Rançon ou pas rançon? Le ministère algérien des Affaires étrangères le martèle : Alger n’a pas versé le moindre centime pour la libération des 17 marins algériens otages de pirates somaliens.
Des informations révélées par des médias internationaux, notamment le site Somalia Report, indiquent le contraire : les pirates ont empoché la somme de 2 millions de dollars contre la remise en liberté des 25 otages dont 17 Algériens. Qui dit vrai dans ce dossier ? Décryptage.
La remise en liberté
Jeudi 3 novembre. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Amar Belani, annonce que les 25 marins dont 17 Algériens du navire M/V Blida ont été libérés après 10 mois de détention.
Sains et saufs, les marins algériens devront être rapatriés en Algérie dans le courant de la semaine prochaine, précise de son côté Nacereddine Mansouri, directeur général d’International Bulk Carriers (IBC), armateur du navire MV Blida.
Le vraquier qui transportait 27 membres d’équipage se trouvait à 150 miles au sud-est du port de Salalah (Oman) et se dirigeait vers Dar es Salaam en Tanzanie quand il a été attaqué le 1er janvier 2011 par des pirates somaliens.
Après 9 mois de captivité, les pirates acceptent de libérer mardi 11 octobre deux otages, un Ukrainien ainsi que l’Algérien Azzedine Toudji.
Ce jour là, le même porte-parole des AE affirmait que la libération des marins s’est faite pour des « raisons humanitaires ».
24 jours après cette première libération, les ravisseurs acceptent de relâcher le reste de l’équipage.
Une rançon de plus de 2 millions de dollars
Pourquoi les pirates ont-ils décidé de libérer leurs otages après 10 mois de détention ? Pour des raisons humanitaires ou parce qu’ils ont enfin obtenu gain de cause ?
Les explications nous sont fournies par SomaliaReport, un site d’information qui tient notamment une chronique quasi au jour le jour des actes de piraterie commis par les pirates somaliens.
Dans un article daté (actualisé) de jeudi 3 novembre, le jour même de la libération des 25 otages, Somalia Report révèle, avec force détails, que les pirates ont obtenu le paiement de 2 millions de dollars contre 7 millions exigés dans le courant du mois d’août dernier.
Selon Somalia Report qui cite Mohamed Ahmed, présenté comme « une source sûre », l’armateur a acheminé la somme indiquée en cash mercredi 2 novembre à bord d’un avion.
L’argent compté et redistribué entre eux, les pirates daignent donc libérer leurs otages dans la matinée du jeudi 3 novembre. Les informations du site ont été confirmées par deux pirates ainsi que par un officier somalien dont les identités n’ont pas été révélées.
Août 2011, début des négociations
Les négociations entre les pirates et les propriétaires du navire débutent dans le courant du mois d’août 2011, peu de temps après que les ravisseurs ont exigé la somme de 7 millions de dollars.
Cette demande était accompagnée d’une menace réelle ou supposée : la vie des otages contre une rançon.
« Si le propriétaire du navire ne veut pas payer de rançon, on s’en fiche. On reste sur notre position. Nous avons une négociation avec les affréteurs mais on n’est pas satisfait de rythme de cette négociation. Notre dernier message est que nous passeront les otages au couteau s’ils n’acceptent pas de payer la rançon exigée », menaçait à l’époque Mohamoud Haji Ismail, porte-parole des ravisseurs.
Au fil des mois, les pourparlers butent sur l’intransigeance des pirates à céder leurs otages à bas prix et sur le refus de l’armateur à allonger une telle somme.
C’était d’autant plus vrai que les autorités algériennes ont expliqué à maintes reprises que l’Algérie s’oppose fermement au paiement des rançons pour les otages, qu’ils soient algériens ou étrangers.
Pendant ce temps-là, la santé des marins du M/V Blida se dépérit de jour en jour.
Des marins en détresse
C’est peu dire que les familles qui ont gardé le contact avec les détenus ont alerté l’opinion publique sur les conditions de leur détention.
Des appels de détresse sont lancés à maintes reprises par les otages via leurs proches en Algérie alors que plusieurs sit-in sont organisés à Alger pour sensibiliser l’opinion sur le cas des marins. Les familles avaient même reproché à l’armateur de tergiverser sur le sort des otages et se demandaient si le gouvernement algérien était disposé à les sortir de cet enfer.
Après plusieurs mois de pourparlers, les pirates acceptent de libérer deux otages. C’est ainsi que mardi 11 octobre dernier, Azzedine Toudji ainsi qu’un autre marin de nationalité ukrainienne sont relâchés et remis à un navire de la US Navy.
Arrivé en Algérie, M Toudji est pris en charge par les services de sécurité pour un débriefing.
Depuis, il n’a accordé qu’un seul entretien à la presse algérienne, en l’occurrence au quotidien arabophone Ennahar.
Nous avons tenté à maintes reprises d’entrer en contact avec M. Toudji, mais ces proches nous ont expliqué que les autorités lui auraient intimé l’ordre de ne pas s’exprimer dans les médias.
Une rançon ? Quelle rançon ?
Pour les autorités algériennes, la chose est entendue. La libération des marins a été obtenue sans le moindre paiement d’une rançon.
« L’Algérie ne verse pas de rançons et elle condamne fermement cette pratique qu’elle soit le fait des Etats ou d’organismes publics ou privés », explique vendredi 04 novembre le porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
« L’Algérie a une position doctrinale qui a été réaffirmée à de nombreuses reprises et de la manière la plus solennelle : l’Algérie ne verse pas de rançons et elle condamne fermement cette pratique qu’elle soit le fait des Etats ou d’organismes publics ou privés », précise encore M Belani.
Au passage, le porte-parole fait référence, dans sa déclaration, à « certains magazines en ligne » qui ont fait état de « paiement d’une rançon en relation avec la libération des marins du navire MV Blida ».
On l’entend bien. Ses propos sonnent comme une mise au point aux journaux, notamment à DNA, qui ont évoqué l’existence d’une demande d’une rançon de 7 millions de dollars exigée par les pirates dès le mois d’août 2011. Passons…
Le DG de l’armateur du MB Blida ne dit pas moins que le porte-parole des AE. « Aucune rançon n’a été payée aux pirates pour la libération des marins algériens, la position de l’Algérie à ce propos est ferme et sans équivoque et nous l’appliquons », tranche-t-il. Donc pas rançon !
Aucune rançon versée? Pourquoi ont-ils été libérés alors?
Si aucune rançon n’a été payée, ni du côté des autorités algériennes ni de la part de l’armateur, pourquoi alors les ravisseurs ont-ils accepté de libérer leurs otages après 10 mois de captivité ? Pour des raisons humanitaires? Par charité? Ou pour d’autres raisons inavouables?
Les pirates somaliens réputés pour être des brigands sans foi ni loi, connus comme d’habiles négociateurs qui ne lâchent rien, on imagine mal pourquoi accepteraient-ils de livrer leur 25 otages sans la moindre contrepartie financière.
C’est encore plus vrai qu’ils font de l’arraisonnement des navires qui croisent au large des côtes de la Somalie un lucratif business qui leur a apporté des dizaines de millions de dollars.
Pour ces flibustiers du XXIe siècle qui braconnent au large de la Somalie, la peau d’un marin algérien ne vaut pas plus que celle d’un Danois, d’un Phillipin ou d’un Togolais.
A titre d’exemple, ces groupes de pirates ont libéré en mars 2011 un cargo battant pavillon togolais capturé en janvier de la même année, en échange d’une rançon de 2,1 millions de dollars.
On peut encore multiplier par dix le nombre de cas de piraterie survenus entre 2010 et 2011 et à l’issue desquels les otages n’ont été libérés qu’au prix de très fortes rançons.
Les marins algériens font-ils exception dans ce cas-là ?
Certes le porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères précise que le gouvernement n’a pas payé de rançon et qu’il s’oppose et condamne le principe même de son paiement. C’est sans doute vrai.
C’est encore plus vrai que Somalia Report n’a jamais fait cas de négociation entre les autorités officielles algériennes et les pirates somaliens et n’indique à aucun moment que la rançon de 2 millions de dollars- ou peut-être plus-, a été réglée par le gouvernement mais plutôt par l’armateur.
Dans ce dossier, toutes les vérités n’ont pas été dites. Sans doute qu’elles ne sont pas bonnes à dire.