Rahem : «J’ai convaincu Barcelone de me faire signer au bout de 21 jours de tests»

Rahem : «J’ai convaincu Barcelone de me faire signer au bout de 21 jours de tests»
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On vous a avertis ! Rahem était bien parti pour s’éterniser dans le récit de sa carrière. Plus de deux heures d’entretien, passionnantes, cela s’entend, qui nous ramènent à ses débuts en sélection lors de la CAN 90, puis au fiasco de Ziguinchor, non sans rouvrir la parenthèse du FC Barcelone et les dessous de l’échec de son transfert au sein d’un des géants du football mondial. Le plus beau, c’est que Boboy nous le raconte d’un ton désopilant qui a fait, le contexte aidant, asseoir une ambiance bon enfant tout au long de cette discussion.

L’Algérie organisait alors l’événement footballistique du continent, ce qui faisait d’elle un sérieux prétendant au sacre, comment gériez-vous, à 20 ans à peine, toute la pression qu’il y avait autour du groupe ?

Avec un certain recul. A vingt ans, la pression que l’on ressent n’était pas la même. Il y avait une certaine insouciance qui prédominait. Cela me permettait à Saïb, Tchico (Meftah, ndlr) Lazizi et moi de dominer la pression qui existait. Je pense qu’elle était plus forte chez les cadres. Que du bonheur. Quand j’y pense… On était presque en quarantaine à l’hôtel du 5-Juillet. Je me caltais chaque soir pour aller chez moi. Madjer ne l’a pas fait !

Qui vous aidait à vous enfuir ?

LG Algérie

Amani ! Il garait sa BMW dans le parking de l’hôtel et chaque soir, à l’heure du «couvre-feu», je l’allume ! Parfois, il résistait, car en tant que cadre, il ne voulait pas s’attirer les foudres du coach, mais il cédait à chaque fois. (Rires). Il me dépose chez moi. Je reste un peu avec mes parents et on rentre par la suite. Ces expériences me servent au quotidien dans mon métier d’entraîneur. Je me montre, ou du moins j’essaye, plus souple, plus compréhensif à l’égard des joueurs, sans pour autant badiner sur les règles élémentaires de la discipline.

Avec qui vous sentiez-vous le plus proche ?

Lazizi. On avait grandi ensemble. Beaucoup disaient de nous qu’on était incompatibles. Et c’est vrai. On formait un «iL» ! Lui était immense et moi pas plus haut qu’une pomme, mais on était d’une grande complicité… Que des fous rires. Toutes les fois où Kermali nous grondait, c’était pour ça.

Comment étaient les duels entre vous deux en championnat ?

J’adorais jouer contre lui. (Rires).

Pourquoi ?

Il était d’un tel laxisme avec moi que je faisais ce que je voulais de leur défense. Il m’épargnait toujours les grands coups. Avec du recul, je me dis qu’il n’avait jamais été à fond lorsqu’il était à mon marquage. En plus, je faisais dans la ruse. Je l’endormais avec mes histoires et dès que le ballon arrive, je le plante !

Comment réagissait-il ?

Il s’énervait sur le coup, mais il se fait avoir sur l’action d’après. (Rires). Un jour, Maïche et Youcef Meziane l’ont grondé, estimant qu’il n’allait pas à fond avec moi. Je lui ai lancé : «Qu’est-ce qu’ils ont à te parler comme ça ? Et tu te laisses faire en plus ? Je te connaissais rajel !» Il m’a rétorqué : «Ils ont raison ! Tu sais quoi, je vais te massacrer», (rires).

Et il l’a fait ?

Walah walou. Il était à chaque fois, comment dire… latitudinaire. Pourtant, il pouvait m’expédier d’un simple coup de pied sur la touche, mais il était fraternel sur le terrain. Un chic type, walah.

Revenons à la sélection, vous avez débuté la CAN par une apparition dans les 17 dernières minutes d’un certain Algérie – Nigeria (5-1, ndlr) que vous aviez marqué par ce retourné acrobatique qui s’est écrasé sur la barre transversale, vous vous en souvenez ?

Naturellement !  Kermali m’avait lancé dans le bain dans un moment opportun. On menait par cinq à zéro. Ceci a fait que je suis rentré sans aucune pression. Quoique j’ai été un peu contrarié, une fois dedans.

Par quoi ou par qui ?

Par l’équipe. A cinq à zéro, les joueurs ne se projetaient plus vers l’avant. Ils se contentaient de gérer, alors que moi, je voulais à tout prix fêter mon entrée par un but. A chaque fois qu’on me passait le ballon, je filais vers le but. Il y avait des moments où j’avais supplié Amani de me servir en profondeur. Sur l’un de ses centres, j’avais touché la barre transversale d’un retourné. C’était moins une !

Vous n’avez pas marqué ce jour-là, mais vous avez réussi à convaincre Kermali et conquis le public algérien …

En effet, même s’il fallait encore recommencer afin de faire mon trou devant des monstres comme Madjer, Amani et Menad.

Vous avez gagné les faveurs du sélectionneur qui vous avait titularisé le match suivant face à l’Egypte, un match presque sans enjeu…

C’est ce qu’on avait dit à l’époque. Mais sur le terrain, la pression était palpable. Je me souviens qu’on jouait dans un climat électrique. Les incidents du match du Caire de l’année d’avant pour la qualification au Mondial 90 étaient encore dans les mémoires. On avait l’impression de jouer sur une poudrière. A l’échauffement déjà, j’ai été atteint par un projectile qui m’avait causé un gros hématome à la cuisse. C’était un avertissement qu’il fallait gagner ce match, faute de quoi, il était certain que les choses allaient dégénérer. Je n’avais pas marqué ce jour-là, mais je pense avoir sorti une belle prestation.

L’Egypte avait aligné sa deuxième équipe, vous souvenez-vous des joueurs qu’il y avait en face ?

Pas spécialement. Un ou deux, tout au plus.

Par exemple ?

Al Batal et Chawki Gherib. Ce dernier est d’ailleurs devenu entraîneur d’Al Ahly.

Vous avez fait partie de la génération qui avait offert à l’Algérie son premier et seul trophée continental, qu’avez-vous ressenti alors ?

Que du bonheur ! Il y avait une telle ambiance que des jours durant, j’étais sur un petit nuage. Ce n’est que plusieurs mois plus tard que l’euphorie descendait d’un cran. Une immense fierté quand même.

Vous avez été reçu avec vos coéquipiers dans la foulée de la consécration par le président Chadli pour une collation, vous souvenez-vous de ses paroles ?

Très bien même. Il avait demandé après moi. Il leur a dit : «Ramenez-moi le p’tit Rahem !» Moi, j’étais au fond de la salle en train de me gaver de petits fours et de limonade. J’avais la bouche pleine, (rires), lorsqu’on était venu me chercher. J’étais pris d’un fou rire que j’ai mis près d’un quart d’heure pour aller à sa rencontre.

Que vous a-t-il dit ?

Des choses simples. Du genre, qu’il avait beaucoup aimé mon enthousiasme et ma fougue. Il m’avait souhaité aussi bonne continuation.

Deux ans après, vous cédez le titre à Ziguinchor au sortir d’un parcours piteux, que s’est-il passé là-bas ? Comment expliquez-vous cette faillite ?

C’était un tout. Je pense, avec du recul, que le groupe a été très sensible à la situation politique du pays. Il y avait des sensibilités au sein même de l’équipe. Des penchants politiques aussi. Ceci a créé une certaine tension qui a fini par se déteindre sur l’ambiance générale.

Vous parlez de penchants politiques, à quoi faites-vous allusion ?

Bah, c’est simple. Il y avait ceux qui étaient pour le courant islamique et ceux qui ne l’étaient pas. A force de débattre du sujet, des tensions sont nées.

On a dit aussi qu’il y avait l’éternelle guéguerre entre pros et locaux qui a ressurgi ?

Il y avait une certaine tension, c’est vrai. Ce n’était pas l’union parfaite. Il faut le dire tout net. A l’époque, il y avait des pros qui n’auraient jamais dû être sélectionnés.

Comme qui par exemple ?

Mustapha ! (Madjer, ndlr). Lui-même l’avait reconnu en pleine compétition. Il nous avait dit au départ d’Alger qu’il n’était pas venu jouer, mais juste pour donner un coup de main. Une sorte de soutien moral, c’est tout. C’est, en fait, Kermali qui avait insisté pour qu’il joue. On aurait dû faire confiance aux jeunes. On était mieux préparés.

Pourtant, en 90 il s’était passé sans état d’âme des services de Belloumi ?

A l’époque, c’était compréhensible. Belloumi avait dit qu’il arrêtait la sélection. A quelques mois de la CAN, il annonce son retour. N’importe quel entraîneur ne l’aurait pas pris, même si on aurait pu lui trouver une petite place au sein du groupe. Pas forcément en tant que joueur, car cela sous-entend qu’un jeune qui s’était battu pendant les qualifications pour avoir sa place allait sauter. Tu comprends…

Vous les jeunes, qui incarniez l’avenir de cette sélection en 90, n’aviez pas bénéficié de plus de responsabilité deux ans plus tard, pourquoi ?

Allez savoir ! C’était un choix de Kermali. On avait été titularisés lors du deuxième match face à l’Angola et on avait quand même montré un bien meilleur visage, quoique l’état d’esprit ne fut pas des plus reluisants. Kermali s’était emmêlé les pinceaux, il faut le dire.

Peut-être qu’il avait voulu faire dans la politique qui veut qu’on ne change pas une équipe qui gagne, non ?

Même pas ! Il n’avait pas repris tout le monde. Il y avait beaucoup de départs. On avait lancé dans la foulée des jeunes, tels Tasfaout, Bettadj, Lounici, Dziri, mais seuls Cherif El Ouazzani et Saïb ont été titularisés.

Cette année-là, votre transfert au FC Barcelone avait fait l’actualité, y avait-il concrètement une envie du géant espagnol de vous recruter ? Qui était derrière les contacts ?

C’est Fernando Neves, un ancien joueur et agent de joueurs belge, aujourd’hui décédé, qui était derrière les contacts. Il m’a été présenté par Benzekri et Wahab Maïche. On avait signé un contrat de partenariat juste après la CAN. Il s’était engagé à me transférer dans un grand club en Europe. Mais de là à dire que j’avais rêvé de Barcelone, ce serait mentir. Pour moi, l’ambition était de signer pour un club en France. Le PSG ou l’OM pour mettre la barre haut.

Pourquoi pas Barcelone, vous vous disiez que c’était trop beau pour être vrai ?

J’étais mesuré, voilà tout. J’avais besoin d’y venir petitement. De connaître d’abord une expérience professionnelle dans un club moins huppé. Sinon, lorsque Barcelone m’avait invité pour des essais, j’ai foncé. Je me suis entraîné avec le groupe pro pendant 21 jours. Ça n’a pas gêné plus que ça. C’est juste que je ne voulais pas griller les étapes.

Le premier contact vous est venu de Barcelone ?

Non, c’était le Rapid de Vienne qui s’était manifesté en premier. Krankl voulait vraiment me faire signer. Je suis arrivé à Vienne, je me souviens, après un long périple. Krankl était venu à ma rencontre au bureau du président pour me demander si j’étais apte à prendre part à un match d’opposition le soir même. J’ai répondu OK. Je me souviens avoir fait une bonne première mi-temps. La pelouse était parfaite. Je m’étais régalé ! A la pause, Krankl m’avait sorti pour que je puisse récupérer. Il était très emballé. Je me souviens que le soir même, il était venu à ma table au cours d’un dîner et m’a lancé cette phrase : «Qu’est-ce que tu fous avec cet escroc ?» J’ai su après que Neves leur avait exigé la peau des fesses ! Guy Roux m’avait dit la même chose plus tard lors d’un match de préparation avec la sélection, à Troyes. «Ton  président, c’est un maboul !»

Il faisait allusion à qui ?

Manaâ !

Pourquoi ?

Il lui a exigé 300 millions ! Maradona n’a pas été transféré pour cette somme.

Vous n’aviez pas un droit de parole dans les négociations ?

C’est lui qui s’occupait de tout. J’étais jeune à l’époque. Je me contentais de faire ce qu’on me demandait, sans plus. Il me tenait par un contrat Fifa en béton. Il avait droit à 8% de chaque salaire que je toucherai et 20% de la prime de signature. Il avait quand même une certaine réputation dans le circuit. Ce qui fait que je n’ai jamais contesté ses décisions. Il avait transféré Papin, de Bruges à Marseille. Il était aussi le manager d’Amokachi qu’il avait ligoté par un contrat à vie !

Quand vous est parvenue la proposition du FC Barcelone ?

En 92. J’étais parti avec Neves pour des essais. Je suis resté trois semaines.

Vous vous souvenez des joueurs qui étaient dans le groupe ?

Guardiola. Il était jeune à l’époque. Koeman, Stoichcov, Jordi Cruijff, Michael Landrup…

Comment ces joueurs que vous venez de citer vous ont accueilli ?

Bien. La plupart étaient sympas. Surtout les étrangers. Koeman et Stoichcov étaient très gentils avec moi.

Les Catalans ne l’étaient pas ?

Pas vraiment. Ils avaient un tempérament à part. Ils n’étaient pas très sociables.

Avec qui vous étiez le plus proche ?

Jordi Cruijff, le fils du coach. Très gentil.

Vous êtes rentré au pays au bout des 21 jours de tests, cela veut-il dire que vous n’aviez pas réussi à convaincre ?

Loin de là. C’est vrai que je n’allais pas être pris dans l’équipe première, mais on m’avait quand même proposé un contrat. Il était question que je sois recruté, mais j’allais être reversé à la Masia. (l’école de foot du FC Barcelone). En contrepartie, on m’avait proposé un contrat de trois ans. Une prime d’environ 30 millions. Un salaire de six millions, un appartement de service et d’autres avantages.

Et vous avez dit non !

Comme si j’avais mon mot à dire. C’est ce fou de Nives qui avait refusé. Il avait demandé le double. Je l’avais supplié de me laisser signer. Je lui ai proposé de prendre les 30 millions de francs qu’on me proposait et me laisser juste le salaire. Il a refusé et m’a dit : «Viens, ils vont nous rappeler», histoire soi-disant de surenchérir. Ils n’ont jamais rappelé ! N’chalah irouh ljihanem ! (inch’Allah, il ira en enfer, ndlr).

Vous le regrettez ?

Beaucoup. J’aurais pu signer. J’avais besoin d’un temps d’adaptation et j’aurais fini par faire mon trou. Je me dis que dans le pire des cas, on m’aurait prêté à un club moins huppé de Liga.

Vous en vouliez au manager ?

Oui, beaucoup. Il avait fait passer ses intérêts avant les miens. Il ne visait que l’argent. J’espère qu’il ne l’emportera pas au paradis…

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Vous lirez dans la deuxième partie

Les raisons de son transfert au Maroc

Son évolution sous la coupe de Khalef, Fergani et Saâdane à Mohammadia

Sa convocation en sélection marocaine et bien d’autres faits non moins intéressants. A ne pas rater.