En acceptant la proposition russe de mettre son arsenal chimique sous contrôle international, alors qu’il avait toujours entretenu le flou sur son existence même, le régime syrien a peut-être abattu son dernier joker.
Bien évidemment, les experts, appelés à la rescousse pour décortiquer ce geste, encore improbable dans un passé récent, mettent en doute la sincérité de la décision, mais surtout appréhendent la difficulté de la tâche des inspecteurs qui seront appelés à faire respecter un accord sur la question. Les doutes sont nourris par les incertitudes autour du stock d’armes chimiques détenues par Damas, estimé par les services de renseignement occidentaux entre un millier et trois mille tonnes, et les mouvements « suspects » détectés pour disséminer ce stock pour le rendre moins contrôlable.
D’autre part, la surveillance et la destruction de ces armes chimiques nécessiteront beaucoup de temps, un important personnel et des moyens financiers conséquents, cela sans compter que le lieu de destruction de ces armes reste encore en suspens, la Syrie ne disposant pas d’un site dédié à une telle tâche. Quoi qu’il en soit, Damas, avec l’appui de la Russie, a ainsi réussi à éloigner l’imminence d’une frappe américaine, même s’il ne l’a pas, pour autant, définitivement écartée. La « ligne rouge » n’a été, en effet, que légèrement décalée et la Syrie reste sous la pression continue des Etats-Unis et de la France. Les développements de l’épisode de l’attaque chimique ont subitement teinté la crise syrienne d’un air de guerre froide avec le renforcement des flottes américaine et russe en Méditerranée.
Echaudée par l’avatar libyen, où elle a surtout perdu un marché, la Russie n’a pas l’intention de lâcher ses intérêts au Proche-Orient, la Syrie constituant quasiment son dernier carré dans la région. Elle veut, entre autres, se préserver d’une potentielle menace islamiste qui serait dirigée contre elle. Les souvenirs de la guerre d’Afghanistan et du problème tchétchène sont encore vivaces dans la mémoire de ce pays qui compte une importante communauté musulmane en son sein. Par ailleurs, sa présence en Syrie lui assure également la possibilité d’avoir un œil sur l’évolution de la situation dans la région et de peser quelque peu sur un éventuel règlement du conflit arabo-israélien.
La concession du régime syrien sur les armes chimiques donne d’ailleurs une autre tournure à cette question. Après la neutralisation de l’Egypte, la destruction du potentiel irakien, le coup de balai aux velléités nucléaires de la Libye, la Syrie, en faisant son adieu aux armes chimiques, va sans l’ombre d’un doute rejoindre le « club » des pays qui ne représentent plus de menace pour l’entité sioniste. Que le régime syrien s’effondre ou perdure, qu’une solution négociée ou tranchée par les armes d’une opposition, qui n’aura d’autre choix que ceux que ses parrains occidentaux lui indiquent, c’est un fait que les Etats-Unis auront réussi à « stériliser » tout le voisinage arabe d’Israël. Affaiblis par leurs divisions ou unis dans leur faiblesse, les Arabes, et surtout les Palestiniens engagés dans un nouveau processus de négociation, auront désormais encore plus de mal à faire entendre leurs arguments face à l’intransigeance israélienne.
Ouali M.