Quel copartenariat stratégique entre l’Algérie et la France ?

Quel copartenariat stratégique entre l’Algérie et la France ?

Le premier ministre français doit effectuer une visite en Algérie les 16/17 décembre 2013 dans le cadre du prolongement de la visite du président Hollande les 19/20 décembre 2012. Il sera accompagné de plusieurs ministres et de plus d’une quarantaine de chefs de grandes entreprises.

Il sera certainement question au cours des discussions des grandes questions stratégiques donc du devenir de l’Afrique du Nord et du Sahel, mais surtout de concrétiser la mise en œuvre d’affaires en vue de renforcer la coopération économique et culturelle. Force est de constater que la structure des échanges est figée, loin des attentes et des potentialités entre les deux pays. Aussi, face à la crise mondiale qui affecte tous les pays sans exception, qui sera de longue durée, avec d’importants bouleversements géostratégiques nécessitant une nouvelle gouvernance mondiale. Cette présente contribution pose la problématique du renforcement de la coopération entre l’Algérie et la France dans le cadre de l’axe Europe Maghreb au sein d’une économie mondialisée en axant l’effort sur l’investissement productif grâce à des co-partenariats et éventuellement des co-localisations et pas seulement sur la consommation.

1-Face à la mondialisation, quelles relations entre la France et l’Algérie, via Europe /Maghreb ?

Cette dynamisation ne sera profitable que si l’Algérie et la France ont une approche réaliste du co-partenariat loin du mercantilisme et d’esprit de domination et que si ils ont une vision commune de leur devenir. Elle ne sera profitable à terme que dans le cadre de l’intégration maghrébine. Car, le Maghreb avec une population d’environ 90 millions d’habitants est actuellement marginalisé au sein de l’économie mondiale où son produit intérieur brut, d’ailleurs gonflé artificiellement par les hydrocarbures en Algérie et Libye et les phosphates au Maroc, ne dépasse pas en 2012, les 420 milliards de dollars contre environ 73.000 pour l’ensemble de l’économie mondiale. Le développement du Maghreb où la sphère informelle dépasse les 50% de la superficie économique avec la dominance du tertiaire et des micros unités au niveau de la sphère réelle, peu ouvert à la concurrence internationale, devient impérieux impliquant de profondes réformes structurelles tant politiques, économiques que sociales si le Maghreb veut éviter à terme, dans une région turbulente, des remous sociaux et politiques. Pourtant le Maghreb, région pivot peut être un sous segment de la dynamisation du continent Afrique, objet de toutes les convoitises qui expliquent les rivalités pour son contrôle économique, continent d’avenir à très fortes potentialités, qui vers horizon 2030 tirera la croissance de l’économie mondiale, sous réserve de sous intégration régionales et d’une gouvernance rénovée, dont la lutte contre la corruption et l’exode de cerveaux. Dès lors, s’impose la nécessité d’une véritable révolution culturelle pour inculquer l’esprit d’entreprise et libérer l’ensemble des énergies créatrices. La coordination des politiques économiques, monétaires, commerciales, fiscales et douanières est un objectif vital pour un développement durable, la misère enfantant l’insécurité régionale, afin de stabiliser le Sahel. En effet, face aux bouleversements mondiaux, l’accélération des réformes économiques conciliant efficacité économique et cohésion sociale par une plus grande moralisation de la gestion de la Cité (qualifié de bonne gouvernance) sont les pistes à explorer pour éviter ce dualisme Nord-Sud préjudiciable à l’avenir de l’humanité. La symbiose des apports de l’Orient et de l’Occident, le dialogue des cultures et la tolérance sont sources d’enrichissement mutuel. Les derniers évènements devraient encore mieux nous faire réfléchir évitant cette confrontation des religions car autant l’Islam, le Christianisme ou le Judaïsme ont contribué fortement à l’épanouissement des civilisations, à cette tolérance en condamnant toute forme d’extrémisme. La mondialisation est un bienfait pour l’humanité à condition d’intégrer les rapports sociaux et ne pas la circonscrire uniquement aux rapports marchands en synchronisant la sphère réelle et la sphère monétaire, la dynamique économique et la dynamique sociale. Au moment de la consolidation des grands ensembles, enjeux de la mondialisation, je suis persuadé du nécessaire rapprochement entre l’ensemble des pays du Maghreb d’une intensification de la coopération avec la France et l’Algérie via l’Europe à la mesure du poids de l’histoire qui nous relie si l’on veut dépasser les résultats mitigés notamment de l’Accord de Barcelone, instaurant la zone de libre échange entre l’Europe et le Maghreb, trois pays ayant signés séparément cet Accord , le Maroc, la Tunisie et l’Algérie. Dans ce cadre l’émigration maghrébine, ciment des liens culturels peut être la pierre angulaire de la consolidation de cette coopération. Selon l’Aida, l’Association internationale de la diaspora algérienne à l’étranger, créée à Londres en 2012 les Algériens ou personnes d’origine algérienne vivant à l’étranger en 2012 sont au nombre de 7 millions dont 5 millions en France. Par contre Selon Gilbert Meynier spécialiste de l’histoire de l’Algérie (« après l’indépendance: les relations tumultueuses entre l’Algérie et la France in Histoire de l’Algérie coloniale », ouvrage collectif, La découverte, 2012), le nombre de résidents d’origine algérienne en France en 2012 peut-être estimé à 4 millions, dont 2 millions de bi-nationaux.. Quel que soit le nombre, la diaspora est un élément essentiel du rapprochement entre l’Algérie et la France, du fait qu’elle recèle d’importantes potentialités , intellectuelles, économiques et financières. La promotion des relations entre le Maghreb et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir le Gouvernement, les missions diplomatiques, les universités , les entrepreneurs et la société civile.

Comme le note justement le professeur Jean Louis Guigou, il faut faire comprendre que, dans l’intérêt tant des Français que des Algériens et plus globalement les Maghrébins et des Européens et de toutes les populations sud-méditerranéennes, les frontières du marché commun de demain, les frontières de Schengen de demain, les frontières de la protection sociale de demain, les frontières des exigences environnementales de demain, doivent être au sud du Maroc, au sud de la Tunisie et de l’Algérie, et à l’Est du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et de la Turquie passant par une paix durable au Moyen Orient les populations juives et arabes ayant une histoire millénaire de cohabitation pacifique. Comme le préconise l’auteur, il serait donc souhaitable qu’une réflexion collective s’articule autour de quatre axes thématiques. Premièrement, la gouvernance territoriale : il s’agira en ce sens de repérer les acteurs clés (privés et/ou publics, individuels et/ou organisationnels), d’analyser les contextes institutionnels et de proposer une grille d’analyse des modes de coordination de ces acteurs. Deuxièmement, l’attractivité des territoires : il s’agira de mettre en perspective les politiques publiques mises en œuvre (réglementations et incitations) et les stratégies des acteurs de la globalisation pour mieux comprendre les mouvements de délocalisation et la nature des relations de sous-traitance. Troisièmement, de nouvelles dynamiques productives sur la base d’une approche sectorielle, les logiques d’agglomération et d’organisation productive pour mettre en évidence des processus de désindustrialisation, de restructuration et/ou d’émergence industrielle. Quatrièmement, la spatialisation des activités de production en d’analysant l’organisation spatiale (urbaine) des dynamiques productives afin de mettre en relief les modes d’aménagement, d’organisation et de gestion des territoires, et expliquer les logiques de localisation et d’agglomération intra-urbaine des entreprises.

2.- Bilan de la coopération économique entre l’Algérie et la France et perspectives

Dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments, les entrepreneurs étant mus par la seule logique du profit. La mise en œuvre d’affaires saines, profitables à tous, n’est plus comme par le passé des relations personnalisées entre chefs d’Etat, ayant d’ailleurs favorisé la corruption, mais doit être la résultante de réseaux décentralisés favorisés notamment par l’implication de la société civile, la cohérence et visibilité dans la démarche économique et la stabilité juridique. Lors de la visite du premier ministre français, il est prévu au moins 12 protocoles d’accord dans les domaines économiques les plus divers afin de dépasser la léthargie actuelle où la part des échanges est dérisoire surtout du coté de la France dont le PIB est honze fois supérieur à celui de l’Algérie . En effet, en 2012, selon les statistiques douanières françaises, les exportations française (FAB) ont été de 441,657 milliards de dollars de biens (y compris le matériel militaire -non compris les services) et les importations de 508,815 milliards de dollars ( CAF) pour un PIB de 2612 milliards de dollars à prix courants ( source banque mondiale) et une population de 63 millions d’habitants. Pour l’Algérie avec un PIB de 207 milliards de dollars en 2012 avec une population de 38 millions d’habitants, les exportations ont été de 71,666 milliards de dollars ( 98% d’hydrocarbures) et les importations algériennes 47,490 milliards de dollars (non compris les services d’environ 12 milliards de dollars) , et comme le montre récemment l’explosion des importations de biens en Algérie durant le premier semestre 2013 allant vers 60 milliards d’importation de biens fin 2013, auquel il faudra ajouter les services plus les transfert des capitaux légaux des compagnies installées en Algérie. Or, les exportations françaises à destination de l’Algérie en 2012, ont atteint seulement 6,4 milliards d’euros contre 5,8 milliards d’euros en 2011. Les importations françaises en provenance d’Algérie ont enregistré un baisse de -10,8 % à 3,9 milliards d’euros contre 4,4 milliards d’euros en 2011 avec la baisse de -16 % des importations de pétrole, celles de gaz demeurant stables. Hors hydrocarbures, les importations progressent de 39 % à 588 millions d’euros et sont issues pour l’essentiel (75%) de la filière pétrole (produits raffinés). Du point de vue de la balance commerciale, nous avons un excédent commercial au profit de la France de 2,44 milliards d’euros, soit une hausse de 78% par rapport à 2011. En 2012, la France conserve son rang de 1er fournisseur de l’Algérie , mais avec une part de marché qui s’est encore réduite, à 12,8% (contre 15,12% en 2011), tout juste devant la Chine dont la part de marché (12,56%) a progressé de 2,7 points en 2012, grâce à une hausse de 25% des importations algériennes en provenance de ce pays. Mais pour les premiers mois de 2013, selon les chiffres fournis par le CNIS (Centre national de l’informatique et des statistiques), c’est désormais la Chine qui est le premier fournisseur de l’Algérie, tandis que la France rétrograde à la seconde place. Ainsi, l’Algérie a importé de la Chine pour 4,95 milliards de dollars de marchandises, ce qui représente 11,98% des importations globales du pays et de la France, a exporté en Algérie l’équivalent de 4,70 milliards de dollars de marchandises, soit 11,37% des importations de notre pays. Suivent l’Italie 3,95 milliards (9,57%), l’Espagne 3,93 milliards (9,52%) et l’Allemagne 2,13 milliards (5,17%). Mais ces données doivent être relativisées car l’Union européenne avec 52% du total des importations, demeure, le 1er fournisseur de l’Algérie. Du point de vue structurelle, selon les statistiques douanières, le premier poste sont les importations de véhicules automobiles d’une valeur de 1,1 milliard d’euros, soit une progression de +61,5 %, cette progression résultant de la très forte hausse de la demande : les importations algériennes de véhicules sont passées de 390.000 unités en 2011 à 568.600 unités, pour une hausse en valeur de 45,25% (douanes algériennes). Le second poste alors qu’il était le premier en 2011, est les importations de céréales de France par l’Algérie. Durant la période 2012/2013, l’Algérie a importé 4,87 millions de tonnes de blé tendre durant la période 2012/2013 dont 3,78 millions de tonnes de France, soit plus de 77 % du blé tendre importé et selon le représentant du Syndicat français du commerce extérieur français , les engagements à l’exportation du blé tendre français à destinations de l’Algérie devront atteindre les 4,5 millions de tonnes à fin 2013. Concernant les importations françaises en provenance d’Algérie, elles sont constituées à 97 % (98 % en 2011) d’hydrocarbures, dont le pétrole brut (45 % ), le gaz naturel (40 %), les produits de raffinage (11 %) et les gaz industriels (1 %), atteignant en 2011 4,39 milliards d’euros contre 2,32 en 2010 où les importations de pétrole brut enregistrent une baisse de -24,9 % à 1,76 milliard d’euros en 2012 contre 2,34 en 2011 tandis que les importations de gaz demeurent stables à 1,57 Mds.

Concernant les investissements réalisés en Algérie, selon la ministre du commerce extérieur , le stock d’investissements français en Algérie s’élève à près de 2 milliards d’euros couvrant de nombreux secteurs, que ce soit dans l’agro-alimentaire, l’industrie ou les services, avec 35.000 emplois directs, près de 100. 000 indirects. Selon ambassadeur de Chine à Alger repris par l’agence de presse officielle algérienne (APS) en date du 14 avril 2013, plus de 30 000 Chinois travaillent en Algérie dans des secteurs comme le bâtiment et la construction des infrastructures routières et ferroviaires, le nombre d’entreprises chinoises implantées en Algérie, étant une cinquantaine activent, et que le montant des investissements chinois en Algérie avait atteint 1,5 milliard de dollars à fin 2012, cette somme représente le cumul d’une dizaine d’années. Pour la France, outre celui de Renault, plusieurs grands projets d’investissement d’entreprises françaises sont en cours de discussion, notamment de Lafarge, Suez et Total, sans compter de nombreux projets d’investissement conduits par des entreprises de taille intermédiaire ou des PME. Concrètement, la France entend notamment s’inscrire dans le cadre d’un partenariat au niveau de différents secteurs Si je m’en tiens à l’énergie, enjeu majeur d’ailleurs de toute la coopération euro-méditerranéenne. Suez et l’Ademe sont intéressées par des co-partenariats dans le cadre de la protection de l’environnement, de l’eau et l’efficacité énergétique où l’Algérie a décidé de construire deux millions de logements et Total dans l’investissement avec Sonatrach tant à l’aval qu’à l’amont pour de nouvelles découvertes, un montant de 100 milliards de dollars ayant été dégagé selon la déclaration du PDG de Sonatrach en date du 25 octobre 2013. Certains groupes proposent un co-partenariat dans le développement des énergies renouvelables. Le programme algérien consiste à installer une puissance d’origine renouvelable de près de 22 000 MW entre 2011 et 2030, dont 12 000 MW seront dédiés à couvrir la demande nationale de l’électricité et 10 000 MW à l’exportation pour un montant d’investissement programmé de 100 milliards de dollars. Ce qui intéresse également les français leader dans ce domaine, c’est que l’Algérie compte construire sa première centrale nucléaire en 2025 pour faire face à une demande d’électricité galopante, les réserves prouvées de l’Algérie en uranium avoisinant les 29.000 tonnes, de quoi faire fonctionner seulement deux centrales nucléaires d’une capacité de 1.000 Mégawatts chacune pour une durée de 60 ans. Enfin l’option du gaz de schiste introduite dans la nouvelle loi des hydrocarbures de janvier 2013 intéresse le groupe Suez , où selon un rapport américain paru en 2013 , l’Algérie serait le troisième dans le monde, les réserves algériennes de gaz de schiste récupérables ayant été réévaluées par le département américain de l’Énergie qui les a situé à quelques 19 800 milliards de m3 en mai 2013 et pour le pétrole de schiste : 200 milliards de barils, dont 10% récupérables, soit 20 milliards de barils : près de deux fois les réserves actuelles de pétrole estimées à 12 milliards de barils, toujours selon ce rapport.

3.-En résumé, pour l’Algérie, acteur incontournable au niveau de la région, possédant plus de 190 milliards de dollars de réserves de change , des potentialités humaines, plus de 1,2 million d’étudiants, devant à l’avenir miser sur la qualité et non la quantité par une symbiose éducation/entreprises, l’objectif est de réaliser la transition d’une économie fondée sur la rente des hydrocarbures à une économie hors rente dans le cadre des nouvelles mutations géostratégiques dont son espace naturel est l’espace euro-méditerranéen et euro-africain, transition elle-même fonction d’une transition énergétique, et ce sous réserve d’une plus grande moralité de ceux qui dirigent la Cité, la consolidation d’un Etat de Droit , d’une bonne gouvernance et de l’adaptation des règles juridiques et économiques aux normes internationales, la règle des 49/51% introduite par l’Algérie devant être assouplie, devant miser sur une balance managériale, technologique et financière positive. Il y a prise de conscience que l’Algérie ne peut continuer à fonctionner à un cours 110/120 dollars le baril. Et ce Paradoxe pour un pays doté en hydrocarbures la facture d’importation de carburants a dépassé les 2 milliards de dollars en 2012. En cas d’un cours inférieur à 80/90 dollars à prix constant, la situation serait intenable avec d’inévitables remous sociaux et politiques comme l’a montré l’expérience des impacts de la chute des cours des hydrocarbures en 1986 avec des ondes de chocs entre 1991/2000 ( 200.000 morts) et la montée du terrorisme, l’Etat providence ne pouvant plus assurer son rôle . La bonne gouvernance et la valorisation du savoir sont les fondements du développement du XXIème siècle d’où l’importance de la coopération dans la ressource humaine pivot de la coopération entre l’Algérie et la France. Des co-partenariats et des co-localisations avec des partenaires français et étrangers peuvent être le champ de mise en œuvre de toutes les idées innovantes. Pour l’instant seuls des co-partenariats sont possibles du fait que la loi sur la monnaie et le crédit interdit à tout opérateur algérien un transfert de devises pour investir à l’étranger, devant pour l’Algérie réfléchir à la création d’un fonds souverains à l’instar de la majorité des pays émergents et du Moyen Orient, l’Algérie se contentant de placer plus de 83% de ses réserves de change en bons de trésor américains ou en obligations européennes à un t aux d’intérêt fixe fluctuant entre 2/3% qui couvre à peine le taux d’inflation mondial. Ces concepts pour être opérationnels doivent dépasser le domaine strictement économique, intégrer les anthropologies respectives donc des réalités sociales de nos deux pays afin d’éviter toute vision de domination unilatérale. C’est dans ce cadre que le partenariat stratégique, avec pour objectif à moyen terme, l’intégration du Maghreb à laquelle je suis profondément attachée depuis des décennies, contribuera à faire du bassin méditerranéen et de l’Afrique un lac de paix et de prospérité partagé. En bref l’histoire commune entre l’Algérie et la France, tout en n’oubliant pas le passé, mais devant préparer l’avenir nous impose d’entreprendre ensemble.

Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international- Docteur d’Etat en gestion 1974) en management stratégique