À entendre nos dirigeants s’indigner contre la publication, dans le quotidien français Le Monde, d’une photo du président Abdelaziz Bouteflika le liant [à tort ?] au scandale des Panama Papers, à les écouter se dire « choqués » par un tel manquement aux règles de la déontologie, on se prend d’une tendre pensée pour Coluche : « C’est pas compliqué, en politique, il suffit d’avoir une bonne conscience, et pour ça il faut avoir une mauvaise mémoire ! »
Il n’y a pas si longtemps, en effet, les mêmes dirigeants algériens poussaient le même quotidien Le Monde à duper le lecteur par la publication d’un faux. Mais un faux qui arrangeait, alors, leurs affaires.
Le 4 juillet 2012, le quotidien français publiait, sous forme de cahier central de 16 pages, un supplément intitulé « Stratégie internationale » consacré au 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Le document, dithyrambique, avait toutes les allures d’un document de propagande : l’Algérie y était présentée comme le modèle des nations de la planète, avec une interview-fleuve du président Bouteflika vantant les mérites de sa politique et annoncée à la « Une », et pas moins de sept interviews de ministres de son gouvernement qui, tous, faisaient l’éloge du chef de l’État.
Ce cahier spécial ressemblait au Monde, était vendu avec Le Monde, mais n’avait pas vraiment la saveur du Monde. Il s’agissait d’un encart publicitaire à la gloire de l’État algérien, conçu et rédigé par une agence de communication grassement payée pour l’occasion, publié dans un espace du journal acheté par l’État algérien, mais présenté d’une façon si trompeuse qu’on le prenait pour une initiative de la rédaction du Monde : même typographie, même maquette…
L’artifice était, de toute évidence, menée en coordination avec les dirigeants algériens. On en eut la preuve quand les médias publics algériens, APS, télévision, radios, El-Moudjahid reprirent, à l’unisson, « l’interview du chef de l’État accordée au journal Le Monde » .
Cette opération de propagande qui jouait sur la notoriété du journal, provoqua un gros scandale au sein de la rédaction, mise devant le fait accompli. La Société des rédacteurs, actionnaire du journal, dénonça l’initiative qui « entretient la confusion avec une information journalistique indépendante ». « Notre crédibilité a été très atteinte, c’est sans précédent sous cette forme dans l’histoire du journal », avait déploré la journaliste Isabelle Mandraud, chargée du Maghreb. Le Médiateur du Monde a dû reconnaître que le contrat de confiance établi avec les lecteurs « a bel et bien été transgressé ».
La direction du journal avait-elle donné son accord pour cette duperie ? Dans un billet aux lecteurs, le directeur du journal, a dû s’excuser auprès de ses lecteurs et de ses confrères pour «la confusion entre rédaction et publicité» et expliquer que ce cahier publicitaire « financé par l’État d’Algérie », avait « abusé la direction du journal, sa rédaction et nos lecteurs » et « porté un lourd préjudice à notre journal et à l’intégrité de sa rédaction ».
Le pouvoir algérien, par un procédé sulfureux, venait de ternir, pour longtemps, la crédibilité d’un quotidien qui se veut irréprochable.
Quatre ans plus tard, le même pouvoir, faisant les frais d’une maladresse journalistique de ce même quotidien, se découvre des vertus de défenseur de l’éthique. C’est à cette élasticité qu’on reconnaît le génie d’un régime.