L’EN a fait le bonheur de millions d’Algériens
Après l’euphorie de la réussite, comme après l’amertume l’échec, les gens sensés n’oublient jamais de faire leurs bilans et de tirer les conclusions qui s’imposent.
Après la victoire de l’Equipe nationale sur son homologue burkinabée, certains se sont penchés sur les facteurs de la réussite et ont procédé à des analyses.
Sur le stade Tchaker de Blida, dès le coup de sifflet final de l’arbitre, sur les plateaux de télévision algériens ou autres, dans la rue, autour d’un café à la maison ou assis à une terrasse, au téléphone et là où ils se trouvaient, nombreux étaient les Algériens qui avaient analysé le match, qui avaient décortiqué le jeu, souligné les points forts et mis en relief les points faibles de l’Equipe nationale. Mais, de toutes ces analyses, une seule attire l’attention, car elle n’a rien en commun avec les autres. Une seule mérite que l’on s’y attarde pour ce qu’elle a de particulier et d’inhabituel. Il s’agit de celle faite par un homme de religion algérien à la télévision algérienne, en direct, dans une émission dite religieuse et suivie par un grand nombre de téléspectateurs algériens.
Premier facteur de réussite: la visite d’un foyer pour personnes âgées. L’homme commence par annoncer, d’abord, son contentement à l’occasion de cette victoire, ce qui, à la limite, pourrait être compréhensible même dans une émission religieuse, surtout que de nos jours, et à défaut d’autres choses, on s’est débrouillé pour faire du football la vallée préférée du patriotisme et le trottoir indiqué pour ceux qui veulent déclarer leur amour pour le pays.
Fierté
Après avoir dit tous ses sentiments, toute sa fierté et tout son bonheur, il se mit à analyser les raisons de cette victoire qui l’a rendu si heureux. En général, ceux qui l’ont suivi ont compris qu’il s’agit des trois facteurs-clés de succès qui ont permis à l’équipe algérienne de prendre l’avantage sur son adversaire du jour et gagner sa qualification.
Le premier facteur-clé que l’homme de religion a décliné dans son émission pour expliquer la victoire de l’Equipe nationale c’est le fait que cette équipe ait rendu visite, avant le match, dit-il, à un foyer pour personnes âgées.
L’orateur n’a pas expliqué comment une virée au foyer pour personnes âgées exerce une influence sur le résultat d’une rencontre de football et cela nous aurait évité beaucoup d’interrogations s’il l’avait fait. Nous aurions été heureux aussi de l’entendre donner cette explication pour voir comment tenter sérieusement de proposer une généralisation de la méthode à toutes les équipes, à tous les niveaux et dans toutes les disciplines. Pour une fois que nous avons quelque chose qui fait gagner, il n’est pas question, bien sûr, de la laisser filer. Mais il ne donna aucune explication. Si l’on comprend aisément qu’un tel acte soit une bonne action ou une BA comme disent les scouts, il demeure néanmoins difficile de comprendre comment cela aurait pu influer le cours du match de football et surtout par quel biais. Et, à moins que nous ne connaissions rien de la vie ni à la vie, le fait de faire un tour dans un foyer pour personnes âgées ne rend pas les joueurs plus intelligents ou plus combatifs, ni le schéma tactique du jeu plus efficace. Alors où voit-il la relation d’influence? Peut-être qu’un jour nous dévoilera-t-il le secret.
Deuxième facteur de réussite: le geste du gardien burkinabé. Poursuivant ses analyses, l’homme expliqua que «l’autre chose» (comprendre par là l’autre facteur décisif de réussite) qui permit à l’équipe de gagner, ce fut le gardien burkinabé. Comme preuve de justesse de l’analyse, il annonce qu’il l’a vu. «Je l’ai vu de mes propres yeux, précise-t-il, et vous pouvez revoir la rencontre si vous voulez.» Qu’a-t-il vu? Le gardien adverse, selon notre homme de religion, avait fait le signe de croix avant le match. Non seulement cela, mais en plus, il avait essuyé le sol algérien «musulman» avec sa croix. Dieu lui infligea alors la défaite pour cette profanation! Comment pouvait-il prétendre gagner avec un geste pareil? Eh, oui! Comment aurait-il pu gagner? D’ailleurs, insista notre cheikh, lorsque j’avais vu cela, j’avais compris que l’équipe algérienne allait gagner bien avant que la rencontre ne commençât. Le pouvoir prédictif de cette analyse est donc assez élevé puisque le cheikh animateur a pu savoir avant le début du match le résultat! Ce qui fait alors de cette manière de voir les choses une véritable… science!
La philanthropie de Bougherra
Et là encore, on en est à se demander comment ce geste du gardien de but burkinabé a-t-il pu se transformer en défaite de son équipe? Et par quel biais? Et là non plus, notre animateur religieux ne dit pas mot. Il se contenta de donner les conclusions des analyses sans décliner sa démarche, sans dire sa méthode et sans dévoiler ses outils de réflexion. Pour ne pas expliquer comment on en est arrivé à de telles conclusions, cela doit certainement être difficile à comprendre et il a dû éviter au téléspectateur toute une acrobatie inutile. il semble que l’essentiel serait que l’on retienne que la victoire de l’Equipe nationale mardi dernier est, d’abord, une défaite infligée à ce gardien de but qui serait venu en croisade chez nous. et il l’aurait mérité!
Troisième facteur de réussite: la philanthropie de Bougherra.
Par la suite, notre bonhomme évoqua le but de la partie. C’est Bougherra qui a marqué le but, rappelle-t-il à ceux qui l’auraient oublié. Mais pourquoi c’était Bougherra et pas quelqu’un d’autre? C’est là toute la beauté de l’analyse du cheikh. C’est même le moment fort de cette analyse, car il dévoile enfin comment on peut gagner en marquant des buts. Bougherra n’a pas marqué comme ça, la preuve, insista le cheikh, c’est un défenseur et en principe il n’avait pas à marquer. Mais il a marqué parce qu’il devait être le buteur de cette rencontre du moment qu’il a recueilli de très nombreuses prières favorables (d’aâwi el khir) de la part d’autrui!!! Et, quand vous avez fini de sursauter de sur votre banc après avoir entendu cela, alors le cheikh animateur précise ses pensées de manière à être plus explicite. Bougherra, dit-il, mène beaucoup d’oeuvres de bienfaisance. Il aide les orphelins, les invalides, les malades, les jeunes, etc. et avec tant de bonnes oeuvres, avec tant de d’awi el khir, il ne pouvait pas ne pas être celui qui marque le but de la victoire! Là aussi, et même s’il ne l’a pas dit, le cheikh savait dès le début que Bougherra allait marquer. Comme quoi sa connaissance et sa méthode ont un réel pouvoir prédictif, exactement comme la science!
Le quatrième facteur: la roqya des buts Mais dans son analyse, le cheikh a oublié de citer un autre facteur important. Peut-être n’est-il pas au courant, mais en tout cas, la vidéo circule sur la Toile et elle montre un jeune, pas moins religieux, qui avait décidé la veille de la rencontre d’aller procéder à la «roqyiachar’ya» des bois du stade Tchaker. Et comme il savait que les équipes changent de côté à la mi-temps, alors il avait fait sa roqyia pour les deux bois.
Cette roqya doit être très forte et même de la smart, c’est-à-dire intelligente, car sinon comment expliquer que lorsqu’elle est dans les bois de l’équipe algérienne elle défend et préserve et lorsqu’elle est dans les bois burkinabés, elle attaque et aide à marquer et comment expliquer qu’elle sait quel gardien est dans quels bois pour qu’elle sache défendre ou attaquer? C’est vraiment dommage que le cheikh ait oublié de nous entretenir sur ce point car cela nous aurait permis de mieux comprendre ce monde qui nous entoure et, mieux encore, cela nous aurait permis de cerner tous les ingrédients d’une victoire dans un match de football.
Finalement, si l’on résume tout cela, on dégage quatre actions à faire pour réussir à vaincre l’adversaire dans un match de football. Il s’agit de faire faire la roqya des bois la veille de la rencontre, de faire faire un tour à l’équipe dans un foyer pour personnes âgées, de prier pour que les joueurs adverses commettent des sacrilèges et avoir des philanthropes pour joueurs! Si l’on veut gagner la prochaine Coupe du Monde, la FAF est prévenue. Il faut, dès à présent, réserver dans un endroit qui soit proche de plusieurs foyers pour personnes âgées afin d’y emmener l’équipe faire une visite la veille de chaque rencontre. Ensuite, il faut emmener le jeune de la vidéo qui était allé faire la roqya avec l’équipe au Brésil et le charger de cette mission délicate qui consiste à verser dans les bois, la veille de chaque rencontre, de l’eau qu’il aurait soumise à la roqya lui-même. Par ailleurs il faut prier longtemps pour que les adversaires commettent des sacrilèges et, enfin, essayer de recruter des joueurs comme Bill Gates ou d’autres qui font comme lui des actes de bienfaisance, de grands actes de philanthropie. Et là, on est sûr de remporter toutes les rencontres et que l’on rentrera, la Coupe du Monde dans les bras. Voilà donc le nouveau procédé pour vaincre au football selon certains de nos cheikhs. Voilà pour notre Equipe nationale et pour toutes les autres équipes des différentes Ligues et des différentes disciplines. On n’a plus à chercher ailleurs. On n’a plus besoin d’entraîneurs, ni de grands joueurs, ni de schéma de jeu, ni de visionner les rencontres des adversaires, ni déverser des milliards pour ramener un entraîneur étranger. Il suffit d’entendre certains de nos cheikhs et de nous laisser guider!
Ce n’est pas ça notre religion! Non, ce n’est pas cela notre religion. Notre religion ne s’intéresse pas au football. Elle le laisse à sa place, à ceux qui savent en parler et ceux qui en connaissent le domaine. Elle le laisse à ceux qui le connaissent exactement comme elle laisse la médecine aux médecins, l’agriculture aux agriculteurs, la mécanique aux mécaniciens etc. Notre religion n’aime pas qu’au nom de la religion on s’aventure à dire n’importe quoi ou à faire n’importe quoi. Notre religion fait bien la différence entre un religieux et un charlatan qui va jeter de l’eau sur des bois d’un stade parce que là, il s’agit d’un véritable charlatanisme éhonté.
Notre cheikh
Notre religion commande à ceux qui veulent parler en religieux de ne parler que de ce qu’ils connaissent bien, et encore! Parce qu’il veut que l’on ne s’occupe point de ce que l’on ignore, notre Prophète (Qsssl) avait bien précisé que «c’est une bonne religion de l’homme que de ne point s’occuper de ce qui ne le concerne pas». Il avait dit que «celui qui ne sait reconnaître les mérites des hommes ne saura pas remercier Dieu». Or, à la manière dont notre cheikh a présenté les choses, les hommes n’auraient aucun mérite dans cette victoire de l’équipe nationale. Halilhodzic et ses joueurs auraient bien pu ne pas se préparer, ils auraient bien pu ne pas mettre en place une tactique sur le terrain, ils auraient bien pu ne pas jouer du tout car ils auraient gagné tout de même au vu des hassanate des uns et des sacrilèges des autres. N’est-ce pas cheikh! Le Prophète Mohammed (Qsssl) avait dit aussi que lorsque tout le monde se mêle de tout, c’est déjà un signe avant-coureur de la fin du monde. Et nous y sommes en plein! Des hommes qui se disent de religion passent leur temps à analyser des matchs de foot à l’aide d’argumentaires d’un autre monde, d’autres font plonger les zaouias dans le puits de la politique malsaine, d’autres qui se disent aussi de la religion remontent le temps avec leur bouteille d’eau jusqu’aux sorciers du temps de pharaon, et même avant, et tout cela au nom d’une religion qui ne les connaît pas et qui ne les reconnaît pas. Non, elle ne les reconnaît pas! Mais Dieu pourquoi sommes-nous tombés si bas? Et que sommes-nous en train de devenir?