Un grand nom de la Révolution algérienne vient de nous quitter : c’est Rabah Bouaziz dit Saïd. Il était rien de moins que l’un des cerveaux de la guerre d’Algérie en France. Il s’est éteint hier à la clinique El Azhar, à Alger, à l’âge de 81 ans.
En cette triste circonstance, l’aîné de ses quatre enfants, son fils Arezki qui nous a rendu visite hier à la rédaction, a eu à son sujet des mots dignes, décrivant un « homme de conviction », « un dur à cuire », déterminé, engagé, pétri de courage et habité par la cause nationaliste depuis son plus jeune âge.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, les jeunes surtout, Saïd Bouaziz était une figure de proue de la Fédération de France du FLN qu’il avait rejoint à la demande de Abane Ramdane. Il était ainsi l’un des cinq « fédéraux » qui présidaient aux destinées de la Wilaya VII historique et siégeaient au Comité fédéral. Les autres étaient Omar Bouadoud, Ali Haroun, Kaddour Ladlani et Abdelkrim Souici.
Il avait hérité de la mission ô combien sensible de l’organisation des groupes armés et du renseignement. « A ce titre, il était chargé de porter la guerre de libération au cœur de la France au lieu qu’elle soit un phénomène extra-muros », explique son fils. Saïd Bouaziz s’occupait ainsi des sabotages, des faux papiers, de l’organisation de l’évasion de détenus nationalistes. Il coordonnait également avec le Réseau Jeanson et autres réseaux de « porteurs de valises » la levée des fonds et des armes et leur acheminement vers le territoire national.
Bref : un vrai baroudeur. Saïd Bouaziz est né en 1928 à Tizi Rached, en Kabylie. Il a été mineur de fond dans les mines du nord de la France où il fourbit ses premières armes de militant. « Il s’engouffra très tôt dans les luttes syndicales avant de s’engager dans la cause indépendantiste. Il avait des prédispositions naturelles à porter le combat nationaliste », raconte Arezki. Dès le déclenchement de la Guerre de libération nationale, il est dans le maquis, exactement dans la Wilaya IV.
Ses qualités guerrières et son mental de fer lui vaudront de grimper très vite dans la hiérarchie. Il devient ainsi membre du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA). L’homme est repéré par Abane Ramdane qui le charge donc de rejoindre la France pour y prolonger la guerre d’indépendance. Ce qu’il fit avec brio. « Il était d’ailleurs condamné à mort avec ordre de tirer à vue. Si bien que moi-même je suis né en Allemagne, sous un nom d’emprunt.
J’étais inscrit sous le prénom de Halim, citoyen marocain », relate Arezki, qui souligne dans la foulée le rôle de premier plan qu’a joué sa mère aux côtés de son mari. Après 1962, Rabah Bouaziz est nommé préfet d’Alger (wali) par le président Ben Bella. On le verra d’ailleurs sur une photo d’époque à la tête de la délégation qui a accueilli le Che à l’aéroport d’Alger en 1965. Plus tard, il prendra en main les tanneries de la Sonipec.
« Mon père est entré ensuite en mésentente avec la politique de Belaïd Abdeslam et a démissionné. Il faisait partie de ces vieux baroudeurs qui étaient considérés comme des personnages gênants, car trop regardants sur la conduite des affaires de notre pays », confie Arezki, avant d’ajouter : « Comme il était un autodidacte chevronné, il s’est inscrit à la fac de droit et en est sorti major de sa promotion. Il a préparé son capa et s’est inscrit au barreau.
Il avait même lié de solides amitiés avec des ténors du barreau comme Maître Benabdallah. » Si Saïd était miné de voir le pays pour lequel il s’était voué avec un sens aigu du devoir, livré en pâture à tous les déchirements, surtout durant les noires années du terrorisme : « Il était chagriné de voir le spectre de la division menacer l’Algérie, que ce soit sous les coups de boutoirs de l’intégrisme ou bien au nom de la partition de la Kabylie. D’ailleurs, il avait échappé à un attentat en 1963 », révèle Arezki. L’enterrement de feu Rabah Bouaziz aura lieu aujourd’hui au carré des Martyrs du cimetière El Alia, après la prière du dohr.
En cette pénible circonstance, le président de l’Association des moudjahidine de la Fédération de France du FLN, Mohand Akli Benyounes dit Daniel, fait part dans un communiqué de sa profonde émotion ainsi que celle des membres de la Fédération, à la suite de cette triste nouvelle, et présente ses sincères condoléances à la famille du défunt.