Depuis le premier jour du Ramadhan, la frénésie pour faire des provisions a pris des proportions telles que les magasins d’alimentation générale, les boucheries et les marchés populaires, n’arrivent plus à contenir les flux de clients qui arrivent de tous les villages.
En effet, les gens de tous âges viennent acheter de la viande et des légumes de première fraîcheur. “Nous sommes chaque jour saignés à blanc !”, affirme un père de famille. “Les prix ont presque doublé mais malgré cela, tu ne trouveras rien à partir de dix heures !”, s’indigne-t-il. “Je me rappelle, poursuit-t-il, du temps où ma vieille mère conservait tout : de l’ail, des oignons, des tomates séchées, de la viande. À l’époque, les commerçants ne profitaient pas du Ramadhan pour augmenter les prix des produits. C’est là où se situe la différence avec la nouvelle génération”. Par ailleurs, les trottoirs ne connaissaient pas cette agitation provoquée par les vendeurs à la criée de pain, de galette, de kalbellouz…etc.
Ce sont des mendiantes avec leurs enfants, originaires du village agricole de Boubhir ou des taudis d’Oued Aïssi qui ont pris possession des lieux. Le commerce de la zlabia à Bouzeguène ne fait pas une révolution. Un tunisien installé, dans un même local, depuis 1965, et qui parle kabyle couramment autant que ses enfants, propose, à longueur d’année, de succulentes spirales imbibées de miel.
À l’exception d’un vieux vendeur de zlabia, originaire d’une wilaya de l’est du pays et qui a réussi à imposer son modèle de zlabia, tous ceux qui ont essayé de concurrencer le Tounsi ont vite plié bagage, si bien que ce dernier fait face quotidiennement à une chaîne interminable. Les cafés qui restent fermés toute la journée, rouvrent une heure avant la rupture du jeûne. Ils ne chôment pas car beaucoup entament le f’tour avec un café ou un crème-croissant.
Quelque 80 personnes, prennent régulièrement leurs repas au restaurant La Rahma, ouvert par le comité local du Croissant-Rouge algérien. Ce restaurant est ouvert grâce à la charité des donateurs ; aucun centime n’a été versé par le comité de wilaya, comme chaque année d’ailleurs. À une demi-heure de la rupture du jeûne, les mosquées, fraîchement décorées en prévision de ce mois de piété, diffusent le coran, à travers les haut-parleurs. Des enfants de chaque famille sortent dehors ou montent sur leurs terrasses pour guetter le premier appel de l’imam. L’imam le plus adulé est celui qui “grignote” quelques secondes par rapport à l’heure exacte de l’appel à la prière et puis c’est quatre minutes de moins que celui de la télé ou de la radio.
Aussitôt toutes les rues se vident à l’exception de quelques retardataires qui s’empressent de regagner leur domicile. Après le f’tour, la soirée est partagée entre les amoureux des jeux de cartes et de dominos dans les cafés, la rue et la mosquée. Le café qui garde vraiment son aspect d’autant est celui d’Elharouachi, surnom de da Slimane, l’un des plus anciens cafetiers de Bouzeguène.
C’est là que se retrouvent les vrais joueurs de cartes et de dominos. L’atmosphère y est bruyante mais conviviale et chaleureuse. Les nombreux fidèles, eux, emplissent les mosquées pour la prière de tarawih dans une atmosphère de profonde ferveur. Cette année toutes les mosquées sont bondées. Une partie de la mosquée est réservée aux femmes qui viennent, accompagnées de leurs enfants qui montent dans la salle pour hommes. Mais ces derniers dérangent beaucoup les fidèles qui n’arrivent pas à se concentrer sur leurs prières. Ils jouent, ils rient, ils crient parfois comme s’ils étaient dans une salle de classe.
Certains pensent qu’il ne faut pas les laisser entrer dans la mosquée. Fait nouveau, cette année, suite à une instruction du ministre des Affaires religieuses sur l’organisation des mosquées, adressée aux directeurs de wilaya, les tarawih sont écourtées et les imams ne récitent pas tout le coran (les 60 versets), comme cela se faisait habituellement. Pendant ce temps, les ruelles du chef-lieu se remplissent de monde. Pas une place libre sur les trottoirs.
Des gamins débrouillards installent leurs barbecues et d’épais nuages de fumée mélangés à une appétissante odeur de brochettes de viande se dégagent des box à cuisson. Une véritable boulimie s’empare des randonneurs insomniaques qui affectionnent ce genre de victuailles.