Rabat: Grave dérapage de Mohammed VI

Rabat: Grave dérapage de Mohammed VI

Mohammed VI a fait preuve d’une violence verbale inouïe à l’encontre de l’Algérie dans une lettre officielle transmise mercredi au secrétaire général des Nations-Unies. Le roi fait porter aux Algériens l’entière responsabilité de l’enlisement dans le dossier du Sahara Occidental. Accusations auxquelles une réponse magistrale, d’un tout autre type, a été apportée jeudi en fin de journée.

Tout a été fait, il faut le dire pour que le message transmis à Antonio Guterres par Nacer Bourita parvienne très vite aux oreilles de l’Algérie.

Mercredi, alors qu’il se trouvait en tournée diplomatique «urgente» pour parer aux dégâts occasionnés par le dernier rapport du SG de l’ONU, le MAE marocain informe des cercles bien précis qu’une offensive sans pareille se prépare contre son voisin. Bourita a pour mission de se rendre à New York, mais, chemin faisant, il s’arrête à Paris où il s’entretient avec le chef de la diplomatie française.

L’appui de Paris aux thèses développées sur la marocanité du Sahara n’est un secret pour personne. Une fois arrivé aux Etats-Unis, et alors même que se déroule une rencontre avec le SG des Nations-Unies, la presse marocaine révèle le message dont il est porteur. «L’Algérie a une responsabilité flagrante (dans le conflit du Sahara Occidental). C’est l’Algérie qui finance, c’est l’Algérie qui abrite, c’est l’Algérie qui arme, c’est l’Algérie qui soutient et qui apporte son soutien diplomatique au Polisario «Le Maroc, poursuit la lettre, demande et a toujours demandé que l’Algérie puisse participer au processus politique, que l’Algérie puisse assumer une responsabilité pleine dans la recherche de la solution et que l’Algérie puisse jouer un rôle à la hauteur de sa responsabilité dans la genèse et l’évolution de ce différend régional.»

Le ton est égal à la panique qui s’est emparée du palais royal à la lecture du rapport d’Antonio Guterres. Le document impute aux Marocains l’entière responsabilité des blocages du processus de paix et dément les manœuvres et allégations marocaines visant à incriminer la partie sahraouie. Il appelle à des négociations directes entre les deux parties. Toute la stratégie marocaine s’écroule.

Les efforts de lobbying, l’argent versé ou proposé par le Makhzen aux plumes, artistes, sportifs pour porter la voix de rabat, les largesses accordées aux puissances qui le soutiennent n’ont pu fléchir la détermination et la sincérité du Portugais en poste à l’ONU.

La constance de l’œuvre de la diplomatie algérienne et le soutien apporté par le pays en vue d’une solution juste s’en voient aussi confortés.

Les raisons de l’attaque de Mohammed VI

Les raisons du déchaînement marocain deviennent dès lors une évidence. Trois points essentiels sont donc à retenir. Le premier est lié à l’échéance fixée par le SG de l’ONU pour la reprise des négociations directes avec le Front Polisario.

Le second, lié par bien des points au précédent, a trait à la contestation sociale violente qui secoue son pays à l’heure où le roi est accusé de régner «virtuellement» en raison de ses absences prolongées hors du Maroc. Le troisième, enfin, concerne naturellement la position algérienne qui s’est toujours refusée aux différents processus de dialogue entre les deux parties estimant qu’il revient aux Sahraouis de gérer leurs affaires.

Or, le Maroc a été appelé à se prononcer sur la reprise des discussions directes avec la RASD avant la fin du mois en cours. Pour éviter de répondre directement par la négative et endosser ensuite officiellement la responsabilité du statu quo, le roi s’est lancé dans de nouvelles manœuvres destinées à détourner l’attention en accusant violemment l’Algérie d’être responsable de l’impasse dans laquelle se trouve le dossier. C’est ce qui fait aussi que les Sahraouis aient été accusés ces derniers jours d’avoir violé le cessez-le-feu dans la zone de Guerguerat en laissant ses combattants pénétrer le territoire. Mais après enquête, les Nations-Unies ont répondu que ces reproches étaient infondés et qu’aucune violation n’avait été constatée. Bien au contraire, les Nations-Unies ont réitéré leur appel au dialogue.

Ce qu’a également fait l’ambassadeur américain à Alger après sa visite inattendue dans les camps de réfugiés sahraouis, séjour qui semble avoir également fortement déplu au royaume. Mais en définitive, le Maroc vient de refuser la reprise du dialogue, déterminé à œuvrer pour une solution qui s’apparente à la mise des territoires sahraouis sous protectorat marocain.

Pour faire vrai, le roi est monté d’un cran dans ses attaques contre l’Algérie, de manière à se faire entendre également par son opinion qui lui reproche ses absences prolongées à l’étranger. La presse espagnole, qui s’intéresse de près aux évènements marocains, rapporte que Mohammed VI est rentré deux fois au pays ces six derniers mois pour présider des conseils. Or, il se trouve que la situation au Maroc n’est plus ce qu’elle était.

Des vagues de protestations de grande ampleur atteignent y compris les grandes villes et la population exige des changements de fond auquels le roi n’a pas de réponse. L’unité nationale est un sujet qui mobilise, celui sur lequel Mohammed VI escompte retrouver son image.

La réponse d’Alger

A Alger, les diplomates qui se sont toujours montrés réticents à alimenter des polémiques inutiles constatent bien la grave erreur que vient de commettre Mohammed VI.

La formule «il perd pied» revient sur toutes les lèvres. Face à la violence des propos, le pays décide de réagir officiellement. La réponse est sereine, magistrale, et renvoie le voisin aux vérités citées dans le dernier rapport de l’ONU. Dans un communiqué émanant du MAE, «l’Algérie prend acte avec satisfaction de la volonté du secrétaire général des Nations-Unies réitérée dans son rapport au Conseil de sécurité (…) de relancer le processus de négociation et de faciliter des négociations directes, de bonne foi et sans conditions préalables, entre les parties en conflit, le royaume du Maroc et le Front Polisario».

La même source ne manque pas de relever «les graves violations des droits de l’Homme y compris le recours à la torture perpétrée contre des Sahraouis dans le Sahara Occidental occupé, ainsi que de la persistance des restrictions imposées aux visiteurs étrangers y compris les journalistes et les défenseurs des droits de l’Homme dans l’accès au territoire du Sahara Occidental, dont a fait état le secrétaire général des Nations-Unies dans le même rapport».

L’Algérie apporte également son soutien au SG de l’ONU pour «la surveillance de la situation des droits de l’Homme de manière indépendante, impartiale, complète et durable» au Sahara Occidental. Elle exprime enfin «sa préoccupation» au sujet du refus marocain «également mentionné dans le rapport du secrétaire général, de permettre à la Mission de l’Union africaine de retourner à Laâyoune et de reprendre sa collaboration avec la Minurso, alors même que l’Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine avait, lors de sa 30e session ordinaire tenue les 28 et 29 janvier 2018 à Addis-Abéba, a appelé instamment le Maroc à permettre à ladite Mission de retourner à Laâyoune».

Naturellement pressés d’en savoir plus, des journalistes qui contactent le ministère des Affaires étrangères ont droit à une réponse d’une rare sérénité en pareille circonstance. Citant une source autorisée, l’agence gouvernementale rappelle aux Marocains que le dossier sahraoui est une question de décolonisation inscrite en tant que telle aux Nations-Unies et que le soutien aux Sahraouis est une position naturelle, l’Algérie ayant elle-même bénéficié du soutien de pays comme la Tunisie et le Maroc durant la guerre de Libération, «mais il aurait été impensable de demander à l’une des parties d’aller négocier à sa place avec les Français». La partie sahraouie se contente d’observer elle pour le moment. Le processus est encore long. Et tous attendent en fait le prochain rapport du Conseil de sécurité auquel reviendra le dernier mot. De sa décision dépendra toute la situation à venir car c’est à lui qu’incombe la charge d’officialiser ou non l’appel aux négociations directes. Les Marocains sont déjà à pied d’œuvre, Nacer Bourita s’est rendu en Israël dans le but apparent de les amener à faire pression sur les Etats-Unis pour obtenir gain de cause et sans doute «tenter d’entraver le rapprochement entre Alger et Washington», commentent des sources bien informées.

Abla Chérif