LA JOURNÉE DE DEUIL A DÉGÉNÉRÉ
Émeutes à Constantine
La multitude d’appels à une journée de protestation à Constantine suite à la fin tragique de l’enlèvement des jeunes Brahim et Haroun a fini par provoquer l’irréparable dans la ville des ponts suspendus où de violentes émeutes ont éclaté hier.
Les appels qui ont envahi la Toile et les murs de la ville, appelant à une manifestation pacifique pour la sécurisation de nos cités pour les uns et à une grève générale pour le rétablissement de la peine de mort, voire même à la désobéissance civile pour les autres, n’ont pas fait réagir à temps les autorités qui se sont confinées dans un silence radio au moment où il fallait apaiser les esprits révoltés par ce qui vient de se passer. Des voix s’étaient pourtant élevées pour attirer l’attention sur une possible instrumentalisation de cette affaire, notamment suite à la médiatisation démesurée de certains organes de presse dont une nouvelle chaîne de télévision basée à Constantine qui a diffusé en boucle les images atroces des deux corps des victimes, leur enterrement et la détresse de leurs familles. Les pouvoirs publics n’ont réagi que par la mobilisation d’un maximum de renforts des services de l’ordre pour parer aux débordements éventuels. Hier, les rares commerces qui avaient entamé leur journée de travail normalement ont fini par se rétracter avant 9 h du matin, craignant pour leurs biens tant le climat était manifestement pesant à travers un trafic fluide et inhabituel ainsi qu’une présence massive à tous les carrefours des forces de l’ordre. Une autre réaction pour le moins mystérieuse, celle des chefs d’établissements scolaires qui ont libéré les élèves dès 8 heures y compris ceux du cycle primaire, abandonnés pour certains après que leurs accompagnateurs furent partis. Et c’est vers 9h du matin que les premiers groupes de jeunes, des lycéens et collégiens particulièrement, ont commencé à affluer vers le centre-ville, précisément devant le Pôle judiciaire régional sis à l’avenue Belouizdad. Un sit-in de quelques minutes était tenu sur place avant que la procession ne s’ébranle en direction du cabinet du wali de Constantine. Les rangs des manifestants grossissaient au fur et à mesure de leur avancée avant que deux tentatives non musclées des services de l’ordre n’échouent à faire rebrousser les marcheurs qui tenaient au passage devant la résidence du wali scandant et improvisant divers slogans et chants. «Ya wazir koun ja waldek wach edir» («O ministre que ferais-tu si c’était ton fils») ou encore «goulouna wach darou» («qu’ont-ils fait pour mériter ce sort ?»). Mais le plus souvent, c’est «l’exécution des deux criminels», qu’ils ont tenté de porter haut dans leur excitation. La marche se poursuivra, plus imposante, sans incident jusqu’au siège de la cour de Constantine.
Sur place, les lycéens qui étaient aux premiers rangs n’avaient pratiquement plus de place et ont quitté pour la plupart la procession avec le sentiment du devoir accompli alors qu’entre-temps des «leaders» improvisés ont pris le relais. Ils y demeureront près de deux heures sans heurts avec les policiers qui ceinturaient les lieux et qui avaient agi avec beaucoup de sagesse avec les manifestants surexcités et qui exigeaient une entrevue avec le procureur général. Le président de la cour de Constantine a accédé à la demande et accepté de recevoir des représentants des manifestants qui ont désigné dans une confusion indescriptible, quatre délégués qui n’avaient, a priori, aucune disposition d’être de véritables porte-parole d’une revendication citoyenne. Le ton s’exacerba davantage à leur sortie, puisque les garanties données par le président de la cour, y compris l’assurance que la peine qui sera prononcée à l’encontre des deux criminels sera exécutée, n’ont pas convaincu les manifestants qui demandaient tantôt l’exécution immédiate des assassins de Brahim et Haroun, tantôt une exécution publique au stade Hamlaoui. Sereins, les agents du service de l’ordre ne brancheront pas face aux multiples provocations dont les insultes obscènes proférées sans retenue et les jets de projectiles qui les ciblaient.
Une retenue qui a encouragé les manifestants à forcer le cordon de sécurité avant de s’en prendre aux agents des brigades anti-émeutes avec des jets de pierres, blessant plus d’une dizaine d’entre eux en les obligeant à se réfugier à l’intérieur du siège de la cour qu’ils tenteront de saccager. Un fourgon de police stationné tout près de la bâtisse sera pris pour cible puis renversé par les émeutiers déchaînés. Une tournure qui suscitera la réaction des agents des services de l’ordre qui ont usé de gaz lacrymogènes en poursuivant les manifestants visiblement décidés à en découdre avec tout ce qui représente l’Etat, fonctionnaires et édifices. Les émeutiers arracheront tout sur leur passage et tenteront à chaque fois de revenir à la charge. Certains furent arrêtés et conduits au 10e arrondissement de la Sûreté urbaine, mitoyenne du siège de la cour de Constantine. La nouvelle de ces affrontements s’était propagée en fin d’après-midi dans tout Constantine où des échauffourées étaient signalées à la cité Daksi et à Oued El Had, notamment.
K. G.
EN SIGNE DE SOLIDARITÉ AVEC LES FAMILLES DE HAROUN ET BRAHIM
Jour de deuil à la Nouvelle Ville Ali-Mendjeli
A la Nouvelle Ville Ali-Mendjeli, si aucun incident majeur n’a été signalé, il régnait néanmoins un climat de grande tension. Les populations encore sous le choc se sont attroupées en petits groupes notamment le long du boulevard principal de la ville. Plongés dans des débats animés, les gens n’avaient pour discussions que l’affaire du meurtre des deux enfants et le châtiment devant être appliqué. Sur les lèvres des habitants, jeunes et moins jeunes, une seule réplique : «Pendre les assassins.» Ils voulaient marcher jusqu’au lieu de résidence des familles des deux enfants, à l’Unité de voisinage 18 pour leur exprimer leur solidarité. Finalement, la marche n’a pas eu lieu par respect aux familles, qui à travers des affiches placardées hier se sont démarquées «de tout acte de vandalisme ou de saccage». Elles y ont exhorté, également, les populations «de ne pas faire de marche pour barrer la route aux ‘’agitateurs‘’ qui veulent exploiter la mort de Brahim et Haroun. A Ali-Menjeli, on signale même que des personnes malintentionnées ont tenté de soudoyer les gens en les poussant à marcher. Leur objectif, connu par tous : s’attaquer aux biens publics et privés. A l’Unité de voisinage 18, une foule nombreuse était toujours présente sur les lieux. Des anonymes, venus des quatre coins du pays, continuent d’affluer à la maison des parents endeuillés. Tous sont venus exprimer leur sympathie aux familles et leur soutien dans cette épouvantable épreuve.
Des signes de solidarité et de mobilisation que les Constantinois n’ont pas vus depuis longtemps. Par ailleurs, des jeunes rassemblés devant le domicile mortuaire qui voulaient marcher ont été priés par des proches des deux familles de ne pas le faire. Ils finiront par observer sur place un sit-in en brandissant des pancartes et des banderoles appelant à la pendaison des assassins.
Notons que toute la ville nouvelle était hier paralysée. Commerçants et administrations publiques ont cessé toutes activités commerciales et professionnelles durant toute la journée en réponse à l’appel des familles des victimes d’observer une journée de deuil.
Farid Benzaïd
PHÉNOMÈNE DES ENLÈVEMENTS D’ENFANTS
Ce que fera le gouvernement
Le gouvernement Sellal est décidé à frapper d’une main lourde pour mettre fin au phénomène des enlèvements d’enfants. «L’Etat est déterminé à agir avec fermeté et rapidement», nous confie une source gouvernementale.
Hier dimanche, les premières mesures d’urgence ont été arrêtées au cours d’un conseil interministériel consacré à cette question. Y ont pris part, outre le Premier ministre, les ministres de l’Intérieur, de la Justice, de l’Education nationale, de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, de la Solidarité nationale ainsi que des représentants de tous les services de sécurité. «Un groupe de travail spécial a été mis en place. Présidé par le ministre de l’Intérieur, ce groupe est chargé de préparer, dans les plus brefs délais, un plan exhaustif de lutte contre ce phénomène.
Mais d’ores et déjà, un dispositif spécial et une série de mesures ont été pris.» Lors de ce conseil spécial, il a été fait un constat effarant s’agissant d’un phénomène qui a pris des proportions alarmantes ces quatre dernière années. Ainsi, si en 2008, l’on avait enregistré quatre cas d’enlèvement d’enfants à travers le pays, l’on en est au 31e cas depuis janvier 2012 ! Selon notre source, il a été décidé de durcir les peines judiciaires sanctionnant les cas d’enlèvement d’enfants. «Désormais, il s’agira des peines les plus extrêmes et le ministre de la Justice est chargé de se pencher sur la question. »
Aussi est-il décidé de mettre en place un dispositif dissuasif consistant «en la multiplication des patrouilles des services de sécurité devant les écoles ainsi qu’en tout lieu où l’on a habituellement une concentration d’enfants». Autre problème soulevé par la réunion d’hier, celui de la multitude des numéros verts (les numéros d’alerte), qui sont généralement inutiles et même déroutants. «La décision est prise lors de la réunion du conseil interministériel d’unifier ces numéros d’alerte et de veiller à son fonctionnement en tout moment.» Le dispositif gouvernemental mis en place pour endiguer ce nouveau fléau prévoit également un volet sensibilisation qui se déclinera sous la forme d’une vaste campagne dans les médias publics ainsi qu’un large travail de proximité qui sera confié tout aussi bien au ministère de la Jeunesse et des Sports qu’au mouvement associatif. De même que les établissements relevant du secteur de l’éducation nationale. «Il s’agit en fait de mettre en place un dispositif global qui permette une alerte précoce, une intervention rapide et un suivi permanent de l’opération.»
Il y a lieu de relever, par ailleurs, que l’analyse faite par le conseil interministériel d’hier sur les précédents cas d’enlèvement fait ressortir que le motif sexuel est le plus dominant. Il arrive majoritairement en tête, très loin du motif «pécuniaire », les demandes de rançons n’ont été formulées qu’en quelques rares occasions. Tout autant rares sont les cas relevant de règlement de compte entre familles. De même qu’il a été constaté le nombre élevé de consommateurs de drogue parmi les ravisseurs d’enfants.
K. A.