L’Algérie est un pays riche en pétrole. Et en carburant. Pourtant, localement, des Algériens se plaignent de pénuries d’essence. L’occasion de se demander : à qui la faute ?
Ouargla, Béjaïa, Sétif, Sidi Bel Abbès … De ces villes, les témoignages affluent ces derniers temps. Les habitants se plaignent de difficultés d’approvisionnement en carburant, quand ce n’est de pénurie pure et simple. Ainsi, le sans plomb est carrément devenu une denrée rare dans les régions de l’extrême est et ouest. Ces difficultés interviennent au moment où les stations balnéaires d’Annaba, Béjaïa, Jijel et autres enregistrent une forte affluence touristique. Qui est donc responsable de cette tension sur l’essence ? Algérie-Focus fait le point.
1. La contrebande aux frontières ?
Chaque année, près de 1.5 milliards de litres de carburant traverse les frontières algériennes et engendre des pertes estimées à un milliard d’euros. Ce fléau de la contrebande, le gouvernement a promis de le combattre.
La lutte est sans merci à l’extrême est et ouest de l’Algérie, avec la saisie systématique de tous les véhicules dotés de cachettes aménagées pour carburant ou d’un double réservoir. Les services de sécurité sont aussi invités à surveiller les points de vente proches de la Tunisie et du Maroc. Des tranchées profondes et larges ont été creusées sur le tracé frontalier.
De son côté, le wali de Tlemcen a signé un arrêté limitant l’approvisionnement en essence et gasoil pour les voitures utilitaires et les camions, en plus de la réduction des quotas aux stations-service de l’extrême ouest du pays. Ce qui réduit de facto le nombre de litres traversant illégalement la frontière. Ce qui affecte aussi le quotidien des habitants de ces zones en pleine “guerre économique.”
Récemment, le ministre de l’Intérieur Dahou Ould Kablia s’est félicité d’une baisse du trafic de 50% avec le Maroc. C’est encourageant, mais cela veut dire que plus de 700 millions de litres continuent à se balader en toute clandestinité en-dehors de notre territoire.
Au Maroc, le carburant algérien est vendu à 3-4 Dirhams le litre quand le prix officiel au Royaume est de 8,4 Dirhams. Un récent rapport sur le commerce illicite de la Chambre de commerce, d’industrie et de services d’Oujda indique que
70% de l’économie de la région du Maroc oriental dépend de la contrebande. Le chiffre d’affaires moyen de cette activité à 6 milliards de dirhams par an. Le secteur informel emploie plus de 10 000 personnes et couvre l’essentiel des besoins de consommation (…) La majorité des voitures et engins agricoles évoluant dans les villes du Maroc oriental dépendent du carburant algérien dont le prix a connu une hausse de 100%.
Une hausse qui se poursuit depuis que l’Algérie a décidé de mettre fin à la spoliation. Le journal panarabe Al Charq Al Awsat décrit une situation apocalyptique depuis le début de l’été : épuisement des stocks de carburants, files d’attentes devant les stations d’essence et augmentation des tarifs des transports collectifs et taxis. Idem pour le transport des marchandises.
A tel point que les Marocains perdent patience. Quand ils ne s’en prennent pas à leur voisin algérien, c’est à leurs propres élus qu’il adressent leurs reproches. Ainsi, le maire d’Oujda qui avait déclaré qu’il n’avait pas pas besoin de l’Algérie pour vivre a vu sa pharmacie incendiée par ses propres administrés. Pourtant, l’observatoire de la contrebande de la chambre de Commerce d’Oujda, avait là encore prévenu :
Les flux de carburant vendus en contrebande peuvent être coupés à tout moment. Ainsi, l’alimentation d’un stock stratégique de carburant national au niveau de l’Oriental, s’avère nécessaire.
Il avait manifestement vu juste.
2. La surconsommation d’essence ?
C’est un débat qu’il faut oser : est-il encore possible de subventionner le carburant en Algérie ? Le prix du litre d’essence dépasse à peine celui du litre d’eau. C’est ce tarif dérisoire au regard de la situation mondiale qui attire les convoitises des contrebandiers. Qui déresponsabilise aussi la consommation des automobilistes, au mépris des contraintes économiques et environnementales.
Le faible prix du carburant encourage fortement l’acquisition de véhicules particuliers. Le parc automobile est de cinq millions de véhicules aujourd’hui. Le rythme des achats va croissant, alors que les villes veulent davantage miser sur les transports collectifs. Un métro a vu le jour à Alger. Un tramway a été mis en circulation à Oran et à Constantine. Sidi Bel Abbès devrait bientôt être équipée.
Conséquence du trop-plein automobile sur le reste du territoire : l’Algérie a consommé en 2012 plus de 14 millions de tonnes de carburants ! Dont 2,4 millions de tonnes importées, ce qui représente en valeur 2,8 milliards de dollars. Les prévisions ne sont guère réjouissantes pour cette année. D’ici décembre, la facture des importations pourrait s’élever à 4 milliards de dollars.
La manne pétrolière peut-elle se tarir ? Le Premier ministre assure que non. Mais le gouvernement est conscient des problèmes que la surconsommation d’essence peut causer à l’avenir. Pour l’heure, il préfère différer le moment de prendre une décision et maintenir provisoirement la paix sociale. Jusqu’à quand ? L’imminence de l’élection présidentielle laisse à penser que rien ne sera tranché avant avril 2014.
3. La politique énergétique de l’Etat ?
Elle est la seule entreprise autorisée à distribuer des produits pétroliers sur le marché algérien. Naftal, filiale à 100% de la Sonatrach, détient ce que l’on appelle un monopole d’Etat. Quand l’entreprise tousse, l’économie algérienne s’enrhume. Et c’est vers Naftal que se tournent aujourd’hui quelques paires d’yeux pour comprendre les difficultés d’approvisionnement qui affectent certaines de nos pompes à essence.
Certaines régions serait-elles sous-dotées en stations-service ? Les automobilistes résidant loin des des chefs-lieux de wilaya se plaignent de devoir parcourir des dizaines de kilomètres chaque jour pour faire le plein. Autre reproche récurrent : Naftal et la Sonatrach n’auraient pas anticipé la croissance du parc automobile.
A ce propos, il faut reconnaître que si la décision a tardé, le gouvernement est désormais prêt à prendre le taureau par les cornes. Des efforts sont faits à Hassi Messaoud, où une polémique n’a toutefois pas manqué d’éclater. Le ministre de l’Energie et des Mines Youcef Yousfi a annoncé que six nouvelles raffineries seront construites. Cinq chantiers seront lancés d’ici la fin de l’année pour une entrée en production d’ici 2017.
Objectif : hisser la capacité de raffinage nationales de 30 millions de tonnes/an actuellement à 60 millions de tonnes/an et permettre à l’Algérie de devenir exportateur de produits raffinés. Youcef Yousfi a précisé que
cette augmentation de capacité de raffinage permettra de couvrir la consommation nationale jusqu’en 2040 et développer une pétrochimie à la proximité de ces raffineries
D’ici à 2020, c’est pas moins de 100 milliards de dollars qui seront investis dans l’amont pétrolier et gazier. De quoi améliorer aussi la qualité des carburants aujourd’hui distribués par Naftal. Aujourd’hui, le gasoil et l’essence contiennent parfois de l’eau et des déchets solides, nocifs aux moteurs et à l’environnement.