Beaucoup a été écrit sur le pétrole algérien – ce terme englobe implicitement aussi le gaz dont le rôle est beaucoup plus important que le brut du point de vue de la valeur de son exportation et de celui de son usage interne pour la production de l’électricité surtout – par les plus hauts responsables dans ce secteur en Algérie, par les journalistes spécialisés et par les experts en la matière.
Les deux ouvrages les plus récents et les plus ramassés sont, le premier, de Belaïd Abdeslam (Le pétrole et le gaz naturel en Algérie), premier P-DG de Sonatrach à sa création en 1963, puis ministre de l’Industrie et de l’Energie (de 1965 à 1977) – un bail quand même, durant lequel aucun traître process de fabrication de tournevis n’a été inculqué aux Algériens – enfin Premier ministre de juillet 92 après l’assassinat de Mohamed Boudiaf à août 93, une année durant laquelle il a commencé par considérer les journalistes comme les ennemis naturels de la nation alors que la forfaiture se met déjà à les anéantir, le premier Tahar Djaout deux mois auparavant, et enclenché une «économie de guerre», pour reprendre sa propre formulation, histoire de saper le moral des populations cueillies à froid par le début de la guerre civile. Le second livre est de Hocine Malti (Histoire secrète du pétrole algérien), ancien haut responsable de Sonatrach et ayant aussi participé à la mise en place de l’entreprise.
Ils ont été écrits presque en même temps, dans la même hargne à relents de dépit, de consternation, voire d’incrimination et d’accusations directes, comme tous les anciens qui ont été aux commandes quelque part et qui n’ont pas ouvert la bouche pendant ce temps-là pour alerter les pauvres diables que nous sommes, sauf nous appeler la commisération et au témoignage du «lavement de mains»
L’un comme l’autre, autant à séduire le lecteur, le semblable mais pas le frère laissé deviné – car à lire dans les implications ciblées, les ouvrages ne lui sont pas adressés – sur les anecdotes à la James Bond ou Jason Bourne, ils ne nous racontent pas les pendants de la guerre froide, les grands profils d’intérêts de l’heure exploités par les analystes de la CIA et du KGB dans la carte mondiale de la domination et le tracé des égides, d’où notre solide parapluie soviétique selon lequel contre cent kopecks la nationalisation de 1971 ne serait pas si acquise que cela. Belaïd Abdeslam ne nous explique pas les détails des discussions avec Georges Pompidou, alors directeur de cabinet de Charles de Gaulle dans les prémisses des accords d’Evian à Neuchâtel et à Lucerne, en Suisse avec les chefs FLN, à propos des gisements sahariens.
Ni pendant le concret de ces «négociations», comment il a été jugé nécessaire son fameux «compromis révolutionnaire afin d’éviter de relancer les affrontements meurtriers et économiser le sang des Algériens», sinon pour précipiter le recouvrement de l’indépendance et activer la course aux occupations des postes suprêmes : l’Histoire, quand elle est racontée par les historiographes, ne faillit pratiquement pas lorsqu’elle nous édifie que les groupes qui possèdent la partie patente du pouvoir n’anticipent jamais de le partager avec d’autres groupes.
Ceux qui étaient aux accords d’Evian allaient aux discussions beaucoup plus pour défendre les intérêts des factions qui les avaient désignés que pour mettre en avant le soucis des populations algériennes dont la majorité ne prend connaissance de la valeur du pétrole dans une économie globale que durant les derniers jours qui ont précédé le discours de Houari Boumediène annonçant triomphalement la récupération par l’Algérie de ses gisements sahariens, il y a quarante-deux années.
Pire, l’ancien bras droit de Houari Boumediène dans l’ouvrage du socialisme spécifique – parce qu’il hésitait de dire «scientifique» vu le total analphabétisme régnant dans le pays – invité au travers d’une relation de lecture doctorant dans une discipline de l’économie politique sur le thème des industries d’entraînement d’un universitaire français à peine visible en France dans l’univers de la recherche, en l’occurrence Gaston Debernis, n’a pas trouvé pertinent de relater que Georges Pompidou était l’œuvre de la CIA, propulsé au côté de la figure mythique du nationalisme français, l’auteur de l’appel à la résistance depuis Londres, au lendemain de l’occupation de Paris par les troupes allemandes, mais ensuite, dès son retour en 1958 dans les affaires, comme ennemi déclaré de Washington.
Belaïd Abdeslam, ne dit pas que les Etats-Unis étaient non seulement favorables à l’indépendance territoriale et politique de l’Algérie mais aussi ils voulaient que le nouveau pays libéré du joug colonial récupère aussi les gisements pétroliers, histoire de saper l’intérêt énergétique français pendant que Paris sous le général de Gaulle était en train d’échafauder une Europe économique forte, n’acceptant pas la Grande-Bretagne en son sein, allié naturel des Etats-Unis, menaçant ainsi les grands desseins d’hégémonie yankee dans toutes les parties du monde. Dès lors, Washington ne va plus lâcher d’un pouce les tribulations polico-stratégiques de la France, grand pilier de ce regroupement de pays constituant la première puissance économique et culturelle de la planète, jusqu’à aujourd’hui même en tentant de mettre en péril les plus importants approvisionnements hexagonaux en uranium dans les gisements de ses anciennes colonies en Afrique, parce que la France est la nation la plus forte dans le domaine du génie nucléaire, secteur qui, quoi que l’on dise, a énormément à faire dans les nécessités énergétiques futures.
Attention, sur cette parenthèse, on a beau émaner de quelque obédience qu’on veuille quand on est à l’Elysée, on peut être socialiste, témoin de Jéhovah, scientologue ou soucoupiste, on obéit, la plupart du temps, à l’exigence des rapports de la DGSE et de la DST.
Quelles que puissent être les connaissances des affaires d’un candidat présidentiel bien élu, son génie propre, ses relations dans les fractions politiques et dans les capitales solide de la planète, il est rarement apte à valoir l’«érudition» des services de renseignement de son pays, agissant dans les coulisses, pour les intérêts suprêmes des lobbies de l’argent.
Le monde entier a observé de quelle manière de célérité et de morale Nicolas Sarkozy a troqué son costume de réception lorsque il laisse installer la khaïma du leader libyen dans les jardins de l’Elysée avant de chausser les pataugas et faire à Mouammar Kadhafi une course poursuite dans son propre pays et de le faire carrément lyncher par les membres illuminés d’une population qui ne se doutent pas, alors, que dans le même espace-temps leur patrimoine hydrocarbure est en train de se placer sous tutelle euro-américaine. Enfin.
Mais la parole n’est jamais donnée aux populations algériennes de dire leur mot sur le pétrole et le gaz qui sont la propriété de tous les Algériens, vivants ou à naître.
Depuis les nationalisations, même après la Constitution de février 89 instaurant le pluralisme politique, la question énergétique en Algérie est l’affaire de pas plus de quatre ressortissants algériens, le chef de l’Etat, le ministre de l’Energie, le patron de Sonatrach et, accessoirement, le ministre des Affaires étrangères.
Tout se bricole dans une espèce de halo à guichets fermés comme si les produits en l’occurrence relevaient du domaine de la contrebande entre les mains de quelques princes qui se retirent du grouillement de la plèbe pour faire des calculs selon ce qui se trame dans leur tête en balançant de temps à autre des chiffres, ici et là, que les journalistes reprennent et traitent, généralement, selon les relais médiatiques étrangers mêlés aux ébruitements internes les plus disparates et suspicieux, de sorte que l’opinion nationale, dans sa totalité, ne donne aucun crédit aux discours qui émanent des institutions de l’Etat, car Sonatrach ne régente pas la fève dont l’Algérie est le premier producteur du monde – quoique nous importons quand même sa version en sec – mais elle gère les moyens d’existence de la nation, l’air que nous respirons.
Sans cette société, les dizaines de milliers d’entreprises et institutions qui existent dans l’ensemble du territoire national – y compris les organismes qui nous représentent dans le monde – et qui emploient quelque cinq millions de salariés déclarés, seraient vendues au kilo ferraille. Cette habitude de considérer les citoyens inaptes à se mêler des affaires de sa principale et primordiale richesse a conduit en 2005 un commis de l’Etat nommé par le président de la République, à orchestrer, avec les libertés les plus déconcertantes, le bradage de Sonatrach.
Et le bon Dieu aura été bien clément pour la continuité de l’espèce algérienne que le peuple alors ne soit pas sorti pour de bon dans la rue. Mais célébrer pour célébrer, au fait, qu’est-ce que nous fêtons en ce jour de la double commémoration de la nationalisation des hydrocarbures et de la naissance de l’Union générale des travailleurs ? Qu’est-ce que nous pouvons dire à cette population juvénile d’une vingtaine de millions de pauvres âmes qui n’a pas trente ans dont la majorité, garçon et fille, fourbit ce qu’elle peut avoir comme arme afin de partir loin de ce pays qui ne produit absolument rien de valablement décent pour retenir sa jeunesse. Une jeunesse qui bouillit dans la déprime instituée en tentant de retrouver ses marques de respiration artificielle dans Lionel Messi, Rihanna et Justin Bieber, dans le parking sauvage ou le cynisme de l’Ansej ? Rien du tout.
Un demi-siècle d’indépendance de sérail, plus de quarante ans de pétrole de foutaise qui nous renvoie sur le ridicule – à pleurer ici et faire rire ailleurs – qui nous empêche de fabriquer la semence de nos légumes, de produire le lait pour nos enfants, avant de leur bâtir des écoles que leurs parents désirent, en attendant de les envoyer dans les universités où ils apprendront à construire les objets de leur domesticité. En tout cas, Chakib Khalil, Tiguentourine, la France au Mali, la loi sur les hydrocarbures, le futur président, n’intéressent pas plus les populations algériennes aujourd’hui que leur souci de voir de quelle manière dorénavant elles seraient associées dans les affaires de leur pétrole et de leur gaz.
Comment des pages nouvelles, vierges, vont devoir se remplir dans ce secteur vital de l’Algérie pour les cinquante ans à venir. Sonatrach appartient aux dirigeants autant qu’elle est la propriété d’un jeune laveur de carreau à El-Mouradia ou d’un vieux buraliste à Ben Aknoun. Comment elle doit, surtout, donner la chance à tous les citoyens de quelque sexe, âge ou statut, qui soit, de participer à la construction de l’Algérie.