Procès de l’autoroute Est-Ouest, La défense contre-attaque

Procès de l’autoroute Est-Ouest, La défense contre-attaque

La longueur des nombreuses plaidoiries de la défense a fait chuter le suspense…

La reprise du procès autoroute Est-Ouest a eu lieu ce vendredi à 15h25 avec la première intervention de Maître Brahimi, le conseil de Mohammed Bouchama, l’ex-secrétaire général du ministère des Travaux publics, contre qui le parquet a requis un deux ans ferme pour abus de pouvoir et trafic d’influence. Comme toujours, l’ancien, et puis allez, écrivons-le pour l’histoire de la justice, le doyen du bâtonnat d’Alger s’est rudement attaqué au sec et excellent Ben M’hidi, le procureur général qui a pourtant épaté tout son monde, y compris les avocats dont les clients risquaient 20 et 15 ans.

Il faut surtout retenir la brillante intervention de Maître Youssef Merrah, l’avocat de Tedj Eddine Addou qui risque 15 ans de réclusion. L’avocat barbu s’est attelé à ne plaider que le droit et seulement le droit: «Les quatre crimes retenus ont été décortiqués et abattus au cours d’une démonstration exemplaire, même si le conseil avait estimé que Addou a agi en qualité de personne morale. Le blanchiment? Il n’existe pas du seul fait que l’agent n’a jamais quitté le compte qui a été alimenté depuis 1993, soit 22 ans de fric gagné à la sueur.» Et Maître Merrah a réclamé vivement l’acquittement. Maître Kamel Maâchou s’est attaché à l’absence de preuves car Isolux n’a rien fait d’illégal.

Et pour preuve, il y avait deux sociétés espagnoles qui ont soumissionné (Isolux-Corsan et OHL) et Isolux était moins chère pour l’étude et la réalisation du tram d’Oran en date du 7 novembre 2007 et du 18 décembre 2007, elle a signé un contrat avec Metalsol, domiciliée en Angleterre; c’est dire qu’elle a obtenu le marché bien avant la signature avec Metalsol», a conclu l’avocat au bouc sel et poivre… sucré.

El Kheïr Allab de Bordj Ghedir va tout déballer en guise d’étaler son innocence. «Monsieur le président, je n’ai rien à voir avec ce dossier», répond en français l’accusé, flanqué de Maître Khaled Bergueul. Hellali pose coup sur coup six questions qui ont des réponses sensées et n’ayant aucune incidence sur les relations entreprises par l’accusé et les partenaires avec qui il bossait. L’accusé rappelle qu’il a été le premier à amener Samsung la sud-coréenne, «qu’on m’enlèvera quelques années plus tard». Il cite le mandat d’arrêt lancé contre lui alors qu’il n’a jamais eu une quelconque convocation de la justice et souligne qu’il réside à l’étranger, et une fois en Algérie, c’est l’hôtel.

Hellali est beaucoup intéressé par le comment de l’installation de Samsung et balance un calembour qui soulève l’hilarité de l’assistance: «A ce train-là, en évoquant votre mariage, cela va devenir un procès rose!». L’accusé précise que son usine a été montée en 1996. Les ennuis ont commencé en 2003, mais c’est le destin… Le procureur général pose une question précise: «Vous faites des affaires dans quoi?» «Je fais beaucoup dans l’énergie renouvelable, l’électronique…», il est interrompu. «Le gars du métro, ça vous dit? Et quel est votre relation avec l’hydraulique?» L’accusé dit oui en matière de projets, et d’ajouter: «En 2006, j’ai perdu Samsung et j’ai quitté le pays pour y revenir de temps à autre. Et tout ce que je sais, je l’ai toujours tenu en parcourant la presse nationale.

Ben M’hidi, le procureur général, est décidé comme au premier jour à obtenir le plus grand nombre de réponses à ses questions. Aïssa, le greffier lit la lettre de Amar Ghoul, l’ex-ministre des Travaux publics. Il donne d’abord son CV entier et son parcours dans les différents gouvernements de la République. «Quant à l’accusé Chani, qui a prétendu qu’il a rencontré à Paris des ministres au cours d’une réunion avec Citic-Crcc. Certains ministres n’y étaient pas.

Le fameux Sacha

L’accusé Khelladi Mohamed a, lui aussi, dit qu’il avait été reçu par moi-même, Ghoul et Bedjaoui, le ministre des Affaires étrangères, et Falcon le français. Je précise que tous les accords étaient passés en collaboration avec d’autres ministres et présidés par le chef du gouvernement. Quant à Falcon, connais pas! et donc, aucune relation ni réunion.»

Le fameux Sacha aussi m’est inconnu. Nassredine et tout autre individu sont de l’imagination de la rue. En cinq lignes, Amar Ghoul balaie du revers de la main toutes les prétendues et nombreuses accusations balancées ça et là. Il en est de même pour Tedj Eddine Addou qui n’a rien à voir avec moi sur le plan personnel.» Puis il cite Tayeb Kouidri de Chlef (en fuite). La lettre est très longue et ne contient que des démentis autour de pseudo relations avec des sociétés étrangères qui ont signé des contrats avec des entreprises locales ou l’Etat. Il affirme n’avoir jamais connu Kouidri.

Assurant le juge d’instruction de sa loyauté à la République et au pays, Amar Ghoul continue à nier toute relation personnelle avec les entreprises étrangères. Il cite le cas de Citic qui a connu des retards de paiement de services faits, mais vite régularisés. Il traite Mohamed Khelladi de menteur dans toutes ses allégations en précisant que «jamais Khelladi ne m’avait informé sur tout ce qu’il soi-disant constatait depuis 2007.» Khelladi lève le doigt. Hellali lui demande d’attendre la fin de la lecture de la lettre de Ghoul. Aïssa reprend la lecture de la lettre de Ghoul qui a continué à parler de mensonges, d’insinuations insidieuses, d’odieuses, gratuites, sans fondement aucun.

A la 9e question du juge d’instruction, Ghoul affirme qu’en 2009, il avait donné des instructions ordonnant que chacun de ses responsables s’occupe de sa fonction. Amar Ghoul réaffirme n’avoir rien reçu par écrit dénonçant les activités mafieuses du secrétaire général, Mohamed Bouchama. Il affirme, par contre, avoir reçu un rapport de l’Agence nationale des autoroutes concernant la «nocivité agissante» de Khelladi qui a congédié à la loyale.

Quant à la prétendue entrevue avec Khelladi à propos de Bouchama, elle est nulle et n’existe que dans l’esprit de son auteur. Ghoul traite Khelladi de faussaire et fait les éloges de Bouchama dans l’exercice de ses fonctions en 10 ans, un homme net, propre, un exemple à suivre.

Répondant aux attaques de Khelladi concernant le prix de réalisation du kilomètre d’autoroute, le ministre évoque des «jeux» de maux en évoquant le prix du kilomètre, et le coût de l’autoroute Est-Ouest est inférieur à celui relevé quelque part en Europe.

«L’expertise internationale prouve le véracité des propos avancés et ce, sous le contrôle d’un mini-conseil de gouvernement présidé par le chef du gouvernement.» La lettre est très longue et contient 17 questions du juge d’instruction, dont beaucoup de banalités autour des détails des relations avec les sociétés étrangères.

Mohamed Khelladi veut répondre à Ghoul et veut répondre question par question, et la demande a été faite avec un sourire qui en disait long sur le premier déballage: «Commençons par le CV de ‘Si Ghoul » qui a fait l’objet d’une profonde enquête à propos des études supérieures et de ses compétences scientifiques. Les gens rient. Ben M’hidi, le procureur général, demande du respect envers le ministre de la République. Le coeur plein, Khelladi a envie d’en découdre avec son ex-patron. Chani se lève depuis le box pour préciser une énième fois que les aveux lui ont été soutirés. Et puis hop, Khelladi récite 6%, 8%, 2%, 15% et 800 millions de dollars versés en Espagne sur le compte de Amar Ghoul. Puis, Khelladi revient sur le passage de M.Salem, et «Ghoul a été le premier à être informé de la malveillance de ce monsieur».

Hellali demande à retirer le qualificatif «malveillant». Ben M’hidi n’était pas bien lors de cette séquence qui ne peut pas être niée à la «barre». Entre-temps, Khelladi accuse Ghoul de lui avoir dit: «C’est lui le clou de la corruption!» Khelladi dément Ghoul qui avait dit que le déplacement des Algériens à l’étranger au Salon international des travaux publics s’était fait sur les frais du Trésor public. Et Khelladi parlera, parlera, parlera sans aucune info susceptible d’aider l’avancement des débats. Puis il rappelle qui a corrompu, qui et qui a touché combien et les pourcentages remis ainsi que les intermédiaires. «On m’a demandé si j’avais des sous-traitants et que je possède 1 000 engins de travaux publics, mon fils encore moins et mon village.»

Le juge refuse que l’on pose des questions à l’accusé qui réplique à Ghoul…

Il est midi et Khelladi en est encore aux répliques détaillées. Il a même accusé Ghoul d’avoir retardé le projet dont les travailleurs étaient appelés à aller aux fantasias organisées, aux «visites» de travail qu’il organisait à tout-va. Tedj Eddine Addou répond à une question du juge qui a voulu l’avis de l’accusé à propos d’une info donnée par Ghoul dans une de ses réponses. Addou répète que tout ce qu’il «aurait» dit n’était que pures inventions des enquêteurs. «Je ne connais pas Chani!»

Le représentant de Cojal est aussi appelé à la barre pour ce qui est des travaux supplémentaires, non prévus sur la convention mais réalisés. Il met en cause Khelladi, et Hellali lui rappelle que la convention n’a pas prévu ce cas de figure. Le groupement chinois aussi apportera des précisions autour des frais concernant le transport, l’organisation du Salon des travaux publics et autres dépenses jugées excessives ou superflues.

«Les clauses contractuelles contiennent tout l’arsenal d’accompagnement du projet!» Tayeb Bendaoud, témoin, ex-DG adjoint du métro d’Alger, prête serment et répond au juge: «Il (Allab) a demandé à me voir. Je l’ai reçu. Il m’a posé une question en souriant: voulez-vous être DG?». Hellali l’accroche: «Vous lui aviez répondu avec le sourire!». «On s’est dit deux mots à propos de l’éventuelle suppression de la liste de concepts inutiles. J’ai répondu non et on s’est séparés sans d’autres considérations», et de préciser: «Allab m’a dit qu’il a été envoyé par feu le ministre de l’Habitat, Maghlaoui, ce qui m’a poussé à douter de la qualité du visiteur qui m’a posé qu’une seule question à insinuation!» Le témoin est coincé par le juge. Allab dément catégoriquement et dit pardonner au témoin. Ce dernier ajoute qu’il a revu Allab au cours d’un séminaire.

L’anarchie de l’ANA 

Khelladi a dénoncé l’anarchie de l’Agence nationale des autoroutes qui disposait de 11 milliards de centimes pour le projet Est-Ouest et n’avait pas de locaux à la mesure de la merveille du XXIe siècle. Il a mis à nu la mauvaise gestion, le laxisme, le laisser-aller, et d’ajouter: «Les coupes dans le Trésor public», voire des détournements appuyés de pourcentages juteux. Un véritable scandale! Et ce n’était pas les nombreux et courts fous rires lâchés dans la salle qui pouvaient faire quelque chose ou atténuer la douleur des nationalistes qui se trouvaient dans la salle d’audience.

De nombreuses plaidoiries (Allah bénisse) ont toutes été dirigées vers Mohammed Khelladi qui n’avait pas, lui, la langue dans la poche, traitant son ex-ministre de tous les qualificatifs à la limite de l’invective et beaucoup de rancunes «visiblement criardes»! Toutes les répliques étaient sous tension. Maître Djemil Chelgham, un des avocats de Citic-Crcc, s’énerve et s’en prend à Ben M’hidi, le procureur général, qui a donné l’impression de semer la confusion, oui, seulement «donné l’impression de…».

Et le grand parquetier de menacer, à son tour, de recourir à une prise d’acte pour outrage. L’avocat s’excuse du fond du coeur, mais du bout des lèvres.

Il faut comprendre que le groupement chinois était mis en joue, mais ses avocats ne s’en laissent pas conter! Beaucoup d’agitation dans la salle, mais les débats sont corrects. Il n’y a aucun dépassement. Les réquisitions du parquet ont calmé tout le monde.

Les plaidoiries (il en reste une dizaine) achevées, le dernier mot sera donné aux accusés. Après quoi, les délibérations et le verdict sont attendus pour aujourd’hui.