Quinze ex-militaires condamnés en Argentine pour le plan Condor

Quinze ex-militaires condamnés en Argentine pour le plan Condor

La justice argentine a condamné vendredi 15 anciens militaires, dont un ex-dictateur, pour leur participation au Plan Condor, une opération des dictatures sud-américaines des années 1970 pour éliminer des opposants dans les pays voisins.

Six pays ont uni leurs forces pour pourchasser les militants de gauche hostiles à leur régime : l’Argentine, le Chili, l’Uruguay, le Paraguay, la Bolivie et le Brésil.

Le dernier dictateur de l’Argentine, Reynaldo Bignone (1982-1983), 88 ans, fait partie des condamnés. Il s’est vu infliger une peine de 20 ans de prison. Des centaines d’ex-militaires ont été jugés en Argentine au cours des dix dernières années, seul pays d’Amérique latine à avoir entrepris une sorte de Nuremberg de la dictature.

Les Etats-Unis étaient au courant de l’existence du Plan Condor et ne s’y sont pas opposés, voyant dans ces dictatures un rempart face à l’avancée de la gauche, dans un contexte de Guerre froide.

« S’il y a des choses qui doivent être faites, faites-les rapidement. Mais vous devez reprendre rapidement les procédures normales », a répondu le secrétaire d’Etat Henry Kissinger à un ministre argentin qui l’informait de l’opération, selon un document versé au dossier d’accusation.

– Sans Videla –

C’est la première fois qu’un procès est consacré au Plan Condor en tant qu’organisation criminelle, même si des militaires sud-américains ont déjà été condamnés pour des crimes commis dans le cadre de ce plan.

La plupart des exécutions ou enlèvements (89) ont été perpétrés en Argentine, où de nombreux Uruguayens, Chiliens et Paraguayens ayant fui leur pays vivaient comme réfugiés politiques.

Le verdict a été accueilli par des applaudissements dans la salle d’audience du tribunal de Buenos Aires. La plupart des dix-huit accusés ont été condamnés pour le délit de crime en bande organisé, à l’issue de trois ans d’audiences.

Les accusés n’étaient pas présents dans la salle d’audience lors de la lecture du jugement par le président du tribunal Oscar Almirante.

Quand le procès a débuté en février 2013, ils étaient 25 accusés. Ils ne sont plus que 17 en vie, âgés de 77 à 92 ans. Huit sont décédés durant le procès, notamment l’ancien dictateur argentin Jorge Videla (1976-1981), mort dans sa prison.

Parmi les 105 victimes du Plan Condor, la plupart sont des Uruguayens (45). Il y a aussi 22 Chiliens, 13 Paraguayens, 11 Boliviens et 14 Argentins.

– Les archives de la terreur –

« Ce procès est un exemple. L’Argentine démontre qu’il est possible » de juger les responsables de la dictature, estime Nora Cortinas, une des fondatrices des Mères de la Place de Mai, organisation emblématique de la lutte contre la junte militaire en Argentine.

« C’est ce que nous voulions. Que la justice démontre que c’était une organisation criminelle », confie Anatole Larrabeiti, dont les parents, uruguayens, font partie des disparus du Plan Condor.

« C’est le premier procès qui établit ce qu’on sait depuis des dizaines d’années : l’existence d’un plan criminel qui a été le Plan Condor (…), un système criminel et institutionnalisé », note Luz Palmas, l’avocate du Centre d’études légales et sociales (CELS), ONG argentine défendant les droits de l’Homme et représentant les intérêts des familles de victimes.

Pour de nombreux pays latino-américains, ce verdict est « un évènement judiciaire important », souligne-t-elle. Dans les autres pays du continent, les anciens militaires ont généralement bénéficié de lois d’amnistie, à quelques exceptions près.

Environ 300 témoins ont été appelés à la barre durant les trois ans du procès. Les magistrats se sont appuyés sur ce que l’on appelle les Archives de la terreur, découvertes au Paraguay dans les années 1990, et sur des documents déclassifiés par les Etats-Unis. Si leur pays d’origine avait accepté les demandes d’extradition de l’Argentine, le nombre des accusés aurait été supérieur.

La troisième phase du Plan Condor, la neutralisation d’exilés en Europe ou à l’extérieur de l’Amérique du sud, a finalement été suspendue après l’attentat exécuté par un agent des services chiliens, un ancien de la CIA, contre Orlando Letelier, selon l’avocate Luz Palmas, mentionnant des opérations prévues en France et au Portugal.

Letelier, ancien ministre de Salvador Allende, a été tué le 21 septembre 1976 lors d’un attentat à la voiture piégée à Washington, considéré comme l’une des premières attaques terroristes commises en territoire américain. Sa collaboratrice américaine Ronni Moffitt a elle aussi péri dans l’attentat.