L’enseignant-chercheur en sciences politiques, Rachid Tlemçani, pense que les Algériens n’adhèrent pas à “l’immobilisme politique” ni à “la pratique de la politique de l’autruche.
Liberté : Quelle analyse faites-vous des résultats des élections législatives du 10 mai ?
Rachid Tlemçani : Pour ma part, il est prématuré de faire une analyse sur les résultats de ce scrutin. Il faut laisser passer la “poussée de fièvre” pour avoir une plus grande lisibilité du paysage politique. Toujours est-il qu’on peut relever certains faits. Le taux d’abstention en opposition au discours officiel reste élevé. Plus de 56% des électeurs n’ont pas jugé utile de se déplacer pour voter, et sur les 43,14% de votants, 18,24% d’entre eux ne se sont exprimés sur aucune liste. Plus des deux-tiers des Algériens ne se sont pas sentis concernés par ce scrutin, présenté comme étant plus important que le déclenchement de la Révolution algérienne. Les Algériens ont exprimé ainsi une nouvelle fois leur rejet du système politique et de l’impasse dans laquelle se trouve le pouvoir politique. Le véritable vainqueur est finalement le parti des abstentionnistes. Les Algériens préfèrent exprimer leur mécontentement dans les mouvements sociaux qui prennent chaque jour de l’ampleur à travers le territoire national. Ils n’adhèrent pas visiblement à l’immobilisme politique et à la pratique de la politique de l’autruche.
Et que pensez-vous des scores obtenus par les partis politiques ?
Il y a plusieurs lectures à faire concernant un scrutin régulier, banal, perçu comme “historique”. Je pense qu’il y a 3 points importants à souligner : la victoire éclatante du FLN, le faible score des islamistes, toutes tendances confondues, et le score “peu honorable” du plus vieux parti de l’opposition, le FFS. Tout d’abord, il y a la victoire surprise du FLN, qui a remporté 221 sièges sur 462 dont 68 reviennent aux femmes. À cela, doit s’ajouter une quinzaine d’indépendants. Le FLN, à lui seul, a obtenu la majorité absolue dans l’Assemblée. Il devient hégémonique, formellement au sein d’une Assemblée mosaïque.
Il n’a plus besoin du RND et du MSP, affaiblis, pour amplifier le discours officiel. Si on prend en considération ses clones dans le RND et le MSP, on peut en conclure que le parti unique n’a jamais vraiment quitter le pouvoir. Bien au contraire, un multipartisme dévoyé lui a permis de gagner la transition démocratique : il est passé de la légitimité historique à la légitimité électorale sans trop de dégâts collatéraux. L’esprit FLN a envahi toute la sphère politique.
À un autre niveau d’analyse, la victoire du FLN est interprétée comme la victoire personnelle de son secrétaire général au sein de la direction du parti. Il est sorti plus fort qu’avant que n’éclate la crise interne du parti, une crise qui a vu des militants se battre sur la voie publique, pour être sur la liste des candidatures. Il est hors de question que le pays soit représenté par un islamiste, à la veille du 50e anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie. Mais, on gratifie de toute une symbolique, le patrimoine mémoriel, un homme politique qui ne fut pas un artisan de la Révolution. Des historiques sont pourtant encore vivants. La guerre mémorielle ne risque-t-elle pas de s’exacerber en dépit du fait que le nouveau leadership en France a montré des signes pour rompre la glace ? Cette victoire permet à Abdelaziz Belkhadem de tenir le coup jusqu’aux élections présidentielles de 2014.
Finalement, ces résultats représentent beaucoup plus une victoire d’un clan contre un autre, une victoire à la Pyrrhus, plus qu’une victoire personnelle. Ces résultats tentent de dessiner les contours des prochaines élections présidentielles en fermant le jeu politicien. Deux ans avant la tenue des présidentielles, on tente de le fermer aux autres régions, villages, tribus et familles. L’après-Bouteflika sera-t-il Bouteflika ? Les luttes de sérail vont davantage s’exacerber d’ici la tenue de ces élections. La crise de légitimité risque cette fois-ci de déborder sur l’espace public, qui est déjà occupé par les indignés du système de la hogra.
Comment appréciez-vous les résultats des islamistes sous la direction de l’Alliance de l’Algérie verte ?
Cette Alliance a remporté seulement 47 sièges, ses dirigeants comptaient gagner 120. Au total, les islamistes, toutes tendances confondues, ont eu 59 sièges, soit près de 23%. Bon nombre d’observateurs s’attendaient à une victoire éclatante des islamistes. Cette analyse médiatique est beaucoup plus idéologique qu’analytique. Ces observateurs ont tendance à oublier que les islamistes participent à la gestion du pays depuis une vingtaine d’années. Ils ne se sont pas distingués outre mesure des non-islamistes par une gestion singulière. Ils portent aujourd’hui une lourde responsabilité sur la situation actuelle. De nombreux dirigeants islamistes sont impliqués dans des affaires de corruption. Leur crédibilité s’est dissipée au fil de la crise sécuritaire. L’islamisme institutionnalisé ne fait plus peur en Algérie. Le phénomène de l’islamisation au niveau social et culturel est déjà très avancé dans notre pays. Il est plus avancé qu’en Tunisie, Maroc ou en Égypte, pays dans lesquels les islamistes viennent de remporter les élections législatives. L’enjeu véritable que le printemps arabe a mis en exergue est la nature réelle du pouvoir politique dans nos sociétés. Quelle est la place de l’institution militaire dans la transition démocratique ? Mais il est très tôt de soulever des questions qui fâchent les adeptes du statu quo.
Qu’en est-il aussi des résultats du FFS ?
Le FFS, qui a boycotté les précédents scrutins, a décidé contre vents et marées de participer à cette consultation. Il n’a remporté que 21 sièges, ses militants avaient espéré une quarantaine. Le MSP, un nouveau parti, a remporté plus du double que le plus vieux parti d’opposition. Plus problématique, les sièges remportés sont circonscrits dans une région particulière, il s’est ghettoïsé. Le FFS avait une dimension nationale au plus fort moment de l’islamisme radical. Il a donné une certaine crédibilité à une consultation qui a renforcé le statu quo, une impasse décriée par les responsables du FFS.
H. A