De l’interview de Jean-Pierre Raffarin hier matin sur RTL, au lendemain de son retour d’Alger (lundi à minuit, précise-t-il), consacrée quasi exclusivement à sa rencontre avec Bouteflika, l’on retiendra deux points : d’abord que le président algérien lui aurait dit «qu’il allait y avoir des mouvements importants dans les jours qui viennent» et en deuxième lieu «qu’il avait de profondes réserves sur la manière dont les dirigeants libyens gèrent la révolte de son peuple».
Il n’a, cela va de soi, pas tout dit à El Kabbach de l’entretien que lui a accordé le président algérien, mais ce qu’il en dit est déjà révélateur de plusieurs choses. Le président algérien serait à bout de force, c’est apparemment lui-même qui le dit au chargé de mission de Sarkozy. Au journaliste qui lui demandait comment il a trouvé Bouteflika «qui se montre peu et encore moins aujourd’hui», Raffarin a eu cette réponse, enrobée il est vrai, mais qui interroge sur l’état de santé du président : «Je l’ai trouvé en forme. Il m’a dit qu’il avait, aujourd’hui, plus de convictions que de force.»
Est-ce à dire qu’il compte jeter l’éponge ? Apparemment non, puisque Raffarin ajoute : «Je l’ai trouvé très informé et très mobilisé.» Et lorsque la question du journaliste est plus directe : «Est-ce qu’il vous a parlé comme un dirigeant qui veut rester ou qui va rester au pouvoir ?» le chargé de mission de Sarkozy, qui ne veut pas s’aventurer dans un pronostic, répond : «Il avait pris une certaine distance vis-à-vis de tout ça, mais il m’a annoncé qu’il faisait un Conseil des ministres aujourd’hui (mardi, ndlr) et qu’il annoncerait un certain nombre d’initiatives d’ampleur dont je ne connais pas le contenu.» Raffarin ne s’arrête, cependant, pas là, : «Je pense qu’il va y avoir des mouvements importants dans les jours qui viennent. »
Là est peut-être le non-dit. Sur la Libye et sa police sanguinaire, l’ancien Premier ministre français, même s’il rappelle que son entretien était à caractère économique, avoue cependant : «A cette occasion, le président m’a exprimé ses profondes réserves sur la manière dont la crise en Libye est gérée et sur cette violence inacceptable.» Proprement aberrante cette déclaration de Bouteflika, et ce, pour deux raisons : jusqu’à ces propos de Bouteflika, l’Algérie n’a encore eu aucune déclaration officielle sur ce qui se passe dans ce pays voisin et le président algérien choisit un émissaire français pour le faire, en catimini.
Ensuite, n’y a-t-il pas indécence à parler de «violence inacceptable» lorsque cette violence a été exercée, sans aller au bombardement mais violence tout de même, contre ses citoyens sortis manifester pacifiquement. Sur tout le reste, Raffarin s’est positionné et a positionné son pays comme le sauveur d’une Algérie butant aux problèmes sociaux, au chômage, au manque d’industrie pétrochimique et pharmaceutique qui seront réglés par les projets ambitieux que lui, Raffarin, est chargé de faire aboutir : Renault, Total, Lafarge, Sanofi… «On a du gaz et du pétrole en Algérie, mais on n’a pas d’industrie pétrochimique, on n’a pas cet encadrement pour faire du développement.»
Cette dernière remarque lui a été faite par le président Bouteflika lui-même. Pour Raffarin, comme pour Nicolas Sarkozy qui l’a missionné : «100 000 voitures à fabriquer sur place pour les Algériens, c’est la manière que nous avons de répondre à l’aspiration sociale de la population : «Lui donner l’aisance, des emplois et permettre à l’économie algérienne de garder sa population et de garder ses jeunes.» Car, pour lui comme pour le président Sarkozy, explique-t-il doctement, «derrière l’aspiration à la démocratie, il y a aussi l’aspiration au social. Ceux qui se sont révoltés ne se sont pas contentés du changement du régime politique.
Ils veulent des salaires, ils veulent des emplois». Le rôle de la France au sud de la Méditerranée pour Sarkozy, ditil encore, «c’est de créer des emplois, d’aider ces économies à avoir une politique sociale de manière à ce que, d’une part, la démocratie avance et, d’autre part, que les populations puissent trouver de l’emploi sur place». Clairement, on vient vous développer chez vous pour éviter l’invasion chez nous. C’est dit, mais ce que ne dit pas Raffarin, ce sont les raisons profondes de cette aide au développement social : le bénéfice que veut tirer la France de cette aide et les intérêts économiques colossaux de la France dans cette soi-disant «aide».
K. B.-A.