Les arbitrages budgétaires en cours pour l’élaboration du projet de loi de finances de l’exercice prochain seront assurément des plus délicats, au vu de la crise politique en présence, de l’illégitimité de l’Exécutif en place et de la grande fragilité des finances de l’État et des équilibres financiers extérieurs du pays.
à moins d’un mois d’une rentrée sociale qui s’annonce particulièrement tendue, les réformes ou les choix de budgétisation et de dépenses, qui devront être décidés au titre de l’action sociale de l’État, devraient constituer en ce sens le véritable nœud gordien que le gouvernement aura à trancher, dans un contexte de défiance populaire où les tentations de sacrifier les impératifs d’ajustement pour acheter la paix sociale seront sans doute trop fortes. De fait, bon an, mal an, le budget social de l’État, entre subventions en tous genres, logement, éducation et financement des retraites, continue, ces quelques dernières années, à peser pour près d’un quart des dépenses budgétaires globales, restant ainsi quasiment incompressible, même en situation de chute drastique des revenus pétroliers et de la ressource financière publique. Pour l’exercice en cours, la loi de finances en vigueur autorise ainsi des dépenses sociales globales de l’ordre de 1 763 milliards de dinars, soit près de 21% du budget de l’État, destinées notamment aux transferts sociaux pour plus de 445 milliards de dinars alloués au soutien aux familles, 290 milliards aux retraites, près de 336 milliards à la politique publique de santé et enfin quelque 350 milliards au secteur du logement.
Financièrement intenables au vu de la grande vulnérabilité des finances publiques, mais politiquement “intouchables” au regard du contexte de révolte populaire en présence, ces dépenses sociales seront difficiles à maintenir à un tel rythme, tout comme il sera difficile de les rationaliser sans prendre le risque énorme d’attiser encore davantage la défiance populaire à l’égard d’un gouvernement déjà fortement contesté et complétement illégitime.
Politiquement périlleux
Pour le professeur d’économie, Brahim Guendouzi, il est d’emblée clair que la préparation, qui intervient habituellement en cette période de l’année, de la loi de finances de l’exercice prochain ne sera sans doute pas une sinécure pour l’Exécutif en place. L’élaboration de la loi de finances de 2020, nous confie-t-il en ce sens, “s’avère compliquée pour la simple raison que le gouvernement actuel, très contesté par ailleurs, ne sait plus s’il serait en place ou pas d’ici à la prochaine rentrée sociale ou au plus tard à la fin de l’année en cours”. Aussi, tranche-t-il, “si la logique dépensière de l’État est maintenue telle quelle, c’est-à-dire garder le statu quo, dans ce cas, les problèmes budgétaires seront tout simplement reportés à plus tard avec le risque d’aggravation de la situation économique et financière du pays”.
En revanche, enchaîne-t-il, dans le cas où l’actuel gouvernement déciderait de s’engager dans un processus de rééquilibrage des dépenses publiques, afin de ramener le déficit budgétaire à un niveau tolérable par rapport à son financement, “il faudra s’attendre alors à un premier arbitrage dans le budget de l’État entre dépenses d’équipements et transferts sociaux, sachant que les dépenses de fonctionnement seront maintenues en leur état actuel”. Quoi qu’il en soit, note en définitive notre interlocuteur, “la réforme, qui touche aux transferts sociaux et, particulièrement, à la politique des subventions implique tout d’abord un certain consensus politique et social que l’actuel gouvernement, ne peut avoir”. D’autant plus, ajoute-t-il, “que cela nécessite des mesures d’accompagnement sur le plan juridique qu’il serait difficile de mettre en œuvre dans l’état actuel de fonctionnement du Parlement”. Interrogé sur la même problématique la semaine dernière par l’agence APS, Lachemi Siagh, expert international en finances, a estimé, pour sa part, que “la mère des réformes sera celle de s’attaquer aux diverses subventions notamment énergétiques et de soutien aux produits de large consommation qui plombent le Trésor public”.
Néanmoins, a-t-il plaidé, “il faudrait d’abord recenser l’ensemble des subventions, directes et indirectes, sous toutes leurs formes”, au vu de la difficulté à identifier, selon lui, les vrais nécessiteux et de l’impératif d’une refonte du système d’information fiscal. Pour faire face aux tensions budgétaires en tout cas, il conviendrait surtout de “réduire considérablement le train de vie de l’État”, a soutenu, sans ambages, le professeur Siagh. Et de juger en dernière analyse que dans l’état actuel des choses, “tout le monde doit faire des sacrifices, sauf les plus démunis”.
Akli Rezouali