«Si l’on venait à mourir, défendez nos mémoires.» Ainsi parlait Didouche Mourad…
Tout cela se passe à un moment où la nation attend encore, et espère toujours, que l’ancienne puissance coloniale aille au-delà de la simple reconnaissance de ses crimes durant 132 ans.
Est-ce ainsi que les hommes dérivent? Il ne se passe pratiquement plus un seul jour sans que des figures notoires de la lutte de Libération nationale ne viennent jeter leur pavé dans une mare devenue, ces temps derniers, nauséabonde.
Révélations plus ou moins pilotées, vérités d’hier sorties au grand jour comme une épée de Damoclès pour faire taire ou, à tout le moins, faire honte à des compagnons de jadis, devenus par la force des jeux et des enjeux les adversaires de naguère.
Réellement, les propos qu’on nous livre, depuis ces derniers mois, au nom d’une prétendue «écriture de l’histoire», sont aux antipodes de l’attente effective du citoyen. Tous les férus de la guerre de Libération sont revenus depuis fort longtemps de leurs illusions quant à certains personnages, par eux-mêmes déclassés. Or, c’est le propre de toute Révolution d’être portée par de bons et de mauvais couteaux.

Mais le niveau et la nature des débats actuels atteint une dangerosité inégalée depuis l’indépendance du pays, au point que certains vocables comme les mots Mounadhel, Moudjahid, Chahid ou Révolution, sont gravement altérés et risquent de revêtir un sens innommable dans l’inconscient collectif de tout un peuple, dont la mémoire est soumise à rude épreuve.
Tout cela se passe à un moment où la nation attend encore, et espère toujours, que l’ancienne puissance coloniale aille au-delà de la simple reconnaissance de ses crimes durant 132 ans. Est-ce un hasard si, plutôt que de se mobiliser comme un seul moudjahid, convaincu de porter le message de tous les martyrs et de toutes les victimes d’un siècle d’oppression et de répressions barbares, les moudjahidine en viennent à s’étriper? Les héros sont-ils fatigués de la charge d’une multitude d’épreuves et de vérités qui ne sont sûrement pas toutes bonnes à dire? Qu’est-ce qui les motive dans ces sorties abracadabrantesques où ils accusent, pêle-mêle, les compagnons d’hier, sans prendre garde aux conséquences néfastes de leurs dires sur les jeunes esprits en quête d’une image de la Révolution dont ils peuvent être fiers?
Quand ils découvrent, dans certains médias au choix hasardeux, des thèmes qui sentent la fange, peux-t-on ensuite leur reprocher de se désintéresser totalement de l’histoire telle qu’elle leur est servie? Heureusement, chaque peuple a sa propre mémoire et celle du peuple algérien ne saurait être, pas plus que celle des autres, abusée. Sans historiens ni faux témoins, ils sauront tôt ou tard démêler l’écheveau et rendre à Larbi ce qui appartient à Ben M’hidi.
Si l’heure des règlements de comptes semble avoir sonné dans certaines arrière-boutiques des commis en témoignages plus ou moins vérifiables, il faut prendre garde à ne pas aller trop loin dans le déni des faits et des hommes qui ont contribué, chacun à sa manière et selon ses capacités, avec ses bons et ses mauvais côtés, au combat de tout un peuple. Tenter de les disqualifier ou pire de les insulter, c’est immanquablement prendre rendez-vous avec un jugement sans équivoque de ce peuple qui jettera le bébé avec l’eau du bain, ne gardant à l’esprit et en mémoire que ceux qui transcendent les dires et les calomnies de n’importe quel témoin, fut-il de Jéhovah.
Il y a encore un long combat à mener pour obtenir justice de l’ex-colonisateur qui tente d’effacer de notre mémoire les millions de victimes de la guerre, des charniers, des kilomètres de mines antipersonnel ou des essais nucléaires sur notre terre ensanglantée.
Les zélés procureurs de la Révolution qui montent au front aujourd’hui en sont-ils vraiment conscients?