Quand le sport sert de prétexte à la violence

Quand le sport sert de prétexte à la violence

La tribune du stade d’El- Biar, à Alger, est à moi tié vide, en cette soirée du Ramadhan de fin août.

Les équipes de première division sont en pleine préparation, et les matches amicaux se succèdent à un rythme très rapide.

Le public tente de suivre tant bien que mal des matches organisés en nocturne, car jouer au football dans la journée semble au-dessus de la capacité des joueurs. La tribune du stade d’El-Biar est donc à moitié vide, mais des dizaines de supporters ont dédaigné les gradins pour s’installer sur la toiture.

Avec tous les risques que cela comporte. Installés sur le rebord de la toiture, les pieds se balançant plusieurs mètres au-dessus des autres spectateurs, ils mettent leur vie en danger. Mais cela ne les empêche pas de jeter des bouteilles vides et des mégots sur le bord du terrain.

Les forces de l’ordre sont présentes, mais laissent faire. Les instructions reçues par les policiers se limitent à empêcher les supporters d’entrer sur le terrain ou d’agresser entraîneurs et joueurs.

Des groupes de supporters, survoltés, tentent en effet de créer des incidents, apparemment pour forcer l’entraîneur à la démission. Ils ont recours à un vocabulaire d’une rare vulgarité, et tentent d’entraîner avec eux le reste du public, alors qu’il s’agit d’un simple match de préparation. Cette violence ne se limite pas aux spectateurs. Elle est présente partout, y compris dans la configuration des lieux. El-Biar est un quartier convivial, sans antécédent particulier dans le domaine de la violence.

Mais la tribune du stade a été transformée en une sorte de cage. Elle est séparée du stade par une grille de trois mètres, qui a été jugée insuffisante. On lui a donc ajouté une autre grille qui monte presque au toit de la tribune. Quand on s’installe dans la tribune, on a la nette impression d’être enfermé. Une violence inouïe se dégage de cette cage.

Les mots adressés aux entraîneurs et aux joueurs sont d’une extrême vulgarité. Au milieu de la foule, le « spectateur » est tenu de tenir son « rang ». Plus il est violent et vulgaire, plus il a de chances de devenir leader de son groupe.

Et c’est l’engrenage. Happé par la logique de groupe, pris dans une frénésie de violence, il est prisonnier d’une spirale verbale face à laquelle les autorités restent désarmées. Les forces de l’ordre n’interviennent que très rarement.

Un entraîneur, violemment pris à partie par des « spectateurs » au stade Zioui de Hussein-Dey, pendant une autre soirée du Ramadhan, s’est directement adressé à l’officier chargé d’assurer l’ordre pour lui demander de « calmer » un groupe de supporters. L’officier a refusé. Pas question d’envoyer le peu d’hommes qu’il avait dans la tribune, car cela risquait d’être perçu comme une provocation et de dégénérer.

Assuré de l’impunité, le fameux groupe de supporters a poursuivi ses provocations envers entraîneur et joueurs jusqu’à ce que cela dégénère… Les débordements ne se limitent pas aux tribunes. Les incidents de fin de match sont devenus un véritable phénomène de société. Plusieurs assassinats de supporters ont été enregistrés, sans parler des morts recensés lors des manifestations de joie.

La victoire de l’équipe nationale face à l’Egypte, à Oum Dourman, a donné à une extraordinaire explosion de joie.

Bilan : une trentaine de morts, selon un décompte publié alors par la presse. Les forces de l’ordre ne sont guère intervenues pour mettre fin aux débordements, qualifiés de « manifestations de joie ».

Des tentatives de mettre fin à l’engrenage de la violence dans et autour des stades ont été menées. On a même assisté à une tentative de réserver des places aux femmes dans les stades. Mais les expériences menées ont toutes échoué. Parce qu’il s’agissait de simples velléités sans lendemain, et non des vraies démarches, appuyées sur une réflexion sérieuse, et prenant en charge l’ensemble des volets.

Ces échecs ont, paradoxalement, encouragé les tenants de la thèse du complot à affirmer que cette violence est sciemment encouragée par le pouvoir, car le stade servirait d’exutoire à un trop-plein de haine et de violence chez certaines franges de la société… Loin de cette théorie du complot, la réalité est autrement plus laide.

On le voit à chaque match de championnat. La fin de la rencontre donne lieu à une scène insupportable. Aussitôt que la fin du match est sifflée, on voit des policiers courir pour encercler l’arbitre. Comme s’il était sur le point d’être assassiné. Cette scène doit disparaître.

Le moyen est aussi simple que facile : il suffit d’annoncer et d’appliquer des sanctions sévères contre tout joueur, dirigeant ou équipe qui s’en prend à l’arbitre. Il suffit, en fait, de faire comme dans les autres pays qui ont réussi à résoudre ce problème.

Ce serait un premier pas pour transformer le stade en un lieu de convivialité, de joie et de bonne humeur, et refuser que le stade reste une arène où se déversent haine, sang et violence.