements du 20 avril bénéfice d’une attention particulière. Par le passé la célébration était du ressort exclusif d’une frange du mouvement associatif. La reconnaissance de cette journée, comme une étape dans le combat identitaire, était elle-même une revendication prônée par une frange juvénile de la société. Pour les besoins, toutes les administrations ont tracé des programmes en cette semaine du patrimoine qui sera clôturée le 20.

L’éducation, la culture, la solidarité, la direction de l’artisanat, la jeunesse et les sports sont les organismes qui ont retenu des activités circonstancielles en cette période de campagne électorale plutôt monotone. Au-delà du folklore que certains privilégiaient et qui nuisaient plus à la cause juste au lieu de la servir.

Maintenant que la Constitution a répondu favorablement à un droit et que la revendication ne peut plus être un fonds de commerce aux politicards «rendons à César ce qui appartient à César». Le 20 avril en déplaise aux mauvaises langues n’a jamais été un mouvement séparatiste, mais et surtout un rempart à ceux qui voulaient assimiler l’Algérie et effacer sa caractéristique, son patrimoine, sa pluralité, en un mot sa personnalité.

La genèse d’un mouvement qui a rectifié l’Histoire

L’occasion est propice pour revenir sur la genèse des faits qui ont influé sur le cours de l’histoire de notre pays et rendre hommage aux milliers d’anonymes, mais aussi leaders qui ont influé et laisser leurs empreintes. Sous le règne sans partage de feu Houari Boumediene, était né dans la clandestinité le Mouvement culturel berbère, pourvu d’un projet de société opposé à celui mis en exergue par le pouvoir de l’époque. Le mouvement se voulait aussi une réponse franche à cette mouvance qui tirait ses fondements des théories de Hassan El Bana, l’Egyptien, et que la forte présence de coopérants venus des deux rives du Nil propageaient dans les milieux scolaires parmi les élèves des établissements des trois paliers scolaires.

La position de l’autorité, plutôt proche des thèses baâthistes, n’allait pas faciliter la tâche aux militants de la cause amazighe. L’arabisation à outrance instaurée par décret en remplacement, au plus pressé, du français sera un acte médité pour frustrer quelque 25% de la population algérienne dont la langue maternelle était autre que l’arabe et s’inscrira en contre-courant aux perspectives de développement qui prédominaient sur toute la région maghrébine.

La Tunisie, le Maroc, nos deux voisins, avaient eux privilégié la politique linguistique conforme aux exigences du temps, en optant pour une école laïque, moderne utilisant les langues étrangères comme support d’étude. C’est ce paradoxe qui poussera des sommités comme Taos Amrouche, Mouloud Mammeri et bien d’autres à réagir pour essayer de sauver les meubles. Dans cette volonté de redresser la barre est né alors le Mouvement culturel berbère.

Même si la lutte s’est limitée à la région de la Kabylie et plus précisément aux universités de Tizi Ouzou et la Faculté centrale à Alger, les échos de cette lutte parviendront aux autres régions du pays et dépasseront les frontières. Privilégiant les activités culturelles, concerts, débats, pièces théâtrales… et bravant l’interdit, les animateurs finiront par sortir de l’anonymat et deviendront les cibles de la SM et de ses antennes. 1980 sera une année charnière dans cette lutte pour l’Identité nationale.

L’annulation d’une conférence sur la poésie kabyle que devait animer Mouloud Mammeri le 10 mars à Tizi Ouzou sera le point de départ pour une lutte à visage découvert. Les choses ne tarderont pas à se précipiter et les événements se succéderont et iront crescendo.

Le 11 mars: manifestations à Tizi Ouzou, grèves en Kabylie et à Alger. Le 7 avril: imposante manifestation à Alger. La répression est féroce et la journée se solde par une centaine d’arrestations, de nombreux blessés.. D’autres rassemblements ont lieu dans plusieurs villes en Kabylie. Ce même 7 avril: début de la grève à l’université de Tizi Ouzou.

Le 8 avril: une autre manifestation converge vers Alger, mais sans réactions violentes des forces de police. Le 10 avril: grève générale en Kabylie.

Le 17 avril: dans un discours, le président algérien Chadli Bendjedid déclare que l’Algérie est un pays «arabe, musulman, algérien», et que «la démocratie ne signifie pas l’anarchie». Le même jour, les grévistes sont expulsés de l’hôpital de Tizi Ouzou et des locaux de la Sonelec. Le 20 avril: suite à une répression sur tous les lieux occupés (université, hôpital, usines) de Tizi-Ouzou, une grève générale spontanée est déclenchée par la population de la ville: plus aucune enseigne en arabe ne subsiste, ni plaques de rues. La Kabylie est désormais coupée du monde.

Un sujet tabou

Les années se succéderont, se ressembleront et seront jalonnées de faits et d’actes qui pousseront le pouvoir à céder et à reconnaître la légitimité de la cause identitaire. Tamazight n’est plus un sujet tabou et est reconnu comme un des principes fondamentaux de cette trilogie composante de la nation algérienne. Le temps était venu alors de passer à un niveau supérieur dans ce combat hérité des ancêtres.

Face à un pouvoir rodé et jaloux de ses acquis, mais surtout l’autoritarisme, le mouvement est contré dans un plan diabolique mis en place par les laboratoires obscurs des décideurs. La cause est saisie par les politiques qui l’utilisent à des fins inavouées. Même si l’apport du RCD et du FFS, les deux grands partis de la région reste indéniable, ces deux formations ont enterré le MCB pour prendre le devant de la scène. Le mouvement des Aarouchs, la plate-forme d’El Kseur, viendront extirper la cause aux formations politiques pour la rendre au mouvement associatif et à la rue.

Le prix à payer sera immense avec 126 morts et plus de 5 000 blessés. Politiquement, le Printemps berbère restera le premier mouvement populaire, citoyen spontané. Il a ouvert la voie à une remise en cause du régime totalitaire semblable à ceux qui ont dominé le bloc Est. Ce sont ces luttes qui concluront au soulèvement de 1988 qui a imposé le pluralisme, la démocratie et la modernité.1980 – 2012, 32 années sont passées. Les avancées depuis sont sensibles, mais restent insuffisantes.

La langue berbère (tamazight) est maintenant reconnue comme langue nationale et officielle en l’Algérie. Depuis 1995, un Haut Commissariat à l’amazighité (HCA) existe, et a pour mission de soutenir académiquement et administrativement l’enseignement de tamazight. Après la diffusion depuis plus de 30 ans, d’un journal télévisé en langue amazighe à 19h, une chaîne entièrement dédiée aux Berbères est mise en service. Même si le contenu reste contrôlé et censuré, le JT est une copie conforme de l’édition arabophone, ce média lourd reste un autre acquis arraché par la lutte. Depuis ces dix dernières années, la langue amazighe est étudiée dans les établissements scolaires du primaire, moyen et secondaire.

Le statut facultatif de cet enseignement reste un réel obstacle à sa généralisation et un obstacle à son institution. En dépit de ces sacrifices et des multiples acquis, beaucoup reste à faire. Malgré l’officialisation de la langue, malgré la disponibilité exprimée à maintes reprises par les pouvoirs publics et par l’intermédiaire de la ministre de l’Education, l’enseignement de la langue reste en deçà des espérances.

Ainsi, pour la wilaya de Bouira l’enseignement n’est dispensé que dans 66 écoles primaires, 91 CEM et sept lycées tous implantés dans la région est de la wilaya.

Le 20 avril (et ses conséquences) mérite d’être reconnu comme une date historique puisqu’il s’inscrit dans le prolongement du combat de un million et demi de chouhadas. L’algérianité pour laquelle se sont sacrifiés les ancêtres, a toujours été le combat au quotidien de Kateb Yacine, Mustapha Bacha, Salah Boukrif, Kamel Amzal… et plus loin dans le temps de Massinissa à El Kahina.