Aujourd’hui et demain les députés auront à débattre en plénière, le projet de la nouvelle loi sur les hydrocarbures, la sixième en quarante ans. Une loi dont la teneur a suscité déjà des controverses, dès l’annonce par le ministre de l’Energie et des Mines, M. Youcef Yousfi, de certaines de ses dispositions.
Seulement sept blocs d’exploration ont été attribués à l’issue des trois appels d’offres lancés par ALNAFT entre 2008 et 2011 et encore, à l’exception de la Sonatrach, aucune grande compagnie n’y avait manifesté d’intérêt. Ce manque d’attractivité, justifié par une «fiscalité défavorable », a poussé à un énième réaménagement du cadre juridique ou plutôt la promulgation d’une nouvelle loi : 58 articles de la 05-07 modifiée et complétée ont fait l’objet de propositions de révision, 7 nouveaux articles y ont été insérés et 5 abrogés. Bref, dans l’exposé des motifs, les promoteurs de ce projet de loi d’amendement jugent qu’«il est nécessaire d’introduire de nouvelles mesures incitatives permettant d’améliorer l’attractivité du domaine minier national, pour intensifier l’effort d’exploration et mettre en évidence de nouvelles réserves d’hydrocarbures conventionnels et non conventionnels afin de garantir un développement économique et social du pays». De nouvelles facilités fiscales y sont prévues pour rassurer les compagnies opérant en Algérie qui, faut-il le rappeler, avaient observé une levée de boucliers à cause de la taxe sur les profits exceptionnels appliquée pour tout prix du baril au dessus de 30 dollars. Le géant américain Anadarko avait même entraîné la Sonatrach dans les dédales de l’arbitrage international avant d’accepter un règlement à l’amiable du litige contre une indemnisation de près de cinq milliards de dollars. Une pression qui a fini par avoir raison de la toute dernière loi, balisant le terrain à bien d’autres concessions. «Ce projet de loi est la consécration, justement, du règlement du litige avec Anadarko », a estimé, sous couvert de l’anonymat, un avocat agréé auprès de la Cour d’arbitrage de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie (CACI). Pour les voix qui se sont élevées à l’annonce de certaines des nouvelles dispositions proposées par le ministre de l’Energie et des Mines, M. Youcef Yousfi – citons M. Hocine Malti, ancien PDG de Sonatrach –, elles sont plutôt dangereuses pour l’avenir du pays. Il s’agit de la révision de la méthodologie de détermination du taux de la taxe sur les revenus pétroliers (article 87). Elle est désormais basée sur la rentabilité du projet au lieu du chiffre d’affaires. «Il est envisagé que la TAP (impôt sur les bénéfices) dépendra du taux de rentabilité annoncé par les compagnies, qu’elle variera selon les zones d’intervention et ne sera valable que pour les nouveaux arrivants. Ce qui signifie que tous ceux qui sont déjà là, et sur lesquels l’Etat algérien pourrait éventuellement prélever, puisque eux gagnant déjà de l’argent, ne sont pas concernés. Par contre, les nouveaux arrivants devront se lancer dans l’exploration, donc, la production ne sera envisageable que dans quelques années et c’est seulement à ce moment, que l’Etat pourra percevoir des impôts. De plus, cette taxe est dépendante du taux de rentabilité de la société, ce qui dessaisit l’Etat de la détermination de l’assiette de calcul de cet impôt, puisque ce n’est pas l’Etat qui détermine le taux de rentabilité de la société, c’est elle qui le détermine en fonction de ses dépenses, de ses investissements et de ses bénéfices. L’Etat sera soumis à la bonne volonté de la compagnie : soit il acceptera le taux de rentabilité qu’elle annoncera, soit il le négociera avec elle, à moins qu’il ne l’ait déjà négocié. Dans tous les cas de figure, cette dernière décide, d’une certaine manière, de l’impôt qu’elle va payer. Ce qui est absolument inédit» (lire Le Soir d’Algérie du 1er octobre 2012). S’il est noté dans l’exposé des motifs que les mesures proposées par ce projet de loi n’affectent nullement les revenus fiscaux issus de la production des gisements actuellement en exploitation, c’est pour rendre plus attractif l’amont pétrolier algérien. Il n’en demeure pas moins que cet amendement ajoute une dose à l’instabilité législative ambiante dans le secteur. Une instabilité soulignant l’absence d’une vision à long terme qui n’est pas pour rassurer les investisseurs étrangers. Les lois promulguées jusqu’ici, six, si on compte le présent projet de loi, ont été soit réalisées sous la contrainte, sinon dans la précipitation et ont été simplement incohérentes.
Le commencement
L’Etat a nationalisé ses hydrocarbures par une première loi en 1971 et a confié le monopole sur l’exercice des activités pétrolières à la Sonatrach, à travers l’exclusivité sur les permis de recherche et les concessions d’exploitation. Sonatrach a été imposée comme associée majoritaire avec au moins 51% des actifs dans tous les projets de recherche et de production des hydrocarbures liquides et ses partenaires étrangers, se sont vus obligés de constituer, pour des raisons fiscales, des sociétés de droit algérien. L’Etat a ainsi récupéré sa prérogative de fixer le prix de référence, base de calcul de la redevance et de l’impôt direct pétrolier, et les taux d’imposition ont été augmentés graduellement pour atteindre, en 1975, 20% pour la redevance sur les hydrocarbures liquides, 5% pour les hydrocarbures gazeux et un maximum de 85% pour le taux de l’impôt direct pétrolier sur les bénéfices de la Sonatrach. Les pouvoirs publics voulaient mobiliser les revenus tirés des hydrocarbures pour financer le programme d’industrialisation. Or, la baisse concomitante du prix du baril de pétrole et du dollar en a décidé autrement et, les investissements et la production dans le secteur des hydrocarbures en ont particulièrement pâti.

Ouverture ratée
De nouvelles dispositions ont été prises pour relancer les investissements dans le sillage de la crise économique mondiale de 1986. La loi n° 86-14 a introduit une nouveauté dans les contrats : «le partage des découvertes des hydrocarbures liquides». Le législateur a soumis les activités de prospection, de recherche et d’exploitation des gisements d’hydrocarbures, de transport d’hydrocarbures par canalisations, de liquéfaction de gaz naturel (GN), et de traitement et de séparation de gaz de pétrole liquéfié (GPL) à une redevance et à un impôt sur les résultats. De même qu’il a décidé de pratiquer des taux faibles dans les zones où il y a eu peu de découvertes et qui était dépourvues d’infrastructures de transport (canalisations). Cet assouplissement de la législation et l’ouverture du domaine minier ont impacté positivement l’activité de prospection et de recherche des hydrocarbures. 11 contrats de recherche et 2 de prospection ont été signés avec des compagnies étrangères entre 1987 et 1990, même si les partenaires étrangers ont continué de considérer l’investissement comme «peu attractif». Le monopole de la Sonatrach dans l’activité de transport par canalisation est resté intact tandis que les étrangers sont restés exclus des découvertes d’hydrocarbures gazeux ne pouvant s’associer aux gisements déjà découverts.
La copie corrigée !
Un amendement significatif a été adopté en 1991 (loi n° 91-21). D’abord, en portant à l’international le règlement des litiges opposant les investisseurs étrangers à la Sonatrach dans le cadre des contrats d’association. Ensuite, en offrant aux compagnies étrangères la possibilité de prendre part aux découvertes de gaz. Une participation qui peut prendre plusieurs formes : «partage de production, commercialisation conjointe à l’exportation et partage des revenus entre la Sonatrach et les partenaires étrangers». Et, de décréter la réduction des taux de la redevance et de l’impôt sur les résultats afin de stimuler les efforts d’exploration. Si Sonatrach est restée majoritaire dans l’ensemble des contrats d’association et seule bénéficiaire des titres miniers, propriété de l’État, cette ouverture partielle coïncidant avec une conjoncture favorable marquée par la hausse des prix du pétrole à la fin des années 1990, a stimulé le redémarrage des activités de prospection et de recherche, entraînant d’importantes découvertes. En plus de celles réalisées par la Sonatrach, treize contrats de recherche et quatre de prospection ont été signés avec des partenaires étrangers entre 1991 et 1993, lesquels ont permis de réaliser seize découvertes en 1998.
La loi de Chakib Khelil
L’embellie financière d’après l’année 2000, due à la hausse des prix du baril, n’a pas empêché d’autres amendements de la loi sur les hydrocarbures (loi n° 05-07). Des amendements motivés, cette fois-ci, par la volonté d’adhérer à l’OMC. Le «double pricing» du gaz (à l’international et au local) est l’un des obstacles qui bloque cette adhésion. Les articles 9 et 10 établissant les prix des produits pétroliers et du gaz naturel sur le marché national sont une réponse aux demandes formulées par certains membres de l’OMC. Chakib Khelil, ministre de l’Energie de l’époque et promoteur de cette loi, avait puisé dans la littérature libérale pour formuler ses arguments : «Inefficacité du monopole, nécessité de la concurrence, attractivité du secteur, récupération par l’État de ses prérogatives, diminution des comportements rentiers…» Sa rhétorique de circonstance ne prêtait à aucune confusion : «Vu l’abondance des ressources pétrolières dans le monde et la vive concurrence que se livrent les pays exportateurs, l’Algérie doit ouvrir son domaine minier aux investisseurs étrangers pour pouvoir préserver sa part du marché.» Cette libéralisation du secteur, contestée par Ali Benflis, alors chef du gouvernement, a été entreprise grâce à l’assistance technique de la Banque mondiale. Ce faisant, la loi a supprimé le monopole de l’État – et de facto la Sonatrach – sur les activités de recherche et de production des hydrocarbures et nombre des prérogatives de cette compagnie ont été attribuées à deux nouvelles agences, à savoir l’Autorité de régulation des hydrocarbures (ARH) et l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures (Alnaf). La première a été chargée de «veiller au respect de la réglementation technique et de la réglementation relative à l’application des tarifs et du principe de libre accès des tiers aux infrastructures de transport par canalisation et de stockage, d’étudier les demandes d’attribution de concession de transport par canalisation et collaborer avec le ministre chargé des hydrocarbures en matière de politique sectorielle et d’élaborer des textes réglementaires régissant les activités hydrocarbures (article 13)». La seconde s’est vue conférer «la promotion des investissements dans la recherche et l’exploitation des hydrocarbures, la gestion et la mise à jour des banques de données concernant la recherche et l’exploitation des hydrocarbures, l’attribution des périmètres de recherche et d’exploitation et la conclusion de contrats de recherche et/ou exploitation et d’aider à la promotion de l’industrie nationale (article 14)». Désormais, le choix des opérateurs doit se faire à travers une procédure d’appels à la concurrence et les sociétés étrangères ont la possibilité d’intervenir directement dans le domaine minier (amont et aval) sans association avec la Sonatrach et sans aucune limitation de participation dans les projets. Même si une option légale a laissé la porte ouverte à d’éventuelles prises de participation par Sonatrach : «Chaque contrat de recherche et d’exploitation contient une clause qui ouvre à Sonatrach SPA quand elle n’est pas contractante, une option de participation à l’exploitation pouvant atteindre 30% sans être inférieure à 20% (article 48).»
Le revirement
Cette volonté de libéralisation a entraîné des controverses en Algérie et des réactions négatives de certains pays de l’OPEP, car pouvant les impacter directement. La loi 05-07 a remis en cause la mesure phare de la nationalisation : l’«obligation d’association avec la Sonatrach ». Sous la pression interne (politique et syndicale) et externe (Venezuela), l’Etat s’est aussitôt rétracté et la Sonatrach a repris son rôle d’acteur principal garantissant le monopole de l’État dans le secteur, avec l’obligation d’avoir une participation minimale de 51% dans chaque projet de recherche et de production d’hydrocarbures rétracté (ordonnance n°06-10 du 30 juillet 2006). De plus, et pour capter le plus de rente possible, le législateur a institué une taxe sur les profits exceptionnels. Cette même taxe est revue par le projet de loi qui introduit «un système d’écrémage des superprofits applicable aux bénéficiaires du taux réduit de l’impôt complémentaire sur le résultat (ICR)». Cet «écrémage» est fixé suivant la rentabilité également et variera selon le mode de calculs prévu de 19% à 80% (article 88 bis). Le vote de cette nouvelle loi est prévu dans 15 jours, soit pour le 21 janvier en cours…
L. H.