L’objet de cette contribution est de poser d’une manière réaliste, face aux nouvelles mutations géostratégiques mondiales, les perspectives d’une coopération fructueuse pour une prospérité partagée entre les Etats-Unis d’Amérique, première puissance économique mondiale et l’Algérie, toujours en transition vers l’économie de marché et l’Etat de Droit, tant dans le domaine économique que politique.
Quel partenariat stratégique entre l’Algérie et les Etats-Unis ?
L’économie n’est-elle pas comme nous l’ont enseigné les classiques de l’économie avant tout politique ?
1.- Poids des USA et de l’Algérie dans l’économie mondiale ?
En 2013, les Etats-Unis conservent leur position de pays produisant le plus de richesse, avec un produit intérieur brut (PIB) estimé prévisionnel par le FMI à 16 238 milliards de dollars contre 15865 milliards de dollars en 2012 pour une population de 302 millions d’habitants. La Chine vient en seconde position avec 9020 milliards en 2013 contre 8227 en 2012 mais pour une population dépassant largement le milliard d’habitants. Le Japon 5120 en 2013 contre 5964 en 2012 soit une importante baisse ; l’Allemagne 5964 en 2013 contre 3598 en 2012 et enfin la France 2739 en 2013 contre 2609 en 2012. Pour l’Algérie le PIB en 2013 est estimé par le FMI à 216 milliards de dollars en 2013 contre 209 en 2012. Encore que le rapport prévisionnel du FMI pour 2014 note que la dette publique des pays développés devrait atteindre le « pic historique » de 110% de leur produit intérieur brut en 2014, soit 35 points de plus qu’en 2007), plus de 79.000 milliards de dollars. Les Etats-Unis devraient eux voir leur endettement progresser à 107,3% de leur PIB en 2014 doit 17500 milliards de dollars donc 22,05% de l’endettement mondial. Ainsi note le FMI, en dépit des progrès sur la réduction des déficits, les fragilités budgétaires profondes restent élevées dans les pays développées. Avec un ratio de dette/PIB de 242,3% prévu en 2014, le Japon devrait encore figurer en tête du peloton des pays développés les plus endettés, suivis par la Grèce (174%), l’Italie (133,1%) et le Portugal (125,3%) et 94,8% pour la France. Bien que clôturant à environ 200 milliards de dollars fin 2013 pour ses réserves de change,( dont plus de 80% placées à l’étranger en bons de trésor américains et en obligations européennes à moyen terme, le taux d’intérêt en 2013 fluctuant entre 2% et 2,25% pour le moyen terme) et une dépense publique programmée de 500 milliards de dollars entre 2004/2013 (faute de capacité d’absorption tout n’a pas été dépensé mais aucun bilan à ce jour), l’Algérie pour une population d’environ 38 millions d’habitants représente 1,37% du PIB des Etats-Unis d’Amérique en 2012 et 1,33% en 2013. Le constat est que les réserves de change constituent une richesse virtuelle, un moyen de développement autant que les infrastructures et non l’essence de la création de la valeur et que l’économie américaine est une économie productive. Les Chinois qui ont des réserves de change estimées à 3440 milliards de dollars en juin 2013 selon la banque centrale chinoise, contre 3 331 milliards de dollars enregistrés à la fin de décembre 2012 sont de plus en plus utilisés en fonds souverains (investissement à l’étranger). Pour l’Algérie, les hydrocarbures sont dominants au sein du PIB environ 45% mais avec les effets indirects via la dépense publique plus de 80%. Le constat est que l’économie des États-Unis constitue un moteur essentiel de croissance pour l’économie mondiale. Les fluctuations de son produit intérieur brut, le niveau de son commerce international et ses politiques monétaires sont suivis de près par les gouvernements mondiaux et les marchés financiers internationaux. En 2012, les principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis sont la Chine, les deux partenaires de l’ALENA, Canada et Mexique, le Japon, l’Allemagne et le Royaume-Uni. La Chine et l’Allemagne occupent les deuxième et troisième rangs, respectivement. En 2011, les États-Unis restent la première nation commerçante (en valeur), leurs importations et leurs exportations ayant atteint 3 746 (1511 milliards de dollars d’exportation) milliards de dollars. Ils restent le premier négociant mondial, les échanges de services qui se sont chiffrés à 976 milliards de dollars. Pour 2012, le département du Commerce a annoncé que les exportations de biens et services américains ont atteint un record historique avec une croissance de 92,6 milliards de dollars pour arriver à 2200 milliards de dollars en 2012, alors que l’économie des États-Unis continue à progresser vers l’objectif, fixé par le président Barack Obama, de doubler le niveau des exports par rapport à 2009. Pour l’Algérie selon les statistiques douanières officielles pour 2012, les exportations de l’Algérie ont atteint 73,98 mds usd et les importations se sont établies à 46,80 mds usd ( non compris les 12 milliards de dollars des services) donnant un total de 120,78 milliards de dollars rapporté à celui des USA, nous avons 5,45%. Cependant des perspectives commerciales s’offrent ente les USA et l’Algérie en dehors des hydrocarbures, l’Algérie étant avant tout intéressé par le transfert du savoir-faire technique et managérial avec la présence d’importantes sociétés américaines, devant impulser la coopération notamment dans le domaine des nouvelles technologies, de l’industrie, les services, l’agriculture et le BTPH sans oublier la formation. Récemment, en dehors des hydrocarbures où les USA sont présents, le dernier contrat en date est celui signé en 2013 entre le groupe Sonelgaz et le groupe américain General Electric (GE) qui vont réaliser en partenariat un complexe industriel de fabrication de turbines à gaz en Algérie pour un investissement de 200 millions de dollars. Cette société, qui sera détenue à 51% par Sonelgaz et 49% par GE, produira à partir de 2017 entre six à dix turbines à gaz par an, soit une capacité de 2.000 MW, dont une partie pourrait être exportée. Par ailleurs, GE a remporté un marché de fournitures de turbines à gaz et à vapeur d’une capacité de 8.400 MW pour un montant de 2,2 milliards de dollars, destiné à équiper les six centrales électriques que l’Algérie prévoit de construire d’ici à 2017. Concernant les exportations algériennes vers les USA en 2012 (source douanes algériennes), elles sont été estimées à 10,778 milliards de dollars mais avec une chute vertigineuse pour les neuf premiers mois de 2013 avec seulement 3,49 milliards de dollars. Quant aux importations de l’Algérie des USA, elles ont été en 2012 de 1,651 milliard de dollars et 1,618 pour les neuf premiers mois de 2013.La majeure partie des échanges de l’Algérie est tournée vers l’Europe.
2.- Les Etats-Unis, futur concurrent énergétique de l’Algérie ?
La sécurité énergétique constitue le poumon de la stratégie tant économique que militaire des USA. Le surcoût des cours élevés du pétrole est très lourd. Selon les données de l’Agence Internationale de l’énergie (AIE), le monde importait chaque année pour 500 milliards de dollars en pétrole en moyenne entre 1990 et 2010. En 2012, cette valeur est multipliée par quatre pour atteindre 2 000 milliards de dollars par an, soit 5,5 milliards de dollars par jour. Les importations d’hydrocarbures de l’Europe passent de 350 milliards en 2009 à presque 600 milliards de dollars en 2011. Portée par sa croissance, la Chine fait plus que doubler ses dépenses en pétrole pour passer de 90 milliards d’euros en 2009 à 220 milliards en 2011. Globalement, dans les grandes zones importatrices (hors Inde), l’importation de produits pétrolier est passée de 1,5 à 2% du PIB entre 1990 et 2010 à environ 3% en 2012. Les USA importaient entre 2011/2012 près de 20% de leurs besoins en énergie principalement du Mexique du Venezuela, des pays du Golfe, de certains pays d’Afrique dont le Nigeria et l’Algérie. Quel sera donc l’impact du rebond récent de la production américaine de pétrole et de gaz, menée par des essors technologiques qui permettent d’extraire » ces ressources non-conventionnelles, comme la fracturation hydraulique a permis en cinq ans, aux États-Unis de réduire leurs importations de pétrole et de gaz respectivement de 15 et 32% ? Le développement des ressources non conventionnelles aux Etats-Unis, gaz et huile de schiste, ont un impact majeur sur les prix. Le gaz coûte aujourd’hui 2,5$/MBtu aux USA, et les Etats-Unis paye leur gaz six fois moins cher que la vieille Europe où le produit fossile est indexé majoritairement sur les cours du pétrole, cette indexation étant de plus en plus remise en cause, nécessitant une adaptation pour Sonatrach. Les USA et l’Europe misent également sur les économies d’énergie, l’objectif étant un mix énergétique en développant parallèlement les énergies renouvelables, notamment en Europe et pour les USA, la majorité des démocrates y sont favorables contrairement aux républicains.. Et dans le même temps, les Américains consomment de moins en moins de pétrole (9% de moins qu’en 2007), ce qui est lié à la fois à la crise économique des dernières années, à la forte hausse des prix des carburants et au fait que les Américains commencent à échanger leurs 4X4 contre des voitures plus petites et beaucoup plus économes. Selon le ministère américain de l’Energie, en février 2013, la production aurait dépassé les 7 millions de barils par jour, soit une hausse spectaculaire de 16% en un an. Les Etats-Unis connaissent la plus grosse augmentation de production de pétrole de tous les pays hors OPEP. En Alaska, le potentiel de forages en mer est estimé par l’Institut Américain d’Etudes Géologiques, à 40 milliards de barils de pétrole conventionnel. L’augmentation de la production est telle que l’Agence Internationale de l’Energie (IEA), dans son dernier rapport annuel («World Energy Outlook»), paru le 12 novembre 2012 prévoit que les Etats-Unis deviendront entre 2017 et 2020 le premier producteur mondial de pétrole devant l’Arabie Saoudite. Les experts prédisent également qu’ils devraient être exportateurs net entre 2025/2030 au moment où arrivera, à moins de découvertes substantielles la tendance à l’épuisement des réserves algériennes tant du pétrole que du gaz conventionnel. Au vu de ces pronostics, le pays devrait donc accéder au Graal de l’indépendance énergétique d’ici 2020. L’autosuffisance énergétique annoncée de la première puissance mondiale aura sans nul doute des conséquences géopolitiques. En premier lieu, la politique américaine au Proche et Moyen-Orient subira probablement quelques infléchissements stratégiques dans la mesure où le facteur «dépendance énergétique» ou plus précisément, «sécurisation des accès et de l’approvisionnement en énergie» deviendra moins sensible. Cela entraînera une redéfinition des objectifs nationaux américains, où les Etats-Unis, qui étaient les plus grands importateurs de pétrole au monde, n’avaient pas hésité à déclencher ou favoriser des guerres ou conflits en Afrique, au Proche et Moyen-Orient ou en Amérique Latine, dans le but de sécuriser leur approvisionnement en énergie. Désormais bientôt autosuffisants, leur interventionnisme dans ces régions se fera en fonction de nouvelles considérations et notamment de celle liée à l’influence grandissante de la Chine où l’AIE prévoit que la Chine devrait être le premier importateur mondial de pétrole dès 2014 ou 2015. Cette nouvelle donne ne peut qu’entrainer de profonds bouleversements géostratégiques tant politiques qu’économiques notamment sur l’économie algérienne. Le développement des gaz non conventionnels en Amérique du Nord a fermé ce marché aux exportations algériennes à partir de 2009 et pesé sur les cours (marchés spot), ce qui pose la question de la rentabilité des exportations de GNL. Le «prix rentable» du MBTU, l’unité de mesure de l’industrie gazière, serait pour la Sonatrach de 9 à 10 dollars pour le gazoduc et de 13 à 14 pour le GNL. En perdant le marché américain, les recettes de Sonatrach provenant des USA fluctuant entre 15/20 milliards de dollars par an selon les cours mondiaux, où l’Algérie comblera t-elle différentiel de ses exportations d’hydrocarbures ? Dans un rapport publié par The Wall Street Journal le 06 juillet 2013, citant l’Administration US de l’énergie et de l’information où pour un dollar perdu, l’Algérie perd l’équivalent de 800 millions de dollars par an, les exportations du Nigeria et de l’Algérie à destination des Etats-Unis ont fortement diminué de moitié entre avril 2011 et avril 2012. Les exportations du Nigeria vers les USA ont chuté de 16% pour s’établir à seulement 12,2 millions de barils, alors que les exportations de l’Algérie ont connu un recul de 38%, s’établissant à 4,8 millions de barils, ce qui explique la chute des exportations algériennes vers les USA mises en relief précédemment. Et le marché naturel étant l’Europe avec la concurrence notamment du géant russe Gazprom, (expliquant le gel du gazoduc via Italie Galsi) de l’entrée de nouveaux concurrents dès 2017, qu’en sera-t-il si la crise mondiale persiste, car ce n’est pas seulement une question d’offre mais de demande et surtout de cout pour être compétitif pouvant découvrir des milliers de gisements non rentables par rapport aux valeurs internationales. L’Algérie qui a des unités de GNL de moyennes dimensions avec des coûts relativement élevés par rapport à ses concurrents, nécessitant d’importants coûts de transport pourra-t-elle concurrencer pour approvisionner l’Asie, la Russie, l’Iran et le Qatar ?
3.- Relations politiques et sécuritaires entre les Etats-Unis et l’Algérie ?
Le nouveau directeur du FBI, James Comey a affirmé le 14 novembre 2013 devant le Congrès qu’Al Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi) constituait une ’’forte menace’’ aux intérêts américains et occidentaux dans la région de l’Afrique du nord et du Sahel, ajoutant que ce groupe a démontré sa capacité à cibler ces intérêts à travers les enlèvements contre rançons essentiellement. Pour le directeur du Centre américain du contre-terrorisme, Matthew Olsen, dont les services dépendent du Directeur du renseignement national des Etats-Unis (DNI), devant la commission sénatoriale que si l’intervention militaire conduite par la France au Mali a permis de chasser Aqmi et ses alliés des villes qu’ils contrôlaient auparavant, ces groupes arrivent, cependant, à trouver refuge dans les zones les moins peuplées du nord du Mali et continuent à commettre des attaques de représailles. Un rapport du Forum économique mondial ( WEF) en date également du 14 novembre 2013 révèle que fortement secoués depuis deux ans par des crises politiques à répétition, les pays d’Afrique du Nord, dont fait partie l’Algérie, est une source d’inquiétude pour le monde. En effet, la guerre en Syrie et la polarisation des sociétés en Afrique du Nord figurent en tête des préoccupations des décideurs pour 2014. Les relations entre l’Algérie et les Etats-Unis rentrent dans le cadre de ces préoccupations. Elles ont pris une telle intensité que les dirigeants des deux pays ont décidé de les structurer dans un cadre formalisé et de conférer un caractère régulier aux concertations bilatérales, pour une meilleure organisation et visibilité des rapports entre les deux pays. C’est dans cet objectif que le dialogue stratégique Algérie-USA a été établi et dont la première réunion s’était tenue en octobre 2012 à Washington, après la 5ème session du dialogue militaire conjoint algéro-américain. Les Etats-Unis considèrent ce Dialogue stratégique comme « le fondement » sur lequel les Etats-Unis et l’Algérie ambitionnent le renforcement de leurs relations futures dans les domaines politique, économique, culturel, scientifique et sécuritaire. Ce rapprochement entre l’Algérie et les Etats-Unis se traduit donc par la convergence de vues sur des dossiers d’intérêt régional et international. Les USA reconnaissent que l’Algérie est la puissance militaire et économique dominante dans la région du Maghreb. Elle représente un partenaire-clé des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme, selon un document composé de 6 chapitres du service de recherche de en sécurité du Congrès américain qui traitent essentiellement la question du gouvernement et de la politique en Algérie. Abordant les relations entre l’Algérie et les Etats-Unis, le rapport note d’abord que les liens entre les deux pays «datent depuis le traité de paix et d’amitié en 177 et que l’Algérie est un pays de plus en plus important dans les efforts américains pour lutter contre le terrorisme international et représente un partenaire-clé dans la lutte contre les groupes liés à Al Qaîda… Mais n’oublions jamais que les USA ont une stratégie planétaire qui ne se différencie pas fondamentalement de cette de l’Europe (existant certaines divergences tactiques) avec pour fondement ses intérêts économiques et insistent sur l’intégration du Maghreb, sous segment du continent Afrique dont le contrôle économique à travers les rivalités notamment de la Chine constituera un enjeu majeur du XXIe siècle. L’Algérie doit jouer à l’avenir un rôle plus actif pas seulement diplomatique mais surtout économique, facteur déterminant, en investissant en Afrique où elle a des avantages comparatifs. Les récents événements en Egypte, en Libye, au Mali, au Sahel, en Syrie (les importantes découvertes pétrole et surtout gaz en méditerranée expliquant les divergences USA-Russie) et la sécurité d’Israël à laquelle les USA accordent une importance stratégique préfigurent d’importantes recompositions géostratégiques au niveau de la région avec certainement un apaisement des tensions, avec l’Iran grand producteur pétrolier et recelant plus de 15% des réserves mondiales de gaz naturel. Les USA entendent jouer un rôle majeur dans cette reconfiguration et l’Algérie, sous réserve d’une meilleure gouvernance et plus de réalisme dans les nouvelles relations internationales, est un acteur incontournable pour la stabilisation de la région. Bon nombre de projets en commun, permettant le transfert du savoir faire technologique et managérial, en dehors des hydrocarbures brut et semi brut peuvent être initiés entre l’Algérie et les USA comme facteur de stabilisation.
Mais soyons réaliste en ce XXIe siècle, la puissance d’une Nation n’a jamais été fonction d’une rente éphémère mais se mesure au poids de son économie productive fonction d’une planification stratégique tenant compte de la mondialisation, processus non encore achevé et d’une nouvelle donne la protection de l’environnement. Cela pose la problématique de la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures elle même tributaire d’une bonne gouvernance et de la transition énergétique prenant en compte la forte consommation intérieure, (risquant d’atteindre horizon 2020/2025, le même niveau que les exportations actuelles) reposant sur l’entreprise et son fondement le savoir.
Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités, expert International en management stratégique