La veille de l’évacuation du président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika, à l’hôpital militaire d’Aïn-Naâdja, à Alger, suite à un accident ischémique transitoire, la nouvelle du limogeage de Saïd Bouteflika de son poste de conseiller à la Présidence a fait le tour de la toile à travers de nombreux sites d’information, algériens et étrangers.
Certains «observateurs» n’ont pas hésité à franchir le pas en expliquant la détérioration de la santé du chef de l’Etat par son entrée dans une colère noire contre son frère cadet, suite à la publication d’un article sur le quotidien El Watan, impliquant Saïd Bouteflika dans des affaires de corruption. Toutes les explications et toutes les hypothèses, même les plus farfelues, étaient bonnes pour donner du crédit à la nouvelle annonçant le limogeage de Saïd.
Nommé par décret non publiable, le frère cadet du président est cité dans de nombreuses affaires, à tort ou à raison. On lui prête un pouvoir incommensurable au palais d’El-Mouradia. Il serait, non seulement derrière la nomination de plusieurs ministres et hauts fonctionnaires dans les appareils de l’Etat ou à des postes-clés dans des organismes publics, mais aussi derrière la constitution de plusieurs grosses fortunes d’investisseurs arrivés tout récemment sur la scène économique. Certains de ces nouveaux riches n’hésitent pas à lier leur réussite aux affaires au nom du frère du Président. Tel ce patron de presse qui refuse de payer son ardoise à l’imprimerie, arguant du fait qu’en créant ses journaux il n’avait fait qu’obéir aux injonctions d’en haut, allusion faite à Saïd Bouteflika.
Succédera-t-il à son frère ?
Même si l’homme reste discret, ses courtisans, qui disent bénéficier de son soutien, lui nuisent énormément en se prévalant de relations privilégiées qu’ils entretiennent avec lui. Le désormais ex-coordinateur de la section de football du Mouloudia, Omar Ghrib, est de ceux qui criaient sur tous les toits qu’il agissait pour le compte de Saïd Bouteflika. C’est ce qui a fait dire à beaucoup d’observateurs que le boycott de la cérémonie de remise de médailles à la fin du match de la finale de la coupe d’Algérie a été dicté par le frère du Président. Aussi ridicule que cela puisse paraître, ils sont nombreux à mordre à pareille ineptie, comme celle de lui prêter l’intention de vouloir succéder à son frère.
Bien qu’il n’ait jamais fait montre de la moindre prétention politique, certains opportunistes ont été vite en besogne, lui prêtant l’intention de la création d’un parti politique pour lui servir de support à une candidature à la présidentielle. C’était en 2005, quand le Président s’était fait opérer à l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, d’un ulcère hémorragique au niveau de l’estomac et avant la révision de la Constitution pour ouvrir la voie à un troisième mandat au Président, beaucoup d’opportunistes se sont mis à faire circuler le bruit sur la conversion des comités de soutien de Bouteflika en un nouveau parti politique qui assurerait l’élection de son frère à la magistrature suprême.
M’hammed Meguedem, le spécialiste de l’intox
Tout ce bruit fait autour d’une candidature qui n’a jamais effleuré l’esprit du premier concerné n’ont fait qu’attiser les querelles intestines dans l’entourage du Président. A défaut de se placer sur la liste de potentiels candidats à la présidentielle, faute d’envergure mais, surtout, pour cause de mauvaise réputation, certains antagonistes n’hésitent pas à recourir à l’intox.
L’un des spécialistes de la manipulation et de l’intox, M’hammed M’gueddem, autre conseiller nommé par décret non publiable, bénéficiant juste du rang et du gyrophare de la voiture, en plus du passeport diplomatique, mais sans bureau au palais d’El-Mouradia, a, ces dernières semaines, été l’auteur d’une «bombe médiatique» qui a fait le tour du monde en un temps record grâce à internet, ce moyen de communication pollué par des amateurs s’improvisant journalistes et par des sites dits d’informations ne prenant jamais le soin de vérifier les nouvelles qu’on leur distille. Cette «bombe» concerne tout simplement Saïd Bouteflika, annoncé comme étant limogé par son frère suite à la publication d’un article sur le quotidien El Watan sur des affaires de corruption. Un article qui aurait servi comme alibi idoine pour faire passer la pilule aux amateurs du sensationnel.
Dix jours depuis l’annonce du limogeage de Saïd Bouteflika et rien n’est venu confirmer cette «information» qui, selon des observateurs bien avertis, ne serait que pure intox portant la griffe de M’hammed Megueddem.
Dans quel but Megueddem a-t-il lancé cette intox alors qu’il devait cohabiter avec le frère du Président dans le respect des prérogatives de chacun ? Pour ceux qui connaissent cet ancien chauffeur de bus, qui s’était forgé une réputation de fournisseur de la bonne chaire aux hauts dirigeants du pays sous l’ère Chadli Benjedid, lequel l’avait propulsé au poste de directeur de la communication à la Présidence, cela fait partie de ses manigances. Lui qui se fait passer pour un décideur de l’ombre, il ne prend pas de gants pour affaiblir tous ceux qui perturbent son influence.
L’informateur de M’hammed Meguedem à la Présidence
Conseiller du Président sans fonction précise, nommé sur conseil du défunt Larbi Belkheir «pour se mettre à l’abri de sa nocivité», argumentait-il, M’hammed Megueddem n’est pas du genre à se contenter d’un salaire de haut fonctionnaire et d’un statut de VIP sans jouer le moindre rôle de coulisses. Il doit bien montrer à son entourage qu’il est un homme important qui fait partie des décideurs. Pour les besoins de ce rôle, il bénéficie de l’appui d’un proche du Président. Il s’agit de Mohamed Rougueb, secrétaire particulier du chef de l’Etat, que Megueddem présente, dans ses conversations privées, comme étant son poulain. «C’est moi qui l’ait fait. Il m’obéit au doigt et à l’œil», laisse-t-il entendre dès qu’on cite le nom de celui-ci.
Entre les deux hommes, l’information circule parfaitement. Dès qu’un cadre est sur le point d’être nommé à un poste important, M’hammed Megueddem est informé à temps pour qu’il avise le concerné, allant jusqu’à lui indiquer l’heure de l’audience que lui accordera le Président pour lui annoncer sa nomination. Voilà de quoi donner l’impression à l’heureux élu au poste de ministre, d’ambassadeur, de PDG ou de n’importe quelle autre haute fonction qu’il doit sa promotion au sieur M’hammed Megueddem, conseiller du Président. Une annonce qui passerait comme une lettre à la poste dans la mesure où le concerné n’exerce pas une fonction qui l’expose publiquement et n’est pas en mesure de démentir une information beaucoup plus relayée par des sites web, aux promoteurs anonymes, que par des organes de presse reconnus. C’est ce qu’on appelle faire de l’intox par la rumeur qui prend des allures officielles à travers des moyens de communication virtuels.
Comme ces derniers temps les nominations se font rares, du fait de la réduction sensible de l’activité du chef de l’Etat, et supportant mal que les courtisans n’aient plus les yeux que pour Saïd Bouteflika qui se serait substitué à son frère dans la prise de certaines décisions, Megueddem n’a d’autre alternative que d’user de son arme favorite, à savoir l’intox. Annoncer le limogeage de Saïd Bouteflika, c’est passer aux yeux de ses proches comme le seul décideur qui reste dans les coulisses de la Présidence.
Ces querelles de coulisses, même si elles n’ont pas d’effet sur la vie du citoyen confronté à d’autres problèmes plus terre à terre, laissent apparaître un certain malaise au sommet de l’Etat, occasionné par une absence prolongée du Président qui ne date pas du 27 avril dernier mais, en réalité, depuis bien longtemps. Faut-il rappeler que depuis le 8 mais 2012, Abdelaziz Bouteflika n’a plus adressé de discours au peuple, et sa participation aux festivités de célébration du Cinquantenaire de l’indépendance, le 5 juillet dernier, a été aussi timide que ne l’a été le programme même, concocté à cette occasion.
Par Hichem ABOUD