Une filière à la traîne
Le moins que l’on puisse dire est que l’olivier est à Jijel ce que l’olive est à l’olivier. Cette analogie, si l’on peut dire, tire toute sa substance significative du fait que cette wilaya recèle près de neuf millions d’oliviers. Une richesse qui la place parmi les régions les plus productives en Algérie en huile d’olive. En superficie, les exploitations oléicoles de Jijel ont atteint les 14 300 hectares, soit 30% de la surface agricole utile (SAU) de toute la wilaya. Elles représentent également plus de 80% des surfaces consacrées à l’arboriculture, c’est dire que l’oléiculture est l’une des vocations premières du secteur de l’agriculture à Jijel.
«Dans notre wilaya, la carte de répartition des exploitations consacrées à l’oléiculture est divisée en trois zones distinctes. La première, la plus importante, est la zone Est qui englobe notamment El Milia, Ouled Yahia, Sidi Maârouf, El Ansar et Ouled Hadef. Elle représente 66% de notre potentiel. Avec 24% la zone ouest vient en seconde position. Elle est constituée, entre autres, des exploitations situées dans les communes de Jijel, Texana, l’Emir Abdelkader, Kaous et Benyadjis. La troisième est la zone centre avec 10%. Elle compte un périmètre disséminé à Tahir, Chaqfa, Sidi Abdelaziz ainsi que dans d’autres communes de la région centre» a indiqué Zeddam Yacine, le secrétaire général de la chambre d’agriculture à Jijel.
La structure du verger, quant à elle, poursuit le même responsable, est constituée de 5% d’exploitations de type intensif ce qui représente 3.000 hectares, 75% de type traditionnel ou extensif, dont la quasi majorité sont des exploitations familiales, et le reste, soit 20% sont de nature marginale. «concernant l’âge des oliviers, on compte 25% d’arbres d’un siècle et plus, 39% de 40 à 100 ans, 12% de 10 à 40 ans et seulement 22% de 10 ans et moins » précise Zeddam Yacine. En matière de production, on compte, en moyenne, un rendement variant entre 6 et 15 quintaux à l’hectare. Seulement, comme le souligne un autre responsable de la chambre d’agriculture, les meilleurs rendements sont recensés dans les zones dites intensives, celles justement soumises à un itinéraire technique.
«La culture intensive peut assurer un rendement atteignant facilement les 15 quintaux à l’hectare, tandis que dans les exploitations traditionnelles on engrange une production variant entre 6 et 10 quintaux à l’hectare» affirme le second responsable. Et d’ajouter : «la wilaya de Jijel a produit l’année dernière entre 7 à 8 millions de litres d’huile d’olive. Elle a été l’une des meilleures saisons. Cette saison en revanche, l’on s’attend à une diminution sensible de la production. Elle sera au minimum, et selon les données déjà recueillies, de moins de 30% de la quantité extraite précédemment ».
NÉGLIGENCE, MALADIE DE L’OLIVIER À L’ORIGINE DE LA DÉCROISSANCE
La baisse de production est, selon les dires du secrétaire général de la chambre d’agriculture, la conséquence directe d’un ensemble de facteurs : notamment les aléas climatiques, l’apparition de certaines maladies ayant affecté, cette année, l’olivier et aussi le mode ancien, pour ne pas dire archaïque, utilisé par la majorité des exploitants dans toutes les étapes de la cueillette et de stockage des olives. Ce qu’il faut savoir c’est qu’à Jijel on compte 1353 oléiculteurs.
La majorité d’entre eux sont des propriétaires d’exploitations familiales, dont la surface est plus au moins petite. «Généralement, ces derniers (les exploitants des oliveraies familiales) attendent uniquement la campagne de cueillette pour s’occuper de leurs cultures.
Le reste de l’année, les oliviers ne subissent aucun traitement de pré campagne. En d’autres termes, on ne les soumet à aucun itinéraire technique, alors que ce procédé scientifique ne renforce pas uniquement le rendement mais il permet aussi la détection de toute maladie précocement, ce qui favorise son éradication au moment opportun» fera savoir Bouaziz Mahiedinne, le président de l’association des oléifacteurs de Jijel, structure créée depuis trois ans maintenant. Cette association qui a pu s’imposer en ce laps de temps comme un partenaire et une force dans l’échiquier économique local, ambitionne à terme de regrouper en son sein l’ensemble des oléifacteurs de la wilaya.
À ce propos, le président de l’association révèle qu’à Jijel, il existe 24 huileries modernes, équipées de chaînes continues, 23 autres semi-automatiques et 87 huileries de type traditionnel.
Ce qui fait au total un réseau de 124 huileries tous types confondus. Pour autant, pour quelles raisons la production de l’huile d’olive dans la wilaya évolue, d’année en année, en dent de scie, en alternant entre une bonne et une mauvaise récolte ? Nos interlocuteurs dressent un constat et avancent des arguments unanimes. Ils mettent à l’index le procédé archaïque dont use la majorité des oléiculteurs à commencer par la phase de la cueillette.
«Au contraire des idées préconçues et qui sont malheureusement prises comme argent comptant par le commun des citoyens, la production de l’olive n’obéit pas à une règle stipulant qu’après chaque bonne saison de cueillette, l’on s’attend fatalement à une diminution l’année d’après.
DES PRATIQUES NUISIBLES
Cette allégation n’a aucun fondement scientifique. Donc la cause de ses variations est à chercher ailleurs.
Elle découle en effet du procédé archaïque de la récolte» soutient le secrétaire général de la chambre de commerce. Plus explicite, le président de l’association des oléifacteurs révèle : «comme il est notoire, plus de 80% des oliveraies de la wilaya sont détenus par des familles.
Au cours de la campagne de la cueillette, elles usent de procédés anciens, ce qui non seulement affecte le rendement mais aussi la qualité de l’huile qui en sera extraite». Justement pour ce qui est de la qualité, l’huile pour qu’elle soit vierge ou mieux : extra vierge, son taux d’acidité ne doit aucunement dépasser le 1%, or, pour y parvenir il faut prendre des précautions strictes, ce que le mode de cueillette traditionnelle ne garantit pas dans la majorité des cas.
«D’abord, faute de filet que l’on déroule normalement au-dessous de l’olivier la peau lisse de la drupe cueillie subit déjà des agressions au contact avec le sol. Dans ce cas, son enveloppe charnue se trouve de facto fragilisée et exposée à une fermentation et par ricochet à une augmentation de son taux d’acidité.
Aussi, lorsqu’on agite les branches de l’arbre à l’aide d’une perche, comme c’est le cas dans la quasi majorité des vergers à Jijel, on risque non seulement de blesser l’olive mais aussi et surtout de casser les petits rameaux et bourgeons qui donneront leurs fruits, la saison d’après. Donc, si le rendement d’un olivier diffère d’une année à une autre, c’est à cause de cette pratique archaïque» expliquera à ce propos Bouaziz Mahiedinne. Et pourtant ! La solution existe et elle est même soutenue par l’Etat pour son acquisition, selon le secrétaire général de la chambre d’agriculture.
MODERNISER LA CUEILLETTE ET LA TRANSFORMATION DE L’OLIVE
En effet, des machines pour la cueillette d’olives sont disponibles dans le marché local. On les appelle ici des vibreurs. Ils ont une autonomie en énergie de 12 h, soit le temps d’une journée entière passée aux champs. « Cette machine dont je fais la promotion actuellement à El Milia, où j’ai implanté ma huilerie automatique, optimise non seulement la production mais n’agresse ni bourgeon ni, encore moins, les olives.
C’est dire que c’est l’alternative idoine pour garantir chaque saison un meilleur rendement» insiste le président de l’association des oléifacteurs de Jijel.
Toutefois, des filets et des machines pour cueillette, ne peuvent à eux seuls garantir une bonne qualité d’huile, c’est-à-dire avec un taux d’acidité bas, l’une des exigences incontournables devant permettre une exportation de l’huile d’olive algérienne notamment dans le marché européen.
Et pour cause : la manière et le temps de stockage des olives jouent également un rôle dans la qualité et la quantité de l’huile qui en sera extraite.
«Stocker les olives dans des sacs en jute ou en nylon favorise l’action de fermentation et donc augmente le taux de leur acidité. En outre, si le temps de stockage dépasse les 72 h, cela diminuerait inexorablement de sa qualité (augmentation du taux d’acidité).
En conséquence, le stockage doit, non seulement s’effectuer dans des caisses aérées, mais aussi, le produit doit rester le moins possible de temps en stock. Ainsi, et avec les nouvelles méthodes de cueillette et de stockage, on valorise davantage la qualité de notre huile» assure le même oléifacteur.
Reportage réalisé par Amirouche Lebbal