Projection de la montagne de Ghassan salhab aux JCC, Le Liban de toutes les sensations

Projection de la montagne de Ghassan salhab aux JCC, Le Liban de toutes les sensations

Scène du film La Montagne

Le public tunisois continue à fréquenter massivement les différentes salles de projection de la ville qui en possède sept, rien qu’en plein centre.

«En haute montagne, au Liban, un homme en sang émerge d’un ravin, suite à une sortie de route. Sous le choc, il longe la route déserte et rencontre un groupe de quatre personnes dont le véhicule est en panne. Bien qu’il ait perdu la mémoire, l’homme réussit à faire redémarrer la voiture mais il perd conscience aussitôt. Après avoir hésité à l’abandonner sur place, le groupe l’emmène avec lui et traverse la vallée de la Békaa jusqu’à un vaste domaine privé gardé par des hommes armés. L’inconnu se retrouve pris au piège dans cette propriété. Hekmat, le leader du groupe, semble reprocher aux autres de l’avoir amené. Aux informations, on annonce d’inquiétants mouvements de troupes dans tout le Proche-Orient. Au moment où la décision est prise de se débarrasser de l’inconnu, l’armée se déploie massivement dans la région. Les troupes contournent le domaine, se dirigeant vers les frontières. La tension semble retomber quand des avions de chasse surgissent et bombardent la vallée et les montagnes voisines. A la radio, une voix tremblante annonce que Beyrouth a été rasée. «Fin de l’histoire.» Un film du ressenti avant tout.

La Vallée, signé Ghassan Salhab, présenté en compétition officielle mardi aux JCC, est un film qui susurre plutôt qu’il crie, à tâtons, il dresse ses plans, le cadre sublime où viennent se nicher ses acteurs, souvent l’espace d’un silence sidéral inquiétant. Celui qui précède la tempête? La nature y est sans doute pour quelque chose puisque le réalisateur nous immerge complètement au-dedans de ces êtres parachutés au milieu de nulle part, ayant fui la ville pour se donner à la chimie des stupéfiants et la contrebande de drogue croit-on. Mais un étranger viendra tout bonnement bousculer leurs habitudes et susciter en eux des réactions tantôt drôles, tendres ou cruelles. Car l’homme est un animal qui tend à sauver sa peau comme une meute de loup ses enfants.

Elu meilleur réalisateur au Monde arabe au dernier festival d’Abou Dhabi, Ghassan Salhab à qui les rencontres cinématographiques de Béjaïa a consacré il y a deux années une carte blanche à sa filmographie, compte à son actif plusieurs longs métrages dont les tumultueux et vaporeux Beyrouth fantôme et Terra incognita. Ses films sont autant remplis de vie que de désenchantement. Quand la vie reprend ses droits croit-on, les personnages sont vite happés et rattrapés par la réalité de la guerre qui n’en finit pas de jouer avec les nerfs des Libanais et les diviser, y compris entre eux. L’image surannée qui se dégage du film laisse bien une empreinte des traces de l’ascendance de la vidéo d’art sur le réalisateur. Médium auquel s’est essayé aussi le réalisateur et dont l’écriture scénaristique de la montagne se veut avant tout convocation à l’air et au vent. Sorte d’oxygénation étouffante paradoxalement qui souligne l’ouverture sans issue du drame.

En somme, du désenchantement. Comme des portes ouvertes sur l’inconnu, le chaos intérieur qui fait cruellement écho à celui qui frappe la ville et s’entête à s’acharner autour, continuellement malgré ses quelques instants d’accalmie, de sérénité en trompe-l’oeil, de distraction brodée de sensualité inattendue comme c’est souvent le cas dans la plupart des films de Ghassan Salhab. Regarder d’ailleurs ses films, c’est maîtriser la pesanteur de l’attente, car le cinéaste aime dilater son temps, diluer son histoire, la tirer en longueur, perturber un peu le spectateur, quand c’est plutôt l’ennui et l’inactivisme qui est montré. Dans La Vallée pourtant, la beauté éclate parfois en petites fulgurances de séquences hypnotiques où les cinq sens sont rois. On hume le parfum de cette délicieuse cuisine. En effet, on met des lentilles pour voir, mais on danse aussi, on se touche pour faire exister son corps, on capte les mots, les non-dits de celui qui a perdu sa mémoire et s’emmure dans le silence, mais aussi le silence gravé et enfoui chez chacun des Libanais, de ces vérités amères que l’on refuse pourtant d’admettre, de voir en face. De la catastrophe qui à l’échelle géographique va cohabiter son pendant humain et ses notions aussi tenus et fragiles comme l’absence, la présence ou le manque de l’Autre. Jamais le son du bombardement des avions n’a été aussi proche, fort, brutal et vrai que dans ce film qui vous introduit derechef au plus près du désordre, de la peur, des choses brutes et épidermiques de la vie.