Sous prétexte de booster l’industrie du livre, le projet de texte de Khalida Toumi, adopté en Conseil des ministres, est venu placer tellement de gardefous qu’il donne l’air de chercher à censurer sous prétexte de réguler. Si bien qu’on y découvre même des procédures pénales. En clair, ce texte risque de faire réagir de manière musclée les maisons d’édition… Focus.
Bref, dans son exposé des motifs, le projet de texte, dont nous avons obtenu une copie, dresse un bref historique de l’histoire du livre en Algérie avant de reconnaître que celui-ci «est entré ces dernières années dans un phase dynamique, avec la multiplication des maisons d’édition et d’impression (…) privées.»
Voulant mettre en avant l’apport qu’y aurait mis le département ministériel de Khalida Toumi, il est notamment fait état de la «réalisation de programmes annuels de publication de nouveaux titres et de réédition d’ouvrages de référence et du patrimoine culturel.»
À l’en croire, donc, «depuis 2007, pas moins de 3 500 titres, pour un volume global dépassant les 3 000 000 d’exemplaires, sont venus enrichir les fonds documentaires des bibliothèques de lecture publique.»
Mais, outre le fait que ce volume est jugé «modeste» au regard des potentialités nationales, et même des fonds mis à la disposition de ce ministère, force est d’ajouter que les publications, dans la plupart des cas se font à la tête du client, et non pas suivant la qualité de l’ouvrage proposé. Mais venons-en aux textes de lois eux-mêmes.
Le nombre d’articles est 62. Il introduit pour la première fois les nouvelles technologies de la communication et de l’information. C’est ainsi que l’article 3, qui s’appesantit sur les multiples définitions des activités relatives à ce domaine, en parle dans certains de ses alinéas. C’est ainsi que «le livre numérique sera un ouvrage destiné à être édité et diffusé sous forme numérique et à être lu sur un écran.»
Quant au «livre numérisé, ce sera un ouvrage déjà publié sur un support papier et qui est reproduit sous forme numérique pour être lu sur un écran.» Il est même question de «vendeurs du livre par voie électronique, (à savoir), tout éditeur ou personne physique ou morale qui vend le livre par voie électronique.»
Les articles 5 et 6, qui évoquent la vulgarisation de cet outil éducatif et instructif afin de le mettre à la disposition du plus large public possible, omettent simplement de dire que la plupart des éditeurs privés se plaignent du fait que le ministère de Khalida Toumi a décidé de ne plus acheter une quantité pour chaque livre imprimé, aussi bien pour les mettre à la disposition des lecteurs dans les bibliothèques et même les établissements scolaires, que pour encourager l’édition en la finançant en partie de manière indirecte.
Seuls quelques éditeurs «privilégiés» ont encore droit à cette forme d’aide indirecte. L’article 9, lui, vient situer tous les interdits auxquels doivent se conformer aussi bien les éditeurs que les auteurs.
Il s’agit de respecter «la Constitution, la religion musulmane ainsi que les autres religions (ici, il n’est pas précisé s’il ne s’agit que des religions monothéistes ou bien si les autres sont également concernées), la souveraineté et l’unité nationales, les exigences de la sécurité et de la défense nationales, les exigences de l’ordre public ainsi que la dignité de la personne humaine et des libertés individuelles et collectives.»
CENSURES, CONTRAINTES ET PROMESSES NON-TENUES
Ce n’est pas tout. Il est également ajouté que «le livre ne doit pas faire l’apologie du colonialisme, du terrorisme, du crime et du racisme.»
L’éditeur, selon l’article suivant, doit déposer une demande et se faire délivrer un «récépissé » avant de pouvoir exercer son métier. Viennent alors les sujets qui fâchent vraiment, car évoquant de manière quasi explicite les questions liées à la censure.
L’article 13 indique ainsi que «l’introduction en Algérie de livres destinés au public pour lecture ou consultation, par les organismes étrangers, les représentations diplomatiques accréditées, les centres culturels étrangers et les organisations internationales, est soumise à l’accord préalable du ministère chargé de la Culture.» Idem pour les dons de livres.
Quant aux éditeurs, ils sont en quelque sorte placés sous la loupe inquisitrice de leur tutelle. Que l’on en juge : «les éditeurs de livres sont tenus de confectionner un catalogue général de leurs publications. (Celui-ci), mis à jour, doit faire l’objet d’un dépôt sur support papier et numérique, auprès du ministère chargé de la Culture ou de ses services décentralisés, avant le 31 décembre de chaque année.»
Plus grave encore, toute opération d’importation de livres, selon l’article 24, doit être précédée par le dépôt d’une liste des ouvrages visés au niveau du ministère. Or, précise le second alinéa de ce même article, «des titres de cette liste peuvent faire l’objet de contrôle du contenu par le Centre national du livre.»
Il est même fait état de possibles «interdictions d’importations», pouvant fort heureusement faire l’objet d’un «recours». Quant à l’exportation, supposée être encouragée par l’État, elle est censée bénéficier de «mesures incitatives.» Reste que les modalités d’application de ces dernières seront fixées par voie règlementaire.
Peut-être donc jamais. Ou juste pour certains privilégiés. Autre contradiction pour un projet de loi qui prétend démocratiser le livre. Le prix de celui-ci risque de faire mal aux modestes bourses.
L’article 29 en effet stipule que «l’éditeur pour le livre qu’il édite, ou l’importateur pour le livre qu’il importe, déterminent et fixent librement le prix de vente du livre au public.» Il n’y aura donc pas de subventions, ni d’encouragement en faveur d’un secteur qui, pourtant, en a vraiment besoin.
Plusieurs articles, relativement vagues, en attendant (peut-être) leur clarification via les décrets d’application, évoquent la vente des livres numériques, un domaine encore inexistant chez nous, et qui risque même de ne jamais voir le jour au regard du piratage informatique qui continue de faire florès et en toute impunité au niveau de tout le territoire national. Il est également question d’assurer des formations aux métiers du livre.
Autre nouveauté, mais qui risque de demeurer lettre morte, il est également fait état de la possibilité d’ouverture de bibliothèques privées. Or, non seulement ce créneau promet de ne pas du tout être rentable, mais encore là les opérateurs sont tenus de déposer un état de leurs fonds documentaires tous les ans.
À la lecture de tous ces articles, on se rend compte que les promesses faites en Conseil des ministres, concernant l’encouragement pour l’ouverture de nouvelles librairies en faveur des jeunes universitaires, ne figurent nulle part. Par contre, pas mal de dispositions pénales transformant ce projet de loi en un véritable code pénal-bis. Pas moins de 5 articles, du 56 au 60, lui sont consacrés en effet.
On y découvre que «nonobstant les dispositions du code pénal, est puni d’une amende de 500 000 DA à un million de dinars quiconque contrevient à l’article 9 de la présente loi.» Même topo, avec des sommes différentes en ce qui concerne les articles suivants…
Ali Oussi