De la fraîcheur dans le Sahara en plein été, ce n’est pas impossible. Elle se cache au fond de grottes mystérieuses qui abritent des habitants un peu spéciaux, les jeûneurs de Timimoun terrassés par la chaleur …
A Feraoun, perdu entre les dunes de sable et une montagne rocheuse, se cache un ksar fantôme. Il est 10h et le thermomètre affiche déjà 53°C, deux chiffres qui se transforment en un cauchemar lorsque l’on observe le jeûne pour le Ramadhan. Dans ce village presque enseveli sous le sable du Sahara, on ne soupçonnerait pas que des centaines de personnes vivent dans des maisons où le silence règne. On entend seulement le bruit de l’eau des foggaras dans la palmeraie d’en bas, qui laisse croire qu’une présence humaine est forcément passée par-là pour les construire. Et encore nous doutons. Quelques tours dans le ksar, vous convainquent que c’est un ancien village vidé de ses habitants, et que ce ne sont des vestiges d’un autre temps… jusqu’à ce que l’on aperçoive un vieil homme.
« J’habite ici depuis 1927, l’année où je suis né. » Au beau milieu de ce désert, Hadj Mohamed vit bel et bien dans ce ksar que l’on jurerait abandonné. Le vieil homme a même passé toute sa vie entre ces murs de pierre, et il tire ses ressources de sa culture de dattes dans la palmeraie située seulement à quelques mètres de son lieu de vie. Comment peut-on vivre avec des températures si chaudes l’été et si froides l’hiver ? Hadj Mohamed s’y est habitué, et malgré ses 86 ans, il tient toujours droit sur ses jambes et n’a pas peur d’affronter le soleil de plomb. Dans ce ksar pentu, il grimpe les ruelles ensablées pour une destination inconnue. Nous le suivons, un peu à la traîne, alors que lui porte, certes difficilement, un lourd sac de dattes ramassées tôt ce matin pour les garder au frais. Où ? Chez lui ? Pas tout de suite, tout d’abord il les amène dans son endroit secret, les grottes du ksar.
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Climatiseur naturel
Nichées dans la roche, les grottes sont parfaitement sculptées par la main divine. Elles ne sont pas profondes mais assez larges, et elles recèlent une fraîcheur inouïe. S’il fait 50°C dehors, à l’intérieur il en fait 20 de moins, un véritable climatiseur naturel. C’est dans ces espaces sombres que se réfugient les habitants de Feraoun durant le ramadhan pour supporter le jeûne. 8h, 10h, 13h ils viennent à n’importe quelle heure pour dormir et oublier le temps d’une sieste que dehors la fournaise les attend. On discerne seulement quelques corps et quelques têtes profondément endormies, malgré nos allers et venues. Ce sont surtout les hommes du ksar qui après leur travail matinal, partent à la quête d’un repos dans ces grottes cachées, alors que les femmes restent à la maison avec leurs jeunes enfants. Ils ont semé leurs chaussures à l’entrée de ces temples de fraîcheur pour se laisser bercer par un sommeil qui ne sera interrompu que par l’adhan chanté par la mosquée du ksar. Pendant le Ramadhan, les habitants de Feraoun rythment leur vie par rapport à l’Islam et la température.
Drôle de vie souterraine. Mais c’est sans doute le seul moyen pour tenir, pas question de se laisser tenter pendant le Ramadhan, un mois sacré, alors tout simplement on se ménage à Feraoun. Ntawi, âgé de 26 ans, peut compter sur les doigts de la main, le nombre de fois où il est sorti de Feraoun. Ce ksar c’est lui, lui c’est le ksar. Le ramadhan par 50°C ça ne l’effraie pas, « le matin, je fais quelques travaux le matin très tôt, ou bien je me rends au souk pour vendre les quelques dattes, et à partir de 10 h du matin je viens dormir ici pour se reposer », explique le jeune homme. Seul le Dohr, l’Asr et enfin le Maghreb peuvent alors l’extirper de ce moment de quiétude.
« J’ai a arrêté les études en 7e, je me suis fait renvoyé de l’école. Maintenant je travaille par-ci par-là et parfois dans les palmeraies aux alentours de Feraoun », raconte Ntawi, qui n’a jamais envisagé de quitter la région malgré les conditions de vie difficiles. « Partir ailleurs ? Pourquoi, je suis chez moi », s’interroge le jeune Algérien, le climat extrême et le manque de travail ne sont pas des arguments pour quitter la terre qui l’a fait naître. De même pour Mohamed, qui malgré son grand âge, s’adapte aux chaleurs insoutenables, lorsque d’autres prennent leur retraite, le vieil homme continue à s’occuper de ses dattiers et des foggaras. Aidé par ses enfants dans ce travail harassant, il parvient à trouver sa part de bonheur dans ce ksar des sables. Il ne se pose même pas de question et évite de trop sortir de son chez-soi, de telle sorte qu’il ne se souvient même plus de la dernière fois où il a mis les pieds à Timimoun. Des mois, des années ? Impossible de savoir. Ntawi ou Mohamed comme tous les habitants du ksar de Feraoun préfèrent s’adapter que fuir.
Igzher, et sa grotte millénaire
A quelques kilomètres de Feraoun, les habitants de la commune d’Ighzer jouent la même scène. Il est presque 12h et la température monte encore d’un cran : 58 °C. A cette heure-ci Ighzer est aussi éteinte que sa voisine. Un enfant passe furtivement mais on se demande presque s’il ne s’agit pas d’un mirage tant le village est vide et l’atmosphère irrespirable. Si l’on veut croiser du monde il faut se donner rendez-vous à la mystérieuse caverne d’Ighzer. Elle est située en haut d’une petite colline devant l’entrée du ksar, cette grotte de près de 80 m de profondeur, est très large, mais plus on s’enfonce et plus elle devient étroite. Un plaisir car dans ses entrailles se cache une fraîcheur intense. C’est au fond de cette cavité naturelle, dans la pénombre totale que l’on découvre une vingtaine de corps allongés. Qui sont-ils ? Des habitants du ksar d’en face, qui ont trouvé refuge dans cette grotte millénaire.
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« La température est déjà montée jusqu’à 58°C ici pendant le Ramadhan ». Cette phrase de Mohamed Miloudi, un habitant d’Ighzer, située à une 22 km de Timimoun nous impressionne. Mohamed sort tout juste de sa première sieste qu’il fait quotidiennement au cœur de cette caverne du sommeil. « Nous sommes obligés de revenir plusieurs fois dans la grotte, sinon ce n’est pas supportable. Il fait très chaud dans nos maisons, et bien meilleur ici, alors pourquoi s’en priver ? », explique Mohamed. Alors chaque jour du Ramadhan, les gens d’Ighzen viennent creuser un lit dans le sable frais de la caverne pour passer le temps jusqu’au coucher du soleil. Comme dans les grottes voisines, ce ne sont que des hommes qui s’y rendent, de jour et parfois de nuit pour veiller.
La fameuse grotte d’Ighzen est très visitée par les touristes qui viennent découvrir la région l’hiver, mais ils ne se doutent qu’il s’agit du refuge le plus ancien d’Ighzer. Cet immense habitat naturel est sans doute le premier qu’ait connu Timimoun et sa région. Fraiche l’été et tiède l’hiver, la grotte s’adapte naturellement aux températures externes, comme si tout avait été prévu pour que les habitants vivent en paix au pays des sables.
« On ne s’habitue jamais à ce type de chaleur, mais on trouve des adaptations, pendant le Ramadhan, on sort le soir après le ftour, on dort peu la nuit et le matin on se lève tôt, vers 7h du matin. On se réveille pour les prières et après on retourne se cacher dans la grotte », plaisante-t-il. « Si on ne faisait pas ainsi on ne survivrait pas en jeûnant », affirme Mohamed. Les chaleurs extrêmes sont devenues un défi pour les habitants d’Ighzer, même si Mohamed nous assure que c’est difficile chaque été, sa résistance à ce contexte climatique force le respect. Presque pieds nus, Mohamed frôle le sable brûlant sans sourciller, et peut rester plusieurs minutes sous quasi 58°C sans se plaindre de la chaleur étouffante. « Que voulez-vous qu’on fasse ? C’est ainsi, on tient. Il nous suffit de croire en Dieu, ça nous donne de la force », confie Mohamed, qui a gravé des sourates du Coran, sur les murs de sa maison, une façon de se protéger et surtout de se donner du courage.
Les siècles sont passés et les habitants d’Ighzer n’ont jamais abandonné leurs traditions, laissant la modernité à d’autres, pas question de se laisser séduire par les villes de béton, quand on a un royaume de sable. Leur bonheur est là où le mektoub les a fait naître et grandir, que ce soit dans le ksar ou au fond de cette grotte empreinte des traces des générations passées.
Amina Boumazza – Collectif Makkouk (photos)