Rachid Oulebsir, chercheur-universitaire, « La Kabylie est la dernière oasis de l’oléiculture »

Rachid Oulebsir, chercheur-universitaire, « La Kabylie est la dernière oasis de l’oléiculture »

A la veille de la 17e édition de la fête de l’olive qui se tient annuellement à Akbou, nous avons rencontré Rachid Oulebsir, écrivain, essayiste, chercheur universitaire en patrimoine culturel immatériel. Il a bien voulu éclairer nos lecteurs sur la situation du monde des olives et de l’huile d’olive.

L’Expression: Vous êtes parmi les rares chercheurs que nous rencontrons sur le terrain auprès des paysans, des derniers détenteurs des savoir-faire anciens! Quelle est votre appréciation sur la situation de l’oléiculture algérienne aujourd’hui?

Rachid Oulebsir: Je vous donnerai des indicateurs simples pour mettre vos lecteurs en situation. Après avoir été un acteur important sur le marché méditerranéen de l’huile d’olive durant la première moitié du XXe siècle (de 1910 à 1963), avec des professionnels maîtrisant des places commerciales sur les marchés français et italiens entre autres, l’Algérie est actuellement le dernier pays du monde en production oléicole! Très loin derrière nos voisins les Tunisiens et les Marocains où l’agriculture est une véritable préoccupation d’Etat! Avec près de 25 millions d’oliviers, dont la moitié est improductive, nous sommes loin des 50 millions d’arbres de la Tunisie, des 40 millions du Maroc, des 90 millions de la minuscule Grèce! Et sans aucune prétention de comparaison avec les 200 millions de l’Italie et les 300 millions de l’Espagne, les deux géants mondiaux de la production d’huile.

Vos lecteurs doivent savoir que le verger oléicole algérien est situé historiquement en Kabylie pour la production d’huile d’olive et dans l’Oranie pour l’olive de table. L’huile d’olive algérienne ne répond plus aux standards qualitatifs du marché international après avoir été l’une des meilleures au monde. La Kabylie est en somme la dernière oasis de l’oléiculture, d’où l’on pourrait imaginer une renaissance de l’activité, ailleurs, la perte du savoir-faire a atteint l’extinction de la branche oléicole.

Quelles raisons peuvent expliquer ce dramatique déclin?

Il y a les raisons politiques, les choix économiques et leurs conséquences sociales et culturelles. La nationalisation du transport et de l’exportation de l’huile d’olive en 1964, fut un véritable coup d’arrêt à l’activité oléicole en Kabylie. Cette mesure coupa définitivement l’oléiculture nationale du marché mondial. Les paysans perdirent leur principale source de revenus, le marché intérieur ne pouvant absorber toute la production de la région qui était de loin supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui!

Les choix économiques industrialistes de l’Etat jacobin dans les années 1970 ont stérilisé les énergies de l’agriculture en général et de l’oléiculture en particulier! L’exode rural qui s’en est suivi a emporté vers les villes tous les détenteurs de savoir-faire et de compétences manuelles et intellectuelles agricoles.

La chaîne de transmission du savoir a été interrompue durant près de 50 ans. Le résultat est dramatique, actuellement on ne trouve plus d’ouvriers dans l’oléiculture ni de tailleurs, ni de spécialistes de la greffe, de la plantation, ou de l’irrigation! Plus dramatique encore est cette exclusion du monde de l’olivier des cycles de formation des centres Cfpa et autres écoles d’agronomie de niveau universitaire. L’olivier est un simple arbre décoratif dans les programmes scolaires, nos écoliers citadins ne savent même pas d’où vient l’huile d’olive!

Pourquoi l’huile d’olive est-elle si chère?

Le prix est le premier indicateur que le citoyen évoque à propos de l’huile d’olive! Il oscille entre 600 et 700 DA le litre alors que la campagne 2012-2013 n’est pas finie. Il est très élevé comparativement aux prix des autres matières grasses importées et mises sur le marché national. C’est un paradoxe qui ne s’explique pas par la simple loi de l’offre et de la demande mais par de nombreux autres facteurs endogènes au monde de l’oléifaction (industrie de production d’huile) et ses rapports au monde de l’oléiculture (paysans producteurs de l’huile d’olive).

L’absence d’un marché de l’olive et d’un marché de l’huile d’olive visibles sur l’espace public régis par des rapports marchands ordinaires, offre et demande transparentes et exclusion de situation de monopole de branche, fait perdurer une opacité entretenue et une absence de lisibilité de la branche oléicole et de la circulation de ses principaux produits (olive et huile) et la perte regrettable de leurs dérivés (margines et grignons). On peut dire aujourd’hui que l’achat et la vente de l’olive et de l’huile d’olive obéissent à des lois informelles.

Pour cette année, la rareté de l’olive atteinte de graves maladies (mouche du Dacus et autres effets de la pollution atmosphérique) a provoqué une forte hausse du prix de l’huile déjà gonflé par les coûts de production (notamment le prix de l’électricité et de l’eau).

Quelle est la situation globale aujourd’hui? Peut-on encore organiser la relance de la branche oléicole et prétendre à l’exportation?

La situation est complexe mais pas désespérée. Tout est à refaire en somme: protéger le patrimoine immatériel oléicole (pressoirs anciens, savoir-faire, rituels, calendrier agraire…), créer un marché de l’olive, un marché de l’huile, programmer la formation en oléiculture dans les centres d’enseignement technique, relancer la recherche scientifique à l’université, relancer la récupération des dérivés de l’olive, étudier les possibilités d’agir en amont sur la structure du prix. La mesure qui pourrait entraîner la renaissance de toute la branche est la levée des entraves étatiques à l’exportation de l’huile d’olive! Le litre se négocie en Europe et aux USA à un prix équivalent de 1500 à 2000 DA alors que sur le marché intérieur il plafonne à 700 DA.

Ce qui équivaudrait pour le paysan algérien à un confortable surplus qui lui permettra d’investir dans la qualité et le renouveau du verger vers sa renaissance.

La clé est entre les mains des acteurs directs de cette branche et tant que l’Etat maintient les paysans hors du processus des décisions ou qu’il s’évertue à leur imposer des représentants fantoches, le blocage persistera.