Réalisé par le Marocain Hassan Benjelloun, les Oubliés de l’histoire est le 3ème long métrage à entrer en compétition officielle dans la 4ème édition du Festival international du film arabe d’Oran (Fifao).
Projeté à la salle cinéma Maghreb en présence d’un public nombreux, le film a bien accroché l’attention des spectateurs. Et pour cause ! Les Oubliés de l’histoire traite d’un sujet particulièrement
épineux, dérangeant : l’exploitation sexuelle des femmes dans le monde, un fait qui demeure tabou dans le monde arabe.Azzouz et Yamena sont deux jeunes amants marocains qui vivent leur passion dans le noir en attendant que l’avenir leur sourie et qu’ils puissent concrétiser leur union. Mais il est difficile d’être optimiste quand les jours se succèdent sans apporter la moindre lueur de lendemains qui chantent. Las d’attendre en se débattant dans la misère, Azzouz émigre clandestinement en Belgique après avoir promis à Yamena de l’épouser à son retour.
Mais la jeune fille est mariée de force à un inconnu qui la chasse le soir de ses noces en découvrant qu’elle n’était pas vierge. Répudiée par son époux, chassée par sa famille, la villageoise prend la route vers la ville de Fès. N’ayant nulle part où aller, Yamena décide de partir à la recherche d’Azzouz à Bruxelles. Il lui faut trouver de l’argent pour payer la traversée. Sa quête la mène tout droit dans les rets d’un grand réseau de prostitution qui «piège» des filles pour les envoyer en Belgique travailler dans une maison close. Ne se doutant guère de ce qui l’attend à son arrivée en Europe, Yamena se retrouve coincée et obligée d’exercer le plus vieux métier au monde. Le drame de Yamena est aussi celui de Nawel et de Amel, deux jeunes filles marocaines qui, elles aussi, ont quitté leur pays pour suivre leur rêve d’une vie meilleure qu’elles croyaient trouver dans cet ailleurs à l’image d’un eldorado, mais qui bien vite est devenu un véritable enfer sur terre. Maltraitées et entièrement soumises à la dictature de cette mafia au bras long et aux méthodes inhumaines, les trois femmes vivent un cauchemar auquel il est difficile d’échapper, sauf si… Nawel se réfugie dans la drogue.
Elle devient accro et finit par mettre fin à ses jours, ses souffrances en se défénestrant.Azzouz, de son côté, galère pour survivre. Etranger en situation irrégulière, il vit en marge de la société, dans l’ombre. Et il n’y a pas plus marginal que les maisons closes où Azzouz trouve refuge. C’est là que le hasard intervient. Il tombe sur Yamena, pas «sa» Yamena, mais celle que le réseau de prostitution a produite, avec la complicité tacite d’une société qui se scandalise, pousse des cris d’effroi et dénonce ces dérives qu’elle a produites, mais qu’elle refuse de voir, d’en parler même. Le choc pour Azzouz est terrible. Mais qui peut mesurer celui de Yamena, qui va s’arrêter sur son drame ? Une femme qui vend son corps est-elle une victime ? «Etre prostituée n’a jamais été le rêve d’une enfant», avait résumé une prostituée répondant à la question d’un «client».
Azzouz ne sait que dire ni que faire, mais son amour pour Yamena le guide et l’aide à prendre le recul nécessaire pour raisonner froidement et comprendre que, tout comme lui, elle est victime d’une société qui, inexorablement, l’a poussée vers les bords de la route où il n’est plus question de vie mais de survie. Ce constat poussera Azzouz à la révolte. Il dénoncera le réseau mafieux… Happy end. Mais les questions dérangeantes sont posées et elles restent
pendantes. C’est sans doute là la force des Oubliés de l’histoire qui, bien après son passage, titille la réflexion.Traitant d’un sujet sensible et dévoilant les non-dits, le film dénonce et souligne les problèmes d’une jeunesse désenchantée que l’on pousse à la dérive. Emigration clandestine et prostitution ne sont que les fruits de ces problèmes qui minent le quotidien de nombreux jeunes. «Pour les besoins du film, nous avons effectué plein de recherches dans plusieurs pays en Europe, en Allemagne, en Belgique notamment, et dans le monde arabe, à savoir la Jordanie et le Maroc. Le film a bénéficié d’une bonne documentation. Il s’adresse au monde entier et surtout aux pays du tiers-monde.
En tant que cinéaste, je me dois d’assumer ma responsabilité, celle de briser les tabous et de transmettre les problèmes de mon pays, je veux faire des films utiles», déclare Hassan Benjelloun, lors du débat ayant suivi la projection de son film. Il citera également son film sur l’émigration des Juifs marocains en Israël comme exemple de sujet tabou en soulignant qu’il «essaye de chatouiller la réflexion».
Interrogé sur les scènes de sexe, jugées un peu trop présentes dans le film, le réalisateur affirme que «le sexe dans le film n’est pas dévoilé de façon gratuite. D’ailleurs, nous ne pouvons parler de ce sujet sans montrer des images», dira-t-il. S’inscrivant dans le genre fiction-documentaire, le film a un rythme long qui permet de bien comprendre les causes qui mènent à la déchéance.
Des scènes osées et de violence font de ce film une œuvre cinématographique sincère où l’histoire d’amour de Yamena et d’Azzouz n’est qu’un prétexte pour traiter le sujet de l’exploitation sexuelle des femmes. Par ailleurs, le réalisateur marocain a annoncé que son film sera bientôt distribué en Algérie par Cirta Film.