Qu’espère-t-on pour l’Algérie de 2016 ?

Qu’espère-t-on pour l’Algérie de 2016 ?

« En ces temps d’imposture universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire ». George Orwell (1903-1950), écrivain anglais

L’an 2015 tire à sa fin. Dans les tout prochains jours, nous serons en 2016. Les berges courent, galopent et… n’attendent guère ceux qui rechignent à les suivre! Ainsi va le cycle de la vie et personne n’y peut rien, hélas ! Or chez nous, on s’en fout. Le temps n’a, paraît-il, aucune valeur dans la cartographie mentale de notre intelligentsia! Preuve en est que le fil de notre actualité ressemble à un horoscope apocalyptique qui déclenche un angoissant compte à rebours. En conséquence, personne ne sait vers quoi on s’oriente. Si la majorité de nos compatriotes n’y distinguent pas clair, d’aucuns dont je ne partage pas nécessairement l’avis prédisent le chaos ! Entre l’incompréhension des premiers et les prévisions pour le moins pessimistes des seconds, nos élites enfoncent leurs têtes dans le sable pour ne pas voir le pire advenir. Pour cause, la colombe-Algérie reste en l’état, voire quasiment au point de départ, le plomb dans les ailes : maladie du président, chômage, économie souffrante, hogra, corruption, mal logement, abus d’autorité, confusions dans le système de gouvernance, jeunesse à la peine, etc. Voilà autant de réalités qui vont raviver en moi dans ce papier toutes les interrogations que se posaient déjà depuis longtemps nombre de citoyens lambda dans les foyers, les cafés, les rues, et partout ailleurs.

A vrai dire, le bilan est bien trop maigre dans tous les domaines (économie, politique, société, culture, etc.,) s’il n’est pas d’ailleurs près du néant. On dirait que l’habitude du recul nous a cloués dans l’ennui et la frustration. Ô pauvre Algérie comme tu es à plaindre ! Mais pourquoi bon Dieu notre pays régresse-t-il à ce rythme inquiétant ? Pourquoi ? Faudrait-il encore que je repose pour la énième fois cette question afin que je n’en récolte à mes dépens qu’un grand point d’exclamation! Et puis, où est cette couleur de l’espoir à même d’embellir ces horizons gris, devenus notre seconde nature? Où est le «nif», ce sentiment de fierté intraduisible dans toutes les langues du monde, qui aurait ranimé de l’intérieur durant les pires épreuves qu’a subies le pays la conscience de mes compatriotes pour les remonter du bout du tunnel où ils se trouvaient? Où sont nos compétences nationales pour panser nos blessures et penser aux voies qui nous mèneront au salut ? Où est la simplicité d’antan qui caractérise les gens de l’Algérie profonde? Où sont le sourire, la quiétude, la bonhomie, l’optimisme…, etc.?

Si à l’heure qu’il est le régime est à bout de souffle, nos jeunes n’en sont pas moins épargnés. Jetés dans les bras du système «D», ils ne s’en sortent que rarement ou pas du tout. Ni l’A.N.S.E.J ni les autres parades que le gouvernement aura mis au jour pour les calmer n’ont eu raison de leur entêtement. Ils rêvent tous de quitter coûte que coûte ce bled infesté en masse par les corrompus. Un pays où la plupart des administrations se sont transformées en repaires de malfaiteurs, sinon, en jungle sauvage qui n’a de loi que celle du même nom. C’est un malaise aux contours indéfinissables qui risque de nous étouffer, et cela fait très mal au cœur. Il en va certes fort différemment des autres, c’est-à-dire cette infime minorité de « fausses fortunes » qui s’accommode bien du désastre actuel, en puisant dans les caniveaux de l’argent sale, et en s’introduisant, pagaille de la scène politique aidant, aux plus hautes sphères de «décision». Et la boucle étant bouclée, décidément. Que c’est triste de le répéter. Nos responsables à tous les niveaux se tirent une balle dans le pied, en continuant de penser que les hydrocarbures sont une panacée universelle à nos maux. Leur penchant morbide pour cette culture de la rente pourrait n’être qu’un lointain souvenir s’ils (nos responsables s’entend) étaient bien armés intellectuellement et ayant la volonté politique pour passer à une transition économique en bonne et due forme. Que le baril du pétrole soit à 100, à 40 ou à 20 dollars, il n’est ni (sera) jamais une solution pour nous mais seulement un cache-sexe de nos failles de gestion. La devise devrait désormais être la suivante : Il faut que nous nous retroussions les manches pour réaliser vite notre autarcie.

A cet effet, il serait peut-être grand temps d’écouter les cris de cette société en perte de repères, comprendre ses pulsions, interpréter ses mouvements, sa dynamique intérieure et ses aspirations futures pour tracer une stratégie globale de sortie de crise, tirer celle-ci (la société) vers le haut et avancer. Un travail colossal qui requiert des révisions déchirantes de nos schèmes de pensée certes mais cela va, à mon humble avis, de l’hygiène éthique des élites gouvernantes et de la santé de la nation. J’insiste, oui j’insiste là-dessus sans m’en démordre. De quoi aurais-je l’air ? Me diriez-vous. Je vous répondrai illico presto que « la question de la sécurité alimentaire » est une des inquiétudes qui m’habite personnellement et gagne, j’en suis sûr, tout un chacun de nous. Et que, d’une façon ou d’une autre, on est tous concernés par ce qui se passe à notre patrie.

C’est pourquoi, mettre en évidence les absurdités et les contradictions du système me paraît une urgence vitale. Il y a lieu de reconnaître à ce propos qu’on souffre par trop de la pauvreté du discours en Algérie (les invectives que les uns et les autres s’échangent ces derniers temps sur fond de guéguerres de clans et sans une véritable foi dans le changement illustrent bien le vide managérial qui castre nos élites) alors que la société est soumise à l’hydre d’une névrose chronique. Aveuglée par une violence souterraine, de ressentiments, et de méfiance, celle-ci se venge à sa manière de ces élites-là. Quoique toutes proportions gardées légitime, cette violence est nuisible, voire dangereuse avec tout ce que cela contenait d’effets collatéraux et de déviances (délinquance, haine de l’autre, impulsivité, anarchie, etc.,). En plus, devenue une sous-culture enracinée, cette violence-là est annonciatrice dans le futur, qu’à Dieu ne plaise, de problèmes sociétaux un peu plus graves que ceux qu’on vit présentement et aussi de dissensions internes persistantes au cœur des noyaux familiaux et de la société elle-même. C’est peu dire que la situation de l’Algérie est complexe. Elle a, en outre, ceci de spécial qu’elle n’intéresse que ceux qui en subissent l’impact : les classes défavorisées. Bref, le pays traîne ses peines derrière lui et on sent même cette menace de repli identitaire, culturel, social, touristique, etc., poindre à la surface sous forme d’un sinistre présage : le chaos! Serait-il possible d’inverser la tendance alors? Oui, effectivement si l’on en arrive, nous les algériens, à se mettre en question et à questions dans le respect de nos sensibilités, nos différences, nos opinions et nos prises de positions. Gustave Jung (1875-1961) n’a peut-être pas tort lorsqu’il aurait écrit que ce qui manque à l’homme, c’est l’intensité. Cette intensité dans notre cas peut être interprétée dans « le courage de s’accepter et d’accepter l’autre dans le respect de valeurs démocratiques consensuelles ».

Aussi, il nous appartient d’assécher ce marécage administratif qui permet à l’informel de prospérer, de faire barrage à « ces vampires du compradore » qui mangent à tous les râteliers et dilapident, toute honte bue, les deniers publics. De cesser en même temps d’être des brebis galeuses dans le jeu stupide des barons de l’import-import, de greffer la tolérance, la liberté de conscience et le legs traditionnel de « la fraternité », « le sacrifice pour l’autre », « l’amour », etc., dans les cœurs et d’apprendre à nos jeunes à sans cesse les cultiver. Ces derniers en ont énormément besoin. Cela me rappelle d’ailleurs l’image d’un jeune sans-papiers. Un des nôtres que j’avais rencontré, il y a si peu du temps, dans une ville hexagonale. Notre discussion a été, à vrai dire, intéressante quoique frustrante à bien des égards « Que dois-je attendre, me lance-t-il au débotté en signe d’exaspération, de cette Algérie qui ne nous a donné, à nous les jeunes, rien …sauf de la colère et du dégoût ? » « Mais, il faut résister mon ami pour s’affirmer» lui ai-je répondu dans une tentative désespérée pour convaincre « s’affirmer ! Tu parles ! Mais devant qui ? Où ? Comment et pourquoi ? Le dilemme est là. En plus, t’as pas remarqué que la corruption a perverti les esprits des nôtres au point du délire? Peux-tu imaginer maintenant par exemple un étudiant ou un syndicaliste prêt à se battre pour les idéaux, la démocratie, la justice sociale et tout le toutim ? » « Pourquoi pas ? » « Presque de l’impossible ! Le mal est profond et tout le monde essaie de se sauver ! » « Tu penses donc que la fuite à l’étranger serait la bonne solution? » « Non. Mais comme ça au moins, mon moral est en paix! ».

En voici là l’état d’esprit des nôtres. Il se résume en effet en deux mots : la lassitude et l’indignation! Si mon interlocuteur a, lui, choisi l’exil (en fait c’est un harrag qui a traversé 12 pays pour arriver en France), le plus grand nombre de nos jeunes se confronte au dur quotidien du chômage, la mal-vivre, le «dégoût-age», etc. De toute façon, je ne vais pas ressasser ce que j’avais déjà dénoncé dans mes précédentes chroniques même si l’espoir de resserrer les liens distendus entre les enfants de cette nation qui fut naguère le porte-drapeau des pays résistants, puis, de ceux tiers-mondistes est très fort. D’autant que les mots comme écrit le philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein (1889-1951) n’ont pas de sens mais seulement des usages. Ils dessinent les insaisissables et les impossibles incantations des rêves. Les miens se ramènent à quelques modestes propositions (dans l’urgence). D’abord, une série de réformes profondes sous le parrainage collectif de la nomenclature, la société civile, et les comités de quartier. Lesquelles réformes viendront sans doute à bout des conséquences de « cette batterie d’échecs » dans tous les domaines. A commencer par la faillite de nos programmes économiques. Si j’appuie sur le volet économique, c’est parce que je crois que celui-ci est l’échine dorsale de tout Etat ou pays moderne. A défaut d’économie productive, on restera à jamais dépendant de l’étranger, en particulier de l’agroalimentaire hexagonal, nous dont la terre fut jadis «le grenier de Rome» ! La piètre phrase de «Serrez la ceinture!» adressée par le Premier ministre Abdelmalek Sellal aux algériens est un leurre. Car bien qu’il s’agisse là d’un aveu majeur d’échec gouvernemental, cette injonction ne traduit pas une volonté de rupture avec «le réflexe des rentiers», ce qui est gravissime. Pourquoi Sellal n’a-t-il pas dit par exemple «travaillez plus !». Jusque-là soigneusement évité dans la rhétorique soporifique de nos gérontocrates, ce mot «économie» fait fureur au plus haut niveau de la hiérarchie. Or, en grugeant le peuple, ces élites-là ne font que se voler elles-mêmes et préparer leur potence politique! Cessons donc de tourner en rond et encourageons l’agriculture. Les wilayas de l’intérieur, à elles seules, seront en mesure de satisfaire nos besoins alimentaires dans 10 à 15 ans si nous nous en prenions soin d’une manière convenable. Et qui dit agriculture, dit forcément bureaux d’études, équipes de consulting, instituts agronomiques, etc. Ce serait très pratique comme démarche si nous nous y mettions dès à présent. Le pétrole ne serait à ce moment-là que des réserves d’appoint pour l’avenir. Que c’est lamentable de voir un pays jeune comme le nôtre sombrer dans le désespoir alors que les autres l’en envient. Reprenons confiance en nous-mêmes et donnons une chance à cette jeunesse perdue pour travailler la terre.

Le deuxième aspect que je voudrais bien évoquer ici, c’est la « probable » révision constitutionnelle en ce 2016, pourquoi ? A mon sens, à peine éclose, notre démocratie naissante est déjà en déclin pour beaucoup de raisons : d’abord, reconnaissons-le bien sous le règne de Bouteflika, le clanisme a été le trait déterminant de la vie politique. Celui-ci a miné en profondeur les rapports entre les élites, les partis politiques et la société. Il est certain qu’il en a toujours été ainsi (le caractère tribal de notre société a, plusieurs fois, été démontré par les études anthropologiques). Mais il n’en demeure pas moins que l’évolution dans le monde actuel implique un changement de mentalité. La modernité ne devrait pas être un vain mot mais une consécration effective de la déontologie et de l’éthique dans les pratiques sociales et politiques. Regardons par exemple comment les responsables en Occident osent démissionner lorsqu’ils réalisent leur incapacité à gérer, ou sont accusés par leurs concitoyens ou la justice de faute grave ou dysfonctionnement. Cela participe de la crédibilité du pouvoir et du sérieux de l’Etat. Donc, le plus utile serait de mettre en place un code d’éthique dans la gestion (obligation de déclaration de patrimoine pour les élus et les membres du gouvernement, bannissement d’enrichissement illicite, contrôle des avoirs des hauts fonctionnaires, lutte sans merci contre la fraude fiscale, etc.) et de veiller à l’appliquer. Puis, vient la question de l’organisation des pouvoirs (la présidence, le sénat, le parlement, la justice, la presse). La séparation des pouvoirs devrait en ce point être une réalité tangible pour que disparaissent à jamais les abus d’autorité et l’arbitraire.

De même, le présidentialisme et le centralisme excessifs ayant envenimé la vie et le discours politique ne devraient pas avoir de place dans notre panorama social futur. Enfin, œuvrons pour la constitutionnalisation de tamazight, et l’amélioration du sort des femmes pour plus de cohésion et d’unité «une Algérie une et indivisible». En tout cas, ce genre de problématiques nécessite une coordination entre tous les secteurs : les politiques, l’éducation, la culture, les organismes sociaux, les masses, etc. Je crois que le peuple est assez mûr pour s’en saisir. La culture du «huis-clos» et du secret n’a apporté jusque-là aucun fruit pour l’Algérie.

Kamal Guerroua, universitaire